Malédictions antiques à Orléans

Tablette de défixion en cursive latine et langue gauloise (image brute obtenue suite à l’analyse RTI). © SAVO, 2025
Une nécropole antique occupée entre le Ier et le IIIe siècle de notre ère a été découverte à Orléans, à l’emplacement de l’ancien hôpital Porte-Madeleine. Exceptionnelle à plus d’un titre, elle recelait notamment une concentration inédite de tablettes de malédiction.
Une étroite bande de 110 m de long sur 2,50 m de large. C’est la forme inhabituelle de la nécropole antique qui a été mise au jour à Orléans par le Service d’archéologie de la Ville (SAVO).
Une population homogène
« Il s’agit d’une seule rangée de fosses, alignées le long d’un petit muret », explique Caroline Millereux, responsable des opérations. Sur l’emprise de fouille, 80 sépultures ont été identifiées, et la nécropole se prolonge certainement au-delà – jusqu’à une voie ancienne observée au sud, et sous les bâtiments présents au nord. « Cet espace funéraire semble avoir été en usage en plusieurs phases, entre la fin du Ier siècle et le début du IIIe siècle, poursuit l’archéologue. Certaines fosses ont été surcreusées et superposent trois ou quatre sépultures. » Au sein des tombes, les défunts, inhumés dans des cercueils en bois dont il reste les clous, étaient placés dans des positions variables (dos, ventre ou côté) et orientés indifféremment dans un sens ou l’autre, « ce qui est attendu pour la période », commente Caroline Millereux. Le mobilier funéraire (cruches, vases à boire) témoigne lui aussi de dépôts d’offrandes alimentaires classiques. En revanche, la nécropole se distingue par l’absence complète de crémations, pourtant prédominantes à cette époque, et par l’homogénéité de sa population, exclusivement masculine et adulte (20-50 ans), exception faite d’une seule femme, enterrée avec un homme au sein d’un même cercueil. Les monnaies en bronze sont aussi particulièrement abondantes, et un fragment de planche présente des traces – très rares – de polychromie blanche et rouge.
Image de la tablette avec ajout d’un calque permettant de retranscrire les inscriptions. © SAVO, 2025
Une nécropole envoûtée ?
Dernière singularité, et non des moindres, la découverte de 25 tablettes de malédiction, ou tablettes de défixion, nom lié à l’usage consistant à les transpercer d’un ou plusieurs clous. « La pratique est connue : elle consiste à jeter ou déposer dans une tombe, à destination des divinités chtoniennes, un message d’envoûtement visant un vivant. Mais la concentration observée ici – on en a retrouvé jusqu’à quatre dans une même sépulture ! – est complètement inédite », commente Caroline Millereux. Deux de ces plaques en plomb de 5 à 8 cm de long ont d’ores et déjà pu être dépliées et déchiffrées grâce une technologie d’imagerie à angles de lumières multiples (Reflectance Transformation Imaging ou RTI). L’une, inscrite en cursive latine, s’est avérée être du gaulois – ce qui constitue là encore une découverte exceptionnelle, le corpus dans cette langue essentiellement orale étant très limité ; son texte invoque Mars et Mercure. Une troisième tablette a été soumise à la tomographie à rayons X, qui a révélé, sans avoir à déplier le rouleau, la présence d’inscriptions sur les deux côtés. Pour les archéologues, cette très forte concentration a certainement une signification. Les autres singularités de la nécropole interrogent également. En attendant que les études des ossements, du mobilier et des sédiments prélevés permettent d’en savoir plus, les archéologues émettent l’hypothèse que cette nécropole appartenait à une corporation.