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La précieuse tabatière du duc de Choiseul plébiscitée par le 9e Prix Drouot des Amateurs du Livre d’Art

La chambre bleue : visible sur le couvercle, voici la chambre bleue de l’hôtel parisien du ministre et son somptueux décor. C’est l’une des scènes les plus animées de la tabatière. À droite, le duc de Choiseul accueille une dame qu'il conviendra d'identifier. À gauche, un petit groupe de personnages, parmi lesquels l’abbé Jean-Jacques Barthélemy, garde du Cabinet des médailles de la bibliothèque du roi. Au premier plan, deux chiens s’ébattent.

La chambre bleue : visible sur le couvercle, voici la chambre bleue de l’hôtel parisien du ministre et son somptueux décor. C’est l’une des scènes les plus animées de la tabatière. À droite, le duc de Choiseul accueille une dame qu'il conviendra d'identifier. À gauche, un petit groupe de personnages, parmi lesquels l’abbé Jean-Jacques Barthélemy, garde du Cabinet des médailles de la bibliothèque du roi. Au premier plan, deux chiens s’ébattent. Photo service de presse. © Musée du Louvre / Hervé Lewandowski

Les Éditions Faton et le musée du Louvre sont à l’honneur. Après avoir remporté en novembre dernier le Prix SNA du Livre d’Art 2024 pour sa monographie du sculpteur Pierre Puget, la maison d’édition se voit décerner pour la deuxième année consécutive le Prix Drouot des Amateurs du Livre d’Art, une nouvelle fois partagé avec le musée du Louvre. En effet, si en 2024 le choix du jury s’était porté sur Les Diamants de la Couronne publié sous la direction d’Anne Dion-Tenenbaum (coédition musée du Louvre / Éditions Faton), il honore aujourd’hui, pour sa 9e édition, La tabatière Choiseul. Un monument du XVIIIe siècle de Michèle Bimbenet-Privat, coédité également avec le Louvre.

Conservé depuis des générations dans une branche de la famille Rothschild, ce précieux chef-d’oeuvre commandé par le tout-puissant ministre de Louis XV avait fait son entrée au Louvre en 2023 à la faveur de la treizième campagne d’appel aux dons « Tous Mécènes ». Nous donnons ici lecture de l’article que Michèle Bimbenet-Privat, conservatrice générale honoraire au département des Objets d’art du musée du Louvre, consacrait à l’époque, dans les pages de L’Objet d’Art, à cette acquisition insigne.

Extraordinaires miniatures

Quel étudiant en histoire de l’art n’a pas étudié au moins une fois au cours de sa scolarité la tabatière de Choiseul ? Il ne s’agit pas d’une simple tabatière rectangulaire à pans coupés, en or de deux couleurs, signée et poinçonnée d’un des grands orfèvres parisiens, Louis Roucel, qui travailla pour les Menus Plaisirs du roi. Dans sa monture « à cage » sont insérées sur toutes ses faces, protégées par des plaques de cristal, d’extraordinaires miniatures peintes à la gouache sur vélin attribuées à Louis-Nicolas Van Blarenberghe (1716-1794). 

Louis Roucel (orfèvre) et Louis-Nicolas Van Blarenberghe (peintre en miniatures), Tabatière du duc de Choiseul, Paris, 1770-1771. Or de deux couleurs et miniatures à la gouache sur vélin montées en cage, 8 x 6 x 2,4 cm.

Louis Roucel (orfèvre) et Louis-Nicolas Van Blarenberghe (peintre en miniatures), Tabatière du duc de Choiseul, Paris, 1770-1771. Or de deux couleurs et miniatures à la gouache sur vélin montées en cage, 8 x 6 x 2,4 cm. Photo service de presse. © Musée du Louvre / Hervé Lewandowski

« Dans sa monture “à cage” sont insérées sur toutes ses faces, protégées par des plaques de cristal, d’extraordinaires miniatures peintes à la gouache sur vélin attribuées à Louis-Nicolas Van Blarenberghe (1716-1794). »

Les Van Blarenberghe, une dynastie de miniaturistes 

Ce peintre d’origine lilloise s’était illustré comme toute sa famille dans la représentation des champs de batailles. Appréciés pour leur sens de l’observation, Louis-Nicolas et son fils Henri-Joseph Van Blarenberghe (1750-1826) ont également peint d’innombrables paysages, des vues de châteaux, des ports, des scènes de genre inspirées des grands peintres, ou des événements festifs, tous traités comme des scénographies, emplis de personnages, vivants et colorés.

