Nîmes : du nouveau sur l’aqueduc antique
Aqueduc du Moulin-Neuf aux Fouzes. © G. Fabre
De récents travaux agricoles viennent de mettre au jour des vestiges importants et inédits liés à l’aqueduc antique de Nîmes. Ils concernent d’une part le tracé à mi-parcours du monument et d’autre part, surtout, la découverte d’un nouvel aqueduc qui se raccorde à la conduite principale, jusqu’alors considérée comme unique.
Au-delà du pont du Gard et de ses garrigues, l’aqueduc est obligé de franchir la limite entre les deux bassins-versants des cours d’eau du Gard – ou Gardon – (amont) et du Vistre (aval). Ce seuil hydrographique (seuil du Grès) avait imposé, lors de la construction antique, la vidange complète de l’étang de Clausonne, dont les eaux empêchaient tout creusement pour implanter le canal.
De Nîmes à Clausonne
Au droit de cet obstacle majeur, le tracé était imprécis, d’autant que l’autoroute A9 (La Languedocienne) le coupait presque perpendiculairement. Des travaux agricoles récents ont permis de régler ce problème et d’établir le parcours des deux canalisations inversées et accolées, de drainage de l’étang (sens Vistre-Gard) et de l’aqueduc proprement dit (sens Gard-Vistre). Ainsi le piédroit gauche de l’aqueduc s’intègre au piédroit gauche de la galerie de drainage par un épais mur commun (0,61 m). Ces deux canalisations, voûtées en plein cintre, se situent entre 4,5 et 14 m de la surface, au fond d’une tranchée et non d’un tunnel. Mais elles présentent des caractéristiques bien différentes. Ainsi, la galerie de drainage, qui rejetait les eaux dans le Valat de Bournigue, affluent très modeste du Gard, n’a fonctionné qu’au moment de la construction et ponctuellement lors des fortes précipitations qui s’accumulaient dans l’étang. Sa longueur est d’au moins 313 m (dont 12 m restitués en amont et en aval) pour une section de 2,28 m (H) sur 0,60 m (l). Aucun regard n’y a été identifié, ni enduit, ni concrétionnement. La maçonnerie en petit appareil est apparente et la pente relevée relativement élevée, pour accélérer l’écoulement de vidange.
Plan des tracés antiques de l’aqueduc de Nîmes et de la galerie de drainage de l’étang à Clausonne. Google earth, DAO G. Fabre, J. Pey
Découverte de neuf regards d’entretien
Quant à l’aqueduc, il est semblable à ce que l’on connaît par ailleurs, avec sa section de 1,80 m (H) sur 1,20 m (l), sa maçonnerie en petit appareil, son enduit, ses concrétionnements carbonatés épais et son très faible dénivelé. Plus important, neuf regards d’entretien (dont 4 restitués) ont été découverts, espacés de 32 à 44 m, avec deux dalles de couverture sur des puits presque carrés profonds de 3 à 5 m. Ils complètent les 35 identifiés au nord et à l’est de l’étang, tous en parfait état de conservation (à l’exception de nombreuses dalles de couvertures spoliées).
Plan de l'aqueduc et de la galerie drainante entre la voie ferrée et l'étang de Clausonne. © G. Fabre, J. Pey
Plusieurs tronçons antiques
En amont du captage principal des eaux alimentant l’aqueduc de Nîmes, à la source d’Eure à Uzès (Gard), l’existence de canalisation(s) avait été sérieusement envisagée, en raison d’éléments hydrauliques épars, inégalement antiques, dans le bassin de Saint-Quentin-la-Poterie. Mais ils ne s’intégraient dans aucun schéma de connexion avéré avec le grand aqueduc, à l’exception d’un tronçon de canalisation gallo-romaine qui se développait entre la source du château de Plantéry et la Fontaine d’Eure. Comme à Clausonne, des travaux de labour ont révélé la présence de plusieurs tronçons antiques qui s’alignent en bordure d’un champ. Le principal, long de 470 m, se développe dans le quartier des Fouzes, au nord-est d’Uzès, et aide à préciser les traits majeurs de la conduite, cintrée et presque rectiligne. Elle est engravée au fond d’une tranchée trapézoïdale profonde de 3 m et présente une section de 1,20 m (H) sur 0,73 m (l) avec un cuvelage de 0,54 m2. La maçonnerie générale est identique à celle de l’aqueduc de Nîmes.
Porte des eaux de la galerie de drainage et un regard sur l’aqueduc à Clausonne. © G. Fabre
Un débit de 5 000 m3 par jour
Seules différences notables : la présence d’un concrétionnement carbonaté très faible (1 cm) et d’un badigeon cendré sur le radier et les piédroits, pratique plus courante sur les aqueducs de l’Orient méditerranéen que dans ceux de la Gaule. La pente relevée est « forte », autour de 0,10 %, et un premier calcul donnerait un débit de 5 000 m3/jour en début de fonctionnement. Deux regards de visite ont été identifiés : le mieux conservé donne sur un petit puits carré de 0,75 m de côté aux parois épaisses (0,50 m). Les prospections sur le terrain et l’analyse des vestiges permettent, sans équivoque possible, de clarifier le tracé de l’aqueduc qui se moule largement sur les courbes hypsométriques. Il naît à la source artésienne du Moulin-Neuf, parcourt la base du glacis de Saint-Siffret jusqu’à l’entrée de la vallée d’Eure où, passant par Plantéry, il se raccorde au plan d’eau de la source d’Eure après 2,55 km.
De nombreuses interrogations
Dans l’état actuel des recherches, de nombreuses interrogations demeurent sur cette conduite au calibre nettement inférieur à celui du grand aqueduc : quel était son tracé (qui se cale largement sur celui de nombreux fossés modernes d’irrigation agricole), son anatomie détaillée, et son fonctionnement (sans doute en paliers étant donnée l’importance du dénivelé entre le départ et Eure) ? Comment a-t-elle été financée (faut-il envisager l’hypothèse d’un acte d’évergétisme, comme à Clausonne) ? Franchissait-elle, ou non, les rivières de l’Alzon et du Merlançon, si oui, comment ? Ou encore quelle est sa datation ? Si elle semble remonter au Haut-Empire, vers 50 de notre ère, est-elle contemporaine de la construction du grand aqueduc, ou légèrement postérieure pour augmenter, par exemple, le débit de ce dernier lors des périodes d’étiage ? Autant de questions, autant de pistes à explorer. L’autopsie de ce monument majeur de l’eau est loin d’être terminée.
Pour aller plus loin :
FABRE G., FICHES J.-L., PAILLET J.-L. (dir.), 2000, L’aqueduc de Nîmes et le Pont du Gard. Archéologie, géosystème et histoire, Paris, CNRS éditions et Nîmes, conseil général du Gard.
FABRE G. (dir.), 2011, « Temps de l’eau, Sites et Monuments entre Vidourle et Rhône », dans Bulletin de l’École antique de Nîmes, no 29, p. 147-204.