Les femmes gauloises et celtiques : des femmes libres ! (5/6). De valeureuses guerrières

La figure de Boudicca haranguant les foules contre l’envahisseur romain n’a cessé d’être reprise et interprétée au fil des siècles. Estampe de Henry Courtenay Selous (1803-1890). Londres, V&AM. © Victoria and Albert Museum, Londres, Dist. Grand-Palais RMN, image Victoria and Albert Museum
Et si Jules César n’avait pas envahi la Gaule ? Nos grands-mères et arrière-grands-mères n’auraient peut-être pas eu à se battre pour avoir le droit de vote ou celui de posséder un chéquier… Car des princesses celtes du premier Âge du fer aux Gauloises guerrières et cheffes de famille, la condition des femmes est alors à l’opposé du droit patriarcal romain qui triomphe après la Conquête. Ce dossier d’Archéologia met en lumière cette condition féminine oubliée du monde celte, longtemps ignorée aussi d’une archéologie essentiellement dominée par les hommes !
L’auteur de ce dossier est : Laurent Olivier, conservateur général des collections d’Archéologie celtique et gauloise au musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye
Poignée du couvercle du cratère de Vix. Châtillon-sur-Seine, musée du Pays Châtillonnais – Trésor de Vix. © Grand-Palais RMN, Mathieu Rabeau
Guerrières averties, les femmes celtiques combattent au côté des hommes et mènent même des expéditions militaires, à l’exemple de la reine Boudicca, outre-Manche ! Elles forment aussi un puissant contre-pouvoir aux éventuels excès de l’autorité masculine.
Face aux femmes des cultures celtiques d’Europe, les Grecs et les Romains sont désemparés et effarés. Si chez eux, elles sont, jusqu’à la fin de leur vie, confinées à la maison et aux tâches domestiques, considérées comme un individu mineur, sous l’autorité du père, puis du mari et enfin de ses fils lors des veuvages, c’est très loin d’être cas chez les Gaulois… Le géographe Strabon écrit à la fin du Ier siècle avant notre ère : « Chez les Gaulois, les occupations des hommes et des femmes sont juste à l’inverse de chez nous, mais c’est une particularité qui est commune à de nombreuses nations barbares. »
Femmes soldats
Sur le champ de bataille, les légionnaires doivent affronter des femmes, qui les attendent les armes à la main, derrière les impressionnantes formations de guerriers des premières lignes. Elles sont notamment à la bataille d’Aix-en-Provence, en 102 avant notre ère, où elles accompagnent une force de 110 000 hommes venus d’Europe du Nord. Les Romains les voient se battre comme des hommes, allant au contact des légions et abattant les fuyards de leur propre camp. Dans toutes les grandes armées celtiques en mouvement, elles sont présentes. Elles comptent parmi les troupes de mercenaires recrutés par les souverains hellénistiques, et participent au siège de Delphes, en 280 avant notre ère. Chez les Germains du Ier siècle, qui n’ont pas encore été romanisés, elles apportent de la nourriture aux combattants sur le champ de bataille et les exhortent à se battre. On a même vu, raconte l’historien Tacite, des armées ennemies sur le point de s’écrouler, que leurs femmes ont réussi à faire repartir à la charge, en leur redonnant courage, par leurs harangues.
La Dame de Beaupréau : cette statue incomplète est coiffée d’une natte et porte un torque et des bracelets. IIe siècle avant notre ère. Saint-Germain-en-Laye, musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye. © Grand-Palais RMN (musée d’Archéologie nationale), Loïc Hamon
Stratèges et cheffes de guerre
Dans la guerre celtique, elles ne sont pas de simples assistantes, auprès des hommes. Non seulement leur parole porte, mais elles peuvent décider elles-mêmes de monter des expéditions guerrières, si les hommes font défaut. Un auteur grec anonyme du IIe siècle avant notre ère a rapporté l’histoire d’Onomaris, « une des plus honorables Galates », qui fuit avec son peuple son pays ravagé par la famine, alors qu’aucun homme n’était prêt à diriger une telle aventure. Elle prend la tête de cette migration, qu’elle conduit au-delà du bas Danube, commande victorieusement les troupes et finit par devenir la reine de cette nouvelle contrée, où ils se sont établis.
Les femmes celtiques peuvent donc prendre la tête des expéditions militaires, comme les hommes ; ce qui fait dire à l’historien Tacite, à propos des peuples de la Grande-Bretagne actuelle : « Pour le commandement, ils ne font pas de différence entre les sexes. » Les Romains en font l’expérience avec la grande insurrection qui éclate de l’autre côté de la Manche au début des années 60 de notre ère. Face à un rapport de forces déséquilibré, le souverain du peuple des Icènes de l’Est-Anglie avait tenté une politique de conciliation avec l’occupant. Mais, à sa mort, les autorités romaines annexent le territoire des Icènes et confisquent les biens de la famille royale – puisque désormais le pouvoir passe à Rome. Cependant, c’est sans compter sur la reine Boudicca, qui prend la tête d’une vaste coalition militaire, mobilisant plusieurs centaines de milliers d’hommes. Elle est sur le champ de bataille, devant les troupes qu’elle exhorte à se lancer au combat. Une dizaine d’années plus tard, chez les Brigantes du Nord de l’Angleterre actuelle, c’est encore une femme, du nom de Cartimandua, qui coordonne les attaques contre les forts et les colonies impériales, organisant la mise en coupe réglée du pays.
« Dans la guerre celtique, les femmes ne sont pas de simples assistantes… Non seulement leur parole porte, mais elles peuvent décider elles‑mêmes de monter des expéditions guerrières, si les hommes font défaut. »
Un contre-pouvoir efficace
Le fonctionnement des sociétés celtiques est fondé sur la séparation des pouvoirs, principe selon lequel l’exercice de toute autorité doit être limité par un contre-pouvoir – afin que la conduite des affaires publiques ne verse pas dans le despotisme. Ainsi, dans les sociétés gauloises, le pouvoir des hommes est borné par l’autorité des femmes, lesquelles ont un rôle d’arbitre dans les instances de décision. Ce sont les hommes qui décident dans leurs propres instances, que sont les conseils, mais leurs décisions sont soumises à l’avis des femmes. L’écrivain d’origine grecque Plutarque rapporte cette histoire, extraordinaire à ses yeux, lors du passage d’Hannibal par les Alpes, en 218 avant notre ère. Un traité a été établi entre les peuples gaulois et les troupes carthaginoises, pour fixer les conditions de la traversée des terres gauloises par les armées d’Hannibal. Il était convenu qu’en cas de litige dans lequel les Gaulois auraient à se plaindre des Carthaginois, ce seraient les commandants carthaginois qui en seraient juges ; en revanche lorsque ce seraient des Carthaginois qui auraient des réclamations à faire contre les Gaulois, ce seraient les femmes de ces derniers qui trancheraient.
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Les femmes gauloises et celtiques : des femmes libres !
5/6. De valeureuses guerrières