La chambre bleue (détail).

La chambre bleue (détail). Photo service de presse. © Musée du Louvre / Hervé Lewandowski

Une clientèle aristocratique

C’est l’époque où les « tabatières à cristaux » faisaient fureur, et sans doute faut-il mettre au crédit de leur clientèle aristocratique l’orientation nouvelle de la carrière des Van Blarenberghe avec leurs nombreuses contributions à l’art de la miniature. Dans ce domaine, leur prodigieuse minutie fit merveille. En 1769, Louis XV honore Louis-Nicolas d’un brevet de « peintre des batailles ». C’est dans ce contexte, où l’artiste côtoie pour son travail le duc de Choiseul, Secrétaire d’État de la Guerre, qu’il faut situer l’exécution de la tabatière.

Le cabinet octogone : sur la face latérale droite, le ministre est seul, lisant en faisant les cent-pas dans son cabinet de travail.

Le cabinet octogone : sur la face latérale droite, le ministre est seul, lisant en faisant les cent-pas dans son cabinet de travail. Photo service de presse. © Musée du Louvre / Hervé Lewandowski

Une précision inouïe

Ses miniatures (dont les plus grandes mesurent 6 x 8 cm) décrivent avec une précision inouïe le ministre dans le cadre de son hôtel parisien, de la Galerie du Louvre et de son appartement ministériel de Versailles. C’est un véritable unicum, non seulement dans l’œuvre du miniaturiste, mais aussi dans l’abondant corpus des tabatières du XVIIIe siècle : aucun personnage de cette importance n’a jamais été représenté ainsi.  

« C’est un véritable unicum, non seulement dans l’œuvre du miniaturiste, mais aussi dans l’abondant corpus des tabatières du XVIII e siècle : aucun personnage de cette importance n’a jamais été représenté ainsi. »

Ascension et disgrâce d’un puissant ministre 

Issu d’une noble lignée de Lorraine, Étienne-François de Choiseul (1719-1785) avait débuté une carrière militaire au service de la France et gagné le grade de maréchal de camp. La faveur de Madame de Pompadour lui vaut d’obtenir l’ambassade de Rome (1753-1757) puis celle de Vienne (1757-1758). Il épouse en 1750 Louise-Honorine Crozat du Châtel, petite-fille du richissime financier Antoine Crozat, et le couple s’installe dans l’hôtel édifié au début du siècle pour le célèbre collectionneur Pierre Crozat, rue de Richelieu. À partir de 1758, Choiseul entre au gouvernement : ministre d’État (1758-1770), secrétaire d’État des Affaires étrangères (1758-1761 puis 1766-1770), secrétaire d’État de la Guerre (1761-1770) et de la Marine (1761-1766), il porte avec énergie ce long « ministère Choiseul » de douze ans qui s’achève par une disgrâce brutale, le 24 décembre 1770. Choiseul doit se retirer immédiatement dans son domaine de Chanteloup, près d’Amboise, qu’il ne quittera qu’à la mort de Louis XV. Une vente fameuse, en 1772, disperse l’importante collection de tableaux de l’ancien ministre. L’hôtel parisien est vidé de ses meubles ; il sera vendu et disparaîtra, entièrement loti. Choiseul mourra très endetté en 1785, non sans avoir fait construire un nouvel hôtel, rue de la Grange-Batelière.

La galerie des peintures : située sous la tabatière, cette scène montre le duc de Choiseul faisant visiter sa galerie des Peintures à un petit groupe de militaires. Vingt-quatre tableaux, principalement flamands et hollandais du XVIIe siècle, ornent les murs de la pièce.

