Vallée de l’Indus : l’autre Néolithique

Évocation d'un champ de céréales cultivé par des hommes du Néolithique. © Éric Le Brun
On l’oublie souvent : le passage à l’économie de production (élevage et agriculture) s’est produit un peu partout dans le monde. Mais sa chronologie est encore assez débattue. De nouvelles dates viennent ainsi d’être publiées pour un site du Pakistan.
Autour de 10 000 avant notre ère, au Proche-Orient, en Chine, au Mexique, dans les Andes, en Nouvelle-Guinée et en Afrique, des groupes humains commencent à cultiver des plantes et à domestiquer des animaux.
Un des grands mystères de l’Humanité
Nul ne sait pourquoi ils ont décidé de quitter une vie de chasseur-cueilleur somme toute confortable pour se lever le matin et se casser le dos en bêchant la terre ou de se fixer à un endroit pour surveiller les champs et mener paître les troupeaux. C’est l’un des grands mystères de l’Humanité. Et ce qui est extraordinaire, c’est que cette innovation s’est produite de manière indépendante sur plusieurs continents, sans concertations ni influences – contrairement au Néolithique européen, inoculé par des agro-pasteurs venus du Proche-Orient. Nous pouvons suivre leur apparition et leur progression grâce aux céramiques qu’ils utilisaient pour conserver et transformer les produits laitiers, stocker les grains ou les préparer. Bien dater l’apparition du phénomène est essentiel, surtout pour estimer sa diffusion, en Europe bien sûr mais aussi dans la vallée de l’Indus et sur le plateau iranien.
La singularité de Merhgarh
Une nouvelle batterie de datations vient d’être publiée à partir de dents humaines collectées dans vingt-trois tombes du site de Mehrgarh au Pakistan. Elles ont fourni une fourchette comprise entre 5200 et 4900 avant notre ère, alors que l’apparition du Néolithique dans la vallée de l’Indus était estimée autour de 8000 avant notre ère. Est-ce une révolution ? Voici le point de vue de Jean Guilaine, professeur émérite au Collège de France et membre de l’Institut : « Ces nouvelles datations déconstruisent la chronologie établie par l’archéologue et ancien directeur du musée Guimet, Jean-François Jarrige, qui estimait que le Précéramique de Merhgarh débutait vers 8000 avant notre ère. Or elles rajeunissent considérablement l’installation des premiers fermiers sur le site ! Par ailleurs, ce Néolithique précéramique aurait duré assez peu de temps, la poterie se manifestant vers 4500 avant notre ère. Ces résultats ne rendent pas le site concordant avec d’autres gisements situés plus à l’ouest, où la céramique est connue beaucoup plus tôt (comme en Mésopotamie et en Iran aux VIIe et VIe millénaires avant notre ère). Il serait donc particulièrement tardif. Mais il nous manque des sites de référence entre l’Iran et Merhgarh, qui apparaît en regard comme isolé et récent dans le contexte du Moyen-Orient. Je crois qu’il faut enregistrer ces nouvelles propositions et attendre d’avoir un maillage de sites fouillés plus dense dans tout ce secteur pour avancer. Ceci dit cet aspect très récent du Précéramique de l’Indus n’a rien a priori d’impossible. En Israël, la céramique n’apparaît que vers 6500 avant notre ère, avec le Yarmoukien, tandis que le Précéramique, très long, s’y étire entre 9000 et 6500 avant notre ère. À Chypre, pourtant à deux doigts du Proche-Orient, la poterie n’apparaît qu’aux alentours de 5000 avant notre ère. »
Pour aller plus loin
MUTIN B. et al., 2025, « New radiocarbon dates of human tooth enamel reveal a late appearance of farming life in the Indus Valley », Scientific Reports, 15, 11345. Doi : 10.1038/s41598-025-92621-5
GUILAINE J., 2025, Les Néolithiques et nous. Sommes-nous si différents ?, Paris, Odile Jacob.