Cimabue, aux origines de la peinture italienne (7/10). L’Apocalypse de la basilique d’Assise

Vue partielle du transept gauche de la basilique supérieure San Francesco d’Assise. © Alamy / Hemis – Ivoha
C’est un peintre en sa pleine maturité qui est appelé sur le prestigieux chantier de la basilique supérieure d’Assise, probablement vers la fin des années 1280. Bien que très dégradées, les fresques du transept auxquelles Cimabue œuvre pendant quelques années révèlent une capacité d’invention et une imagination formelle hors du commun.
Le décor de la basilique supérieure San Francesco d’Assise a été élaboré par les religieux franciscains et la papauté, sous l’autorité directe de laquelle les lieux étaient placés. Orné de peintures couvrant l’ensemble des surfaces intérieures, l’édifice a bénéficié d’une réflexion globale qui a permis d’élaborer un discours complet fixé dès le début du chantier.
Un programme décoratif complexe et structuré
Aucun détail n’a été laissé au hasard, comme l’atteste le lien subtil entre chacun des évangélistes peints sur la voûte de la