La galerie des peintures : située sous la tabatière, cette scène montre le duc de Choiseul faisant visiter sa galerie des Peintures à un petit groupe de militaires. Vingt-quatre tableaux, principalement flamands et hollandais du XVIIe siècle, ornent les murs de la pièce. Photo service de presse. © Musée du Louvre / Hervé Lewandowski

Choiseul sous toutes ses faces 

Le personnage est fascinant : ce nabot court et laid, doté d’un nez en trompette et de grosses lèvres, mais doué d’un incroyable aplomb et d’une vive intelligence, ce charmeur aimé des femmes est parfaitement reconnaissable sur toutes les faces de la tabatière. Au couvercle, on le voit recevoir ses amis et donner audience à une dame dans le cadre somptueux de la chambre bleue de l’hôtel Crozat. Sur la face latérale gauche, il est à sa toilette dans une chambre blanche où ses valets de chambre ajustent sa perruque et le revêtent du cordon bleu des ordres du roi. Sur la face latérale droite, le ministre est seul, lisant en faisant les cent-pas dans son cabinet de travail ; au-dessous de la boîte on le voit accompagné d’un petit groupe de militaires venus admirer sa galerie de peintures. Sur la face antérieure, Choiseul n’est plus dans son hôtel parisien, mais dans son appartement ministériel, au rez-de-chaussée de l’une des Ailes des Ministres à Versailles ; il est assis à son bureau, faisant face à deux secrétaires qui écrivent sous sa dictée. Sur la face postérieure, nous le retrouvons au centre d’un groupe d’ingénieurs militaires, devant les plans-reliefs disposés sur leurs piétements dans la Grande Galerie du Louvre. La monumentalité du lieu a contraint le peintre à modifier légèrement son échelle de représentation, mais bien qu’encore plus petit, Choiseul est encore aisément reconnaissable.

La chambre blanche : sur la face latérale gauche, le ministre est à sa toilette dans une chambre blanche où ses valets de chambre ajustent sa perruque et le revêtent du cordon bleu des ordres du roi.

La chambre blanche : sur la face latérale gauche, le ministre est à sa toilette dans une chambre blanche où ses valets de chambre ajustent sa perruque et le revêtent du cordon bleu des ordres du roi. Photo service de presse. © Musée du Louvre / Hervé Lewandowski

« Le personnage est fascinant : ce nabot court et laid, doté d’un nez en trompette et de grosses lèvres, mais doué d’un incroyable aplomb et d’une vive intelligence, ce charmeur aimé des femmes est parfaitement reconnaissable sur toutes les faces de la tabatière. »

L’hôtel Crozat et ses hôtes scrutés dans les moindres détails 

Bien sûr ces courtes descriptions se révèlent incapables d’énumérer ce qui fait le charme et l’intérêt des miniatures : ces lieux à chaque fois différents, mais bien réels, où chaque détail des lambris, des parquets, chaque pièce de mobilier contribue à faire revivre l’hôtel Crozat dans toute sa splendeur ; l’architecture tantôt rocaille, tantôt d’une grande modernité comme le cabinet à éclairage zénithal qui fut sans doute l’un des premiers édifiés à Paris ; les soixante-quinze tableaux, fleurons de la célèbre collection de peintures flamandes, hollandaises et françaises passionnément réunies par Choiseul, visibles sur toutes les faces de la tabatière ; les infimes détails qui ravissent le spectateur, pour peu que son œil fasse un effort d’accommodation : des lettres avec leurs cachets de cire jetées au feu dans la cheminée, les reflets dansants de la lumière sur les magnifiques parquets de marqueterie, l’affaissement du coussin sur lequel un visiteur s’appuie pour mieux voir une peinture, les papiers éparpillés sur l’étagère du bureau du ministre, un décor mural à peine entrevu sur chacun des pans coupés de la tabatière, peut-être celui de la galerie de l’hôtel Crozat…

L’appartement ministériel : au rez-de-chaussée de l’une des Ailes des Ministres à Versailles, Choiseul est assis à son bureau, faisant face à deux secrétaires qui écrivent sous sa dictée.

