Octobre 2025 : les livres à ne pas manquer pour les amateurs d’archéologie

Du Proche-Orient antique aux origines de la France en passant par le commerce du jade à travers l’Europe entière, découvrez notre sélection de livres du mois.
L’Europe du jade
Roche exceptionnelle réputée pour sa ténacité et ses qualités esthétiques, le jade-jadéite a fait l’objet de commerce à longue distance dès le Néolithique. Vers 5600 avant notre ère, il est exploité dans les Alpes italiennes pour fabriquer des objets de luxe (haches polies et anneaux-disques) que l’on retrouve sous les tumulus géants des membres de l’élite de la façade atlantique autour de Carnac – auprès d’autres biens précieux. Cet ouvrage, en français et en anglais, est un résumé (!) du projet JADE conduit depuis 1995 par les deux auteurs (que l’on ne présente plus) afin de mieux comprendre l’origine de ce matériau, son exploitation, ses usages, sa diffusion, sa symbolique à travers l’Europe entière – des exceptionnels gisements du massif du mont Viso jusqu’à Malte, au Danemark, à la mer Noire, en passant bien sûr par une immersion chez les derniers producteurs de haches et herminettes en pierre polie en Nouvelle-Guinée. Un impressionnant inventaire européen de 2 245 grandes haches (au-delà de 13,5 cm) en jade alpin constitue le cœur du volume 6. É. F.

Du jade pour les dieux. Un système religieux pour l’Europe néolithique Ve et IVe millénaires av. J.‑C., tome 5 et tome 6, 2025, Pierre Pétrequin et Anne‑Marie Pétrequin (dir.), traduction anglaise d’Alison Sheridan, Besançon, Gray, Presses universitaires de Franche-Comté, Centre de recherche archéologique de la vallée de l’Ain, 867 p., 100 €
Le Mas-d’Azil de fou
Vaste cavité complétée de plusieurs réseaux annexes, la grotte du Mas-d’Azil est fréquentée dès la Préhistoire. Mais ce site emblématique de la vie des premiers occupants de l’Ariège reste assez mal documenté. En une centaine de pages bien agencées, au texte et aux illustrations de qualité, cet ouvrage retrace son histoire, où se succèdent des situations parfois surprenantes. Ainsi, pendant la Seconde Guerre mondiale, la grotte fut louée par l’État pour abriter la fabrication de l’avion de chasse conçu par Émile Dewoitine, dont une des salles porte le nom. Mais c’est surtout la renommée archéologique de ce lieu qui est ici abordée. Des investigations sont entreprises dès le milieu du XIXe siècle par l’abbé Puech, poursuivies jusqu’à aujourd’hui par de nombreux spécialistes. Objets en os, en ivoire, sur dent de cachalot, art pariétal et mobilier, galets peints, industries lithiques (dont une, inédite, qui deviendra l’Azilien), restes paléontologiques, parures, dépôts rituels : la liste des vestiges retrouvés est non seulement d’une incroyable diversité, mais aussi, souvent, d’une exceptionnelle qualité, et en quantité. Beaucoup visité et beaucoup pillé, le Mas-d’Azil demeure une référence à laquelle ce livre rend hommage. P. B.

La Grotte du Mas-d’Azil, Myriam Cuennet, Jacques Azema, Myc Art Éditions, 104 p., 19,90 €
Ainsi vivait Sijilmassa
Alors que ce site fait partie des plus importants du patrimoine, de l’histoire et de l’imaginaire populaire du Maroc, il a, paradoxalement, fait l’objet de très peu d’études. C’est dire si cette remarquable monographie était attendue. Brassant des siècles d’histoire, elle aborde la topographie, l’environnement et toutes les composantes qui ont fait de Sijilmassa l’une des plus importantes cités médiévales du Sahara. Fondée au VIIIe siècle, elle s’impose jusqu’à la fin du XIVe siècle au cœur des routes caravanières, reliant le Maghreb, le Sahel et la vallée du Nil ; berceau des dynasties régnantes, ce site pourvoyeur d’or pour le Bassin méditerranéen demeure âprement disputé. Et c’est sans doute cette aura qui l’a tenu à l’écart des études car, mis à part un ambitieux programme maroco-américain (MAPS) mené entre 1988 et 1998, peu de recherche lui ont été dédiées. En s’appuyant sur l’étude inédite de ce fonds et sur d’importantes prospections conduites entre 2011 et 2013, cet ouvrage livre autant d’éléments renouvelés qu’il ouvre sur des axes de recherches innovants. É. F.

