Les femmes gauloises et celtiques : des femmes libres ! (6/6). La romanisation ou la fin d’une ère de liberté

Galate se tuant sur le corps de sa femme (détail). Copie d’après un original grec en bronze de 200‑210 avant notre ère appartenant à l’ex‑voto d’Attale Ier à Pergame. Rome, Musée national romain. © SCALA, Florence, Dist. Grand-Palais RMN, image Scala
Et si Jules César n’avait pas envahi la Gaule ? Nos grands-mères et arrière-grands-mères n’auraient peut-être pas eu à se battre pour avoir le droit de vote ou celui de posséder un chéquier… Car des princesses celtes du premier Âge du fer aux Gauloises guerrières et cheffes de famille, la condition des femmes est alors à l’opposé du droit patriarcal romain qui triomphe après la Conquête. Ce dossier d’Archéologia met en lumière cette condition féminine oubliée du monde celte, longtemps ignorée aussi d’une archéologie essentiellement dominée par les hommes !
L’auteur de ce dossier est : Laurent Olivier, conservateur général des collections d’Archéologie celtique et gauloise au musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye
Stèle funéraire d’un couple d’époux de la région de la vallée du Rhin. La femme est habillée à la romaine d’une robe longue (ou stola), par-dessus laquelle elle porte un grand châle rectangulaire (ou palla). À son cou, un gros pendentif est attaché à un collier. L’homme, assis, est vêtu à la gauloise d’un manteau à capuchon. Ier siècle. Mayence, Mittelrheinisches Landesmuseum. © DR
La Conquête, puis la colonisation des anciens pays de culture celtique et gauloise, mettent fin au statut libre et émancipé des femmes. Une autre ère commence, celle du déclassement des femmes indigènes ou de la soumission au droit patriarcal latin pour les plus intégrées…
Les destructions systématiques opérées par les légions, et les exodes massifs de populations qui s’ensuivent, apportent le chaos.
De terribles représailles
Certaines femmes choisissent alors de chercher protection auprès des soldats romains. On peut voir ainsi les légions se déplacer accompagnées d’une masse de femmes et d’enfants, qui les suivent là où ils vont, comme en Germanie. Pour ces femmes autochtones, l’idéal est d’être acceptées par des citoyens romains, qui jouissent de tous les droits, contrairement à la masse du reste de la population. Les représailles des combattants celtiques sont terribles, comme en Bretagne insulaire, où ces femmes de Romains sont sexuellement mutilées et empalées.
Galate se tuant sur le corps de sa femme. Copie d’après un original grec en bronze de 200‑210 avant notre ère appartenant à l’ex‑voto d’Attale Ier à Pergame. Rome, Musée national romain. © SCALA, Florence, Dist. Grand-Palais RMN, image Scala
Les exterminations des troupes de César
Face au choc de la Conquête, les femmes indigènes sont directement exposées aux viols collectifs, aux massacres de masse et aux déportations en esclavage. Dans certaines régions, comme en Gaule Belgique, les opérations anti-insurrectionnelles menées par les armées romaines prennent un caractère génocidaire – en particulier chez les Éburons du Limbourg, que César entend faire disparaître de la surface de la terre. À Avaricum (Bourges), le général fait massacrer, pour les punir de leur résistance, 39 000 personnes, dont les trois quarts devaient être constitués de femmes et d’enfants.