L’appartement ministériel : au rez-de-chaussée de l’une des Ailes des Ministres à Versailles, Choiseul est assis à son bureau, faisant face à deux secrétaires qui écrivent sous sa dictée. Photo service de presse. © Musée du Louvre / Hervé Lewandowski

Galerie de portraits, de lieux et de bêtes

Chacun peut également remarquer l’animation des scènes où le ministre apparaît rarement seul. La correspondance échangée entre Madame Du Deffand et la duchesse de Choiseul constitue une source indispensable à l’identification de ces personnages en costumes civils et militaires qui furent certainement des proches des Choiseul, comme l’abbé Jean-Jacques Barthélemy, grand savant et numismate, représenté au couvercle ; l’abbé lui-même évoqua dans ses lettres les deux chiens du couple Choiseul que l’on voit batifoler au couvercle : la chienne Blanche et son compagnon Lindor, « blanc comme un cygne, doux comme un mouton, bête comme une huître ». Enfin, plus sérieusement, pour les amoureux du Louvre et les « poussinistes », la tabatière Choiseul reste l’unique témoignage de ce qu’était la Grande Galerie du Louvre avant 1770, avec ses décors donnés par Nicolas Poussin au début des années 1640, mais restés inachevés. 

La Grande Galerie du Louvre : sur la face postérieure, nous retrouvons le ministre au centre d’un groupe d’ingénieurs militaires, devant les plans-reliefs disposés sur leurs piétements dans la Grande Galerie du Louvre.

La Grande Galerie du Louvre : sur la face postérieure, nous retrouvons le ministre au centre d’un groupe d’ingénieurs militaires, devant les plans-reliefs disposés sur leurs piétements dans la Grande Galerie du Louvre. Photo service de presse. © Musée du Louvre / Hervé Lewandowski

Un précieux document d’histoire 

On comprend que la tabatière Choiseul intéresse au plus haut point les historiens du Louvre, les historiens de l’architecture et de la peinture, les historiens de l’art militaire, les spécialistes de la miniature, du mobilier, des objets d’art, du costume… Une équipe de chercheurs a d’ores et déjà été constituée et s’efforcera d’en étudier tous les aspects et de confronter les découvertes. Car à elle seule, la tabatière Choiseul doit être considérée comme un véritable document historique et, bien que cet aspect de l’œuvre n’ait jamais été parfaitement étudié, on peut penser que ce qu’elle raconte de la vie de Choiseul n’a rien d’anodin. Exécutée entre juillet 1770 et juillet 1771, elle montre l’homme au faîte de sa carrière et juste avant sa chute ; des lieux aussitôt peints, aussitôt disparus, une collection dispersée, tout un monde perdu

« Une équipe de chercheurs a d’ores et déjà été constituée et s’efforcera d’en étudier tous les aspects et de confronter les découvertes. »

Une enquête captivante

On ignore encore les circonstances de cette commande à Louis-Nicolas Van Blarenberghe. Les liens de Choiseul et de l’artiste s’étaient déjà illustrés en 1767 dans une tabatière à pans coupés dédiée aux somptueux jardins de Chanteloup, qui fut décrite en 1785 dans l’inventaire après décès de Choiseul (New York, Metropolitan Museum of Art). La tabatière Choiseul n’apparaît pas dans l’inventaire après décès. Fut-elle une commande du ministre en personne ou d’une personnalité de son entourage ? Cette question est cruciale pour comprendre le choix et la disposition des scènes et pour les interpréter. C’est en effet un parfait ministre qui nous est représenté : un grand travailleur (quatre bureaux figurent sur les six faces de la tabatière), un homme toujours souriant et affable, un habitué des lieux du pouvoir. Notons aussi que la seule scène où le ministre ne travaille pas (celle de la visite de sa galerie des Peintures) est précisément celle du dessous de la boîte, la moins visible, celle qu’on ne montrait qu’à dessein. Il restera enfin à retracer par quels chemins la tabatière Choiseul s’est retrouvée au sein des collections de la famille Rothschild. L’enquête est en cours et se révèle particulièrement captivante. Pierre Verlet, en son temps, disait que « les grands objets laissent toujours des traces ». La tabatière Choiseul prouve qu’il avait bien raison.