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Les fossiles de trilobites : d’étranges talismans

Évocation d'un coquillage monté en collier.

Évocation d'un coquillage monté en collier. © Éric Le Brun

C’est bien connu, les Romains étaient superstitieux. Tout ce qui sortait de l’ordinaire était interprété en termes de chance ou de malchance. Or, quoi de plus étrange qu’un fossile pour qui n’en connaît pas l’origine ? Certains servirent de talisman, pour le plus grand bonheur des archéologues.

Les hommes ont mis longtemps à comprendre le processus de fossilisation, ou pétrification, des restes osseux, de carapaces ou de coquilles d’êtres vivants.

La fossilisation incomprise

Il a fallu attendre Léonard de Vinci et Bernard Palissy, à la Renaissance, qui furent parmi les premiers paléontologues. Auparavant, certains ossements, certains coquillages étaient bien identifiés, mais personne n’en comprenait la nature. Néandertal, déjà, aimait en ramasser pour les rapporter dans son habitat et l’empereur Auguste les collectionnait, au point de créer le premier musée de « paléontologie », sur l’île de Capri. Mais quand il s’agissait d’animaux éteints depuis des millénaires, aux formes complètement inconnues, on basculait dans l’étrange.

Star de la paléontologie

C’est le cas du trilobite, cet arthropode marin primitif, qui peupla les océans durant le Paléozoïque et disparut à la fin du Permien, voici 252 millions d’années, lors de la troisième grande extinction (qui tua 96 % de la faune marine et 75 % de la faune terrestre), à la forme immédiatement reconnaissable. Aujourd’hui, star de la paléontologie, il ne laisse personne indifférent, avec sa ligne souvent arrondie, saisi par la mort recroquevillé en pleine mue. Il est possible que les « scorpions de pierre », utilisés comme amulettes par les Grecs anciens pour se protéger des piqûres de cet arachnide, soient des trilobites, mais c’est encore discuté car la description qu’en donne Pline l’Ancien demeure imprécise.

Parure ou talisman ?

En revanche, le spécimen retrouvé en 2021 à Cibdá de Armea, en Espagne (Galice), une colonie romaine datant du Ier au IIIe siècle de notre ère, ne laisse aucun doute. Bien conservé, appartenant à une espèce qui vécut voici 460 millions d’années, à l’Ordovicien, ramassé par quelqu’un, entre 430 et 530 km au sud et au sud-est de la colonie – signe de commerce à longue distance, probablement en rapport avec la métallurgie. Ce fragment, de forme arrondie, fut aplati du côté ventral par abrasions, afin de lui donner un contour plus régulier, pour sans doute le monter en collier ou en bracelet, comme parure ou comme talisman, ou bien pour le coller sur une pièce de jeu.

Trilobites d’exception

Les fossiles de trilobites sont rares sur les sites archéologiques. Le plus ancien connu, en 1886, provient de la bien nommée grotte du Trilobite (Arcy-sur-Cure, Yonne). Également façonné, il devait orner la poitrine d’une personne magdalénienne, autour de 14 000 ans ; sa provenance est encore discutée (Massif central ? Allemagne ?). Les autres spécimens répertoriés sont issus de trois abris sous roche sud-africains datés entre 40 000 et 65 000 ans, à des distances variant entre 400 m et 25 km des habitats. Trois autres ont été retrouvés en Estonie, deux dans des sites de l’Âge du fer, le troisième de l’époque médiévale. Enfin, des découvertes supplémentaires sont signalées en Amérique du Nord, en Australie. En Chine, ces « pierres à chauve-souris » servent à fabriquer des pierres à encre ou rentrent dans la pharmacopée. Ainsi l’intérêt pour notre ami trilobé s’est maintenu au fil des millénaires et sur tous les continents. Le trilobite d’Armea, de couleur noirâtre, pourrait être associé au monde des morts. Hélas, identifié dans un dépotoir parmi 4 000 objets, il ne nous est plus possible de déterminer l’usage que les Romains en ont fait. 

POUR ALLER PLUS LOIN
FERNANDEZ-FERNANDEZ A. et al., 2025, « Significance of fossils in Roman times: the first trilobite find in an early Empire context », Archaeol. Anthropol. Sci., 17, 166. Doi : 10.1007/s12520-025-02266-8
JAY GOULD S., 2001, Les coquillages de Léonard, Paris, Seuil.