Les femmes gauloises et celtiques : des femmes libres ! (4/6). Dans la famille gauloise, des femmes émancipées

Danseuse de Neuvy (détail). Ier siècle. Orléans, musée archéologique de l’Orléanais. © akg-images, CDA, Guillemot
Et si Jules César n’avait pas envahi la Gaule ? Nos grands-mères et arrière-grands-mères n’auraient peut-être pas eu à se battre pour avoir le droit de vote ou celui de posséder un chéquier… Car des princesses celtes du premier Âge du fer aux Gauloises guerrières et cheffes de famille, la condition des femmes est alors à l’opposé du droit patriarcal romain qui triomphe après la Conquête. Ce dossier d’Archéologia met en lumière cette condition féminine oubliée du monde celte, longtemps ignorée aussi d’une archéologie essentiellement dominée par les hommes !
L’auteur de ce dossier est : Laurent Olivier, conservateur général des collections d’Archéologie celtique et gauloise au musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye
Sculpture de tête féminine gauloise découverte à Entremont et proposition de restitutionde l’œuvre. Aix-en-Provence, musée Granet. Source : https://archeologie.culture.gouv.fr/entremont/fr/la-place-de-la-femme-0
Le rôle des femmes gauloises étonne aujourd’hui. En effet, avant la conquête romaine et l’imposition du modèle patriarcal romain, elles gardent leur patrimoine et sont libres et égales aux hommes !
Quel était le rôle des femmes dans la vie quotidienne des familles gauloises ? Hélas, les Gaulois ne nous ont pas laissé de sources historiques et ceux qui l’ont fait – les Romains, en particulier – ont considéré ces mœurs qui leur étaient étrangères du point de vue de leur propre culture, centrée sur la prééminence masculine. Frappés par le courage et la détermination des femmes gauloises mais aussi stupéfaits par certaines pratiques, ils ne sont visiblement pas entrés dans l’intimité de ces populations, qu’ils ne comprenaient pas.
Matrimoine et pères pluriels
Quelques éléments filtrent toutefois du récit de César – où il n’est jamais directement question des femmes, en tant que figures d’autorité. Nous apprenons par exemple qu’elles apportent leur fortune personnelle dans le mariage ; si leur conjoint meurt, elles récupèrent leur part augmentée des intérêts qu’a produit ce capital. Ce n’est pas une dot, que leur transmettrait leur famille, mais bien une richesse personnelle que possèdent les femmes gauloises – et dont elles peuvent faire ce qu’elles veulent.
Une telle disposition n’a pas d’équivalent dans le droit romain, où le patrimoine, comme son nom l’indique, revient tout entier au père. Cela signifie que, dans le droit gaulois, les femmes sont libres et égales, en droits, aux hommes. L’âge au mariage y est par conséquent plus tardif que chez les Romains, où des hommes d’âge mûr peuvent épouser des enfants de douze ans – voire moins, s’ils promettent de ne pas consommer tout de suite le mariage.
Une autre particularité de la famille gauloise détonne, par rapport au droit patriarcal romain : si les enfants n’ont qu’une seule mère, ils peuvent en revanche bénéficier de plusieurs figures paternelles, par leurs oncles – qui sont en quelque sorte des « pères en second ». On le voit en filigrane dans le texte de César, lorsque Gobannitio, l’oncle paternel de Vercingétorix, prend le pouvoir à la suite de son frère (qui a été assassiné par les proconsuls) et envoie vraisemblablement son jeune neveu comme otage auprès de Jules César. Chez les Belges, le souverain Ambiorix a envoyé, de la même manière, le fils de son frère comme otage auprès de ses anciens ennemis, les Atuatuques d’entre Rhin et Meuse.
Sépulture richement dotée d’une femme gauloise. Grévières de Ciry-Salsogne, Aisne. Illustration tirée de la Collection Caranda, Album des principaux objetsrecueillis dans les sépultures de Caranda (Aisne), par MM Frédéric Moreau, pendant les années 1873, 1874, 1875, vol. III, pl. 139. Saint‑Germain-en-Laye, musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye. © Grand-Palais RMN (musée d’Archéologie nationale), Jean-Gilles Berizzi
Polyandrie celtique
Un système voisin fonctionne parmi les populations celtiques de Bretagne insulaire, où les femmes peuvent avoir plusieurs maris, qui appartiennent tous à la famille de leur époux, comme en particulier ses frères. Ce type d’union se rencontre surtout dans l’aristocratie guerrière : en cas de décès du « mari biologique », en effet, la filiation de la lignée paternelle n’est pas interrompue. Cela perturbe beaucoup les colonisateurs romains, dans la mesure où cela suppose une chose impensable pour eux : à savoir qu’une femme mariée puisse librement coucher avec plusieurs hommes en même temps. L’impératrice Julia Domna, qui accompagne son mari Septime Sévère dans une campagne militaire contre les Calédoniens de l’actuelle Écosse, ose poser la question qui brûle les lèvres de ses consœurs à l’épouse du chef Argentocoxos, tous deux capturés par l’armée romaine : est-ce vrai ? La Romaine reçoit alors une réponse cinglante : « Nous remplissons nos devoirs vis-à-vis de la nature d’une bien meilleure façon que vous, femmes romaines, car nous allons ouvertement vers les hommes les meilleurs ; tandis que vous autres, vous vous débauchez en secret avec les plus misérables », lui jette la Calédonienne. Elle fait référence à l’habitude qu’ont les matrones, délaissées par leurs maris pour des jeunes filles, de coucher avec leurs esclaves, dans la mesure où cela ne porte pas à conséquence, puisque ce ne sont pas de véritables êtres humains dans leur esprit.
Danseuse de Neuvy : cette figurine féminine en bronze a été trouvée avec un lot d’offrandes votives offertes au dieu gaulois Rudiobos à Neuvy-en-Sullias (Loiret). Ier siècle. Orléans, musée archéologique de l’Orléanais. © akg-images, CDA, Guillemot
« Le monde celtique et gaulois offre une tout autre image de la famille et de la sexualité par rapport aux cultures patriarcales de Méditerranée. »
Indépendance de corps et de filiation
La sexualité est donc visiblement plus libre dans le monde celtique que dans le monde romain. César est sidéré de voir que, chez les Germains de l’autre côté du Rhin, hommes et femmes se baignent ensemble nus dans les rivières. Il est étonné de voir que, dans la vie courante, le vêtement féminin expose de grandes parties de leur corps, comme leurs cheveux, leurs bras et leurs seins. Mais cela ne déclenche pas pour autant les pulsions sexuelles des hommes, comme ce serait le cas chez lui ; comme le note le général, chez les Germains, « connaître une femme avant l’âge de vingt ans est le comble de la honte ». La sexualité n’y est pas une prise de pouvoir de l’homme sur la femme.
Le monde celtique et gaulois offre donc une tout autre image de la famille et de la sexualité, par rapport aux cultures patriarcales de Méditerranée. Les études d’ADN révèlent qu’en Bretagne insulaire, la filiation, ou transmission familiale, s’effectue en effet par les femmes. Des résultats similaires ont été obtenus en Allemagne, sur les tombes « princières » de la fin du premier Âge du fer et du début du second. On a pu voir en particulier que le pouvoir se transmettait par les sœurs ; ce qui signifie que les femmes celtiques, une fois encore, étaient indépendantes des hommes.
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Les femmes gauloises et celtiques : des femmes libres !
4/6. Dans la famille gauloise, des femmes émancipées