Sijilmassa, porte du Sahara. Histoire et archéologie d’une ville oasienne médiévale du Sud marocain, 2025, Chloé Capel, Rennes, PUR, 498 p., 49 €
Chauvet d’éternité
Après L’Atlas, publié en 2020, voici enfin la seconde partie de la monographie de la grotte Chauvet, consacrée aux Premières Salles. Si le texte n’en constitue pas une synthèse exhaustive, il en offre un aperçu. Et quel aperçu ! Car il ne s’agit pas d’un simple « beau livre », mais d’un travail scientifique, où toutes les unités graphiques, des plus spectaculaires aux plus discrètes, sont identifiées et analysées. Les relevés détaillés permettent ainsi de se faire une idée générale de ce qui existe, dans la partie aujourd’hui accessible – certains panneaux ont d’ailleurs été étudiés à distance, une prouesse qu’il faut souligner. Mais ce qui fait le sel de ce livre, c’est évidemment le travail d’une équipe qui ne cache ni ses doutes, ni ses débats. Des études de pointe, souvent publiées en anglais dans des revues internationales, sont aussi traduites et exposées en détail : l’apparence du porche aujourd’hui effondré ; les entrées probables et la pénétration de la lumière du jour au Paléolithique ; les datations ; l’analyse des supports rocheux et des techniques (gravures, peintures, dessins au crayon sec, tracés au doigt, lissage, etc.) ainsi que des rendus chromatiques suivant les secteurs. Les auteurs insistent sur deux découvertes majeures : la présence de grands feux, qui ont pu fonctionner comme barrière contre les chauves-souris ou les prédateurs, éclairer les galeries ou bien amollir et colorer les parois avant leur décoration ; et la présence de vestiges architectoniques : des accumulations de pierres, certaines nécessitant le concours de plusieurs personnes pour être déplacées, connues dans d’autres grottes mais ici presque systématisées. Les artistes de Chauvet ont « produit un monde », « traduction graphique d’un “discours” symbolique qui utilise les codes de la communication par l’image », comme le résument Carole Fritz et Gilles Tosello. Par l’évolution de la construction des compositions symboliques, la substitution du félin à l’ours comme thème majeur, la cavité « illustrerait le cas d’un art et de ses pratiques évoluant sur place, d’une série de mutations alliant nouveauté et conservatisme », au cours de l’Aurignacien et sans doute d’une partie du Gravettien – montrant que l’art des cavernes paléolithiques n’est pas un ensemble cohérent demeuré inchangé pendant des millénaires… Voici donc un livre qui fera date, servira de modèle pour d’autres recherches en grotte ornée et reste accessible (hormis son prix !) à tout un chacun… R. P.-L.

La grotte Chauvet-Pont d’Arc. Art et archéologie. Les Premières Salles, 2025, Jean-Michel Geneste, Carole Fritz, Valérie Feruglo et Gilles Tosello (dir.), Paris, Éditions du Patrimoine, Centre des Monuments nationaux, 463 p., 75 €
Cléopâtre en majesté
L’Égypte est le thème récurrent du travail d’Isabelle Dethan. On retrouve sa rigueur historique du récit, porté par un dessin juste et généreux, dans cette brillante biographie. Si la légende attachée à la reine d’Égypte fait encore rêver, l’auteur choisit de chercher « la vraie » Cléopâtre, en lui donnant la parole. Commençant à notre époque, l’album voit la reine, assise au bord du Nil, accompagnée de son singe devenu son confident, ne reconnaissant rien : le phare et ses palais ont disparu, la mer est sale, couverte de déchets plastiques. La souveraine remonte le temps et retrouve la société antique et ses temps troublés. Les meurtres, les enlèvements, les complots se trament. La future reine se lie d’amitié avec la vieille momie de Khéops. Si le fantôme du pharaon donne un ton fantastique à l’ensemble, il distille aussi ses conseils et lui offre les clés pour saisir les enjeux de pouvoir. Ambitieuse mais à la tête d’un royaume affaibli, Cléopâtre compose avec les puissants, utilise César, Marc Antoine par amour et par intérêt. Tout au long de ce magnifique album, Isabelle Dethan joue avec son héroïne et en brosse un portrait plein de tendresse et d’admiration auquel on adhère sans réserve. S. D.

Moi, Cléopâtre, dernière reine d’Égypte, 2025, Isabelle Dethan, (scénario, dessin, couleurs), Paris, éditions Dargaud, 208 p., 26,95 €
Au cœur du Proche-Orient
Le bel ouvrage que voici ! Vivifiant sur le fond comme sur la forme, il offre, au fil de dix grandes « leçons » thématiques, un beau voyage au cœur du Proche-Orient antique. Sincère, l’auteur, incontournable archéologue italienne mais méconnue du grand public français, y retrace son parcours – elle qui fouille depuis plusieurs décennies dans cette région et notamment sur le site d’Arslantepe en Turquie, inscrit sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Elle nous invite ici à comprendre l’émergence de phénomènes fondamentaux comme la naissance de l’agriculture, des premières communautés sédentaires, des sociétés urbaines, des structures étatiques, des inégalités sociales et économiques ou encore l’émergence des frontières – et nous fait partager ses questionnements, ses doutes, ses souvenirs, ses démarches scientifiques. Porté par une écriture claire, on l’accompagne de page en page sur les chantiers de fouilles, nous faisant, en chemin, sans doute une nouvelle amie… prodigieuse. É. F.

Une histoire du Proche-Orient ancien en dix leçons d’archéologie, 2025, Marcella Frangipane, traduit de l’italien par Laurent Cantagrel, Paris, Les Belles Lettres, 246 p., 21,90 €
Aux origines de la France
La question de la « France » est au cœur des préoccupations des historiens et des archéologues. Jean-Paul Demoule s’empare du thème et revient sur cette idée de France venant du « fond des âges », louée par Charles de Gaulle dans ses Mémoires – et par d’autres après lui. Cherchant ici à savoir s’il existe « une identité et des racines nationales immuables », il remonte le temps donc, avec l’arrivée des premiers humains sur notre territoire il y a un peu plus d’un million d’années. Du (très à la mode) « grand remplacement », de nos « ancêtres », de frontières, de territoires, d’identités, de métissage et de culture, il sera bien évidemment question au fil de différents chapitres. Truculents, ils brossent à grands traits les évolutions de chaque période pré- et historique (jusqu’à nos jours), avec une conclusion générale à mettre entre toutes les mains. En définitive qui sont les Français ? Des réponses complexes mais indispensables vous attendent dans ces pages. É. F.

La France éternelle, une enquête archéologique, 2025, Jean-Paul Demoule, Paris, La fabrique éditions, 280 p., 17 €
Naissance d’une domination
Nul ne connaît mieux les femmes de la Préhistoire que Claudine Cohen. Après avoir étudié leur apparence et leur mode de vie, elle en est venue à se poser la question de leur statut social. Car depuis l’Antiquité, la Préhistoire est perçue comme la responsable de tout… Ainsi de la domination masculine, que certains pensent inscrite dans la Nature. Or, nous explique l’auteur, il n’en est rien ; de même que le matriarcat qui n’existe pas. Commençant par l’historique des « justifications » données par ces Messieurs, elle en réfute les arguments un à un et montre que le Paléolithique récent semble avoir été une période où les deux sexes furent complémentaires – ce que les témoignages ethnologiques chez les chasseurs-cueilleurs soulignent. C’est au Néolithique que tout aurait changé avec la sédentarisation. À l’Âge du bronze, cette situation s’institutionnalise et le patriarcat s’impose. La reproduction des femmes sera « domestiquée ». Plutôt pessimistes, ces pages se concluent toutefois sur une note d’espoir : la domination masculine n’étant qu’une construction sociale, elle peut donc être déconstruite… R. P.-L.

Aux origines de la domination masculine, 2025, Claudine Cohen, Paris, éditions Passés/Composés, 256 p., 20 €