Soumises, en haut ou en bas de l’échelle sociale
La Conquête plonge les populations indigènes dans l’hébétude, comme le note l’historien Tacite à propos des Bretons insulaires. Vaincus, les grands chefs de guerre ont perdu tout prestige et toute autorité. Ceux qui tentent de conserver leur rang et leur identité s’engagent dans les armées du vainqueur. C’est le temps des règlements de compte, où les anciens résistants sont pourchassés et livrés aux conquérants. Tout désormais leur appartient ; les lois anciennes sont abolies et le droit romain ne s’applique pas aux indigènes, qui deviennent des étrangers sur leur propre sol. Le nouvel ordre ne profite qu’à une poignée de nantis. Les femmes de cette classe de privilégiés, qui accèdent au sésame que représente la citoyenneté romaine, échangent leur ancienne liberté contre l’aisance matérielle et le service d’une nombreuse domesticité. La majorité des femmes gauloises ou celtiques, qui n’ont pas cette chance, se retrouvent de fait dans une situation où elles sont au service des Romains : elles deviennent nourrices, servantes, coiffeuses, marchandes… De nombreuses autres, souvent d’origine étrangère, sont esclaves. Avec elles, tout en bas de l’échelle sociale, les enfants indigènes, parmi lesquels les filles, sont sans doute les plus exposés aux sévices physiques et sexuels de la part de leurs nouveaux maîtres. Tout cela est évidemment très mal documenté par l’archéologie.
« Il n’y a jamais eu de « fusion » culturelle gallo‑romaine, mais un rapport de domination coloniale. »
Un héritage dans l’ombre…
L’exclusion de la majeure part des indigènes des bénéfices de la culture romaine contribue en revanche à maintenir les anciennes traditions, issues du temps de l’indépendance. Les habitudes culinaires sont les plus lentes à se transformer ; comme l’indique l’évolution des vaisseliers céramiques, elles mettront plus d’un siècle à passer de la cuisine gauloise à la nourriture romaine. La langue maternelle ne se laisse pas remplacer facilement non plus : jusqu’au IIe siècle, on parle latin à l’extérieur, mais gaulois à l’intérieur – comme le montrent les comptes de potiers de La Graufesenque (Aveyron). Et puisque l’on n’est pas considéré comme romain, on continue à s’habiller à la façon gauloise, sans se couvrir la tête d’un voile pour les femmes, comme on peut le voir sur les reliefs funéraires « gallo-romains ». La plupart des femmes indigènes sont sous le statut de pérégrines, c’est-à-dire d’étrangères dans le droit romain. Les stèles funéraires révèlent que certaines d’entre elles possèdent leur propre fortune, dont leur mari hérite à leur mort, comme autrefois. D’autres encore ont conservé la coutume qui veut que le nom soit transmis par la mère. C’est le cas en particulier des « femmes enchantées », ou des voyantes gauloises (uidlua), qui ont rédigé les imprécations magiques destinées à la déesse gauloise Adsagsona sur la tablette en plomb du Larzac.
… et peu à peu éradiqué
Les Romains ont mis en place un système qui rend caduque la transmission de la culture indigène, laquelle ne subsiste qu’à l’état résiduel, dans l’immense classe des dominés de la société provinciale. C’est un lent et inéluctable processus d’érosion des traditions culturelles autochtones, qui finissent par s’effacer au bout de 150 ans, comme en témoigne la disparition des noms de famille d’origine gauloise. Ainsi, il n’y a jamais eu de « fusion » culturelle gallo-romaine, mais un rapport de domination coloniale, comme dans toutes les provinces de l’Empire.
Stèle funéraire du naute Blussus, de sa femme Menimania et de leur fils Primus, provenant de Weisenau, près de Mayence en Allemagne. Ier siècle de notre ère. Mayence, Leibniz-Zentrum für Archäologie. © akg, Bildarchiv Steffens
Pour aller plus loin
BELLARD C., 2017, Pour une archéologie du genre. Les femmes en Champagne à l’âge du Fer, Paris, Herrmann.
GILCHRIST R., 1999, Gender and Archaeology. Contesting the Past, Londres & New York, Routledge.
OLIVIER Laurent, 2024, Le monde secret des Gaulois. Une nouvelle histoire de la Gaule (IXe s. av. J.-C., Ier s. apr. J.-C.), Paris, Flammarion.
TREMEAUD C., 2015, Genre et archéologie, dossier des Nouvelles de l’archéologie, no 140, juin 2015.
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Les femmes gauloises et celtiques : des femmes libres !
6/6. La romanisation ou la fin d’une ère de liberté