Vestiges américains de la Grande Guerre à Aytré

Vue aérienne de l’ensemble dédié à la production énergétique du camp Pullman. © C. Demangeot, Hadès
En 2022, une fouille préventive a été menée par le bureau Hadès, préalablement à l’aménagement d’un écoquartier sur la friche ferroviaire de Bongraine à Aytré, près de La Rochelle. L’opération, effectuée sur environ 7 ha, a dévoilé de nombreuses traces datées de la Préhistoire récente jusqu’à l’Antiquité, ainsi que des occupations du siècle dernier. L’étude de ces vestiges récents a ainsi incidemment mis en exergue et rappelé la présence d’un fort contingent de l’armée américaine à La Rochelle durant la Première Guerre mondiale.
Créé ex nihilo dans la gare de La Rochelle par l’US Army en 1918, le camp Pullman concentre des milliers de soldats américains. Ceux-ci sont chargés d’assembler le matériel arrivé en pièces détachées par bateau et essentiel à la logistique de la fin du conflit.
Au carrefour d’un réseau régional
Mais à l’été 1918, ce complexe militaro-industriel est déplacé à Bongraine, au carrefour d’un réseau ferroviaire régional relié au port rochelais de La Pallice. La compilation des données de terrain et des recherches documentaires a permis d’appréhender pleinement cette occupation, malgré des traces ténues dans le sous-sol. Les vestiges sont essentiellement constitués des réseaux fossoyés qui délimitent différentes zones d’activités, tels les lignes de montage et les ateliers de maintenance. Au centre de ce réseau rayonne un ensemble de bâtiments dédiés à la production énergétique du site, se matérialisant par des soubassements en béton ou en briques et abritant de nombreux générateurs électriques. Une monnaie de l’administration des États-Unis aux Philippines (1916) constitue le seul indice mobilier marquant cette présence américaine. Les activités du camp Pullman, fermé en mars 1919, sont maintenues jusqu’en 1921 par une entreprise américaine basée en France, la Middleton Car Company, qui réaménage largement les ateliers d’assemblage.
Monnaie américaine de 1916. © M. Schreinemachers, Hadès
Le dépôt ferroviaire de Bongraine
Ces deux occupations américaines successives à Bongraine, bien que de courte durée, ont grandement façonné le site autour d’une intense activité ferroviaire. La construction du maillage de voies ferrées et des nécessaires ouvrages d’entretien a sans doute favorisé l’intérêt de l’État pour ces terrains, qui les acquiert en 1923 et y implante le dépôt des machines de la gare de La Rochelle jusqu’en 1979. Plusieurs sources historiques, appuyées par les clichés aériens anciens de l’Institut géographique national, nous renseignent sur le développement de ce dépôt. En plus d’un demi-siècle de fonctionnement (1924-1979), ces installations évoluent peu, mais on remarque l’abandon d’équipements tels que le parc à charbons et les fosses à piquer pour vidanger les chaudières des locomotives. Un abandon lié à l’emploi progressif de carburant pour pallier la pénurie de charbon dans l’après Seconde Guerre mondiale. L’étude archéologique des infrastructures à Bongraine aide à appréhender ces aménagements et ces zones de travail, tout en proposant la création de typologies sur des éléments manquant cruellement de référentiels et de précisions chronologiques (rails de chemin de fer, structures ferroviaires).
Deux fosses à piquer en cours de décapage. © J. Cousteaux, Hadès
Des abris de défense passive
Le dépôt ferroviaire disposait durant la Seconde Guerre mondiale de trois abris antiaériens légers et d’aspect similaire. Deux ont fait l’objet d’études approfondies, apportant des éléments de connaissance sur l’organisation de la défense passive à Bongraine. Les dimensions sensiblement analogues de ces deux constructions (et probablement de la troisième détruite à la fin des années 1980) suggèrent qu’il s’agit là d’ouvrages normalisés. L’analyse des modes de construction et de coffrage de chacune étaye l’hypothèse d’une standardisation qui a certainement conduit à leur mise en œuvre rapide. Leur morphologie, avec un plan en forme de Z à angles droits ainsi qu’un profil en ogive à plinthes obliques, les apparente à un type connu dans les archives de la SNCF à partir de 1943.
Un des abris de défense passive à Bongraine. © Q. Baril, Hadès
Plusieurs perspectives de recherche
La brève occupation du XXe siècle (1918-1979) à Bongraine a été mise en évidence grâce à l’étude des traces contemporaines du site, au même titre que celles du Néolithique, de la Protohistoire ou de l’Antiquité. Cette fouille aborde ainsi plusieurs perspectives de recherche sur des vestiges ferroviaires, qui doivent être mises en lien avec les conflits mondiaux. Les origines américaines de ces installations permettent notamment de nourrir l’archéologie des infrastructures logistiques de la Grande Guerre, dans une région très éloignée du front. L’évolution du site a enfin conduit à la question de la protection antiaérienne des cheminots durant la Seconde Guerre mondiale ou à celle de la transition énergétique des moyens de locomotion et son impact sur l’organisation du dépôt, qui cessa son activité en 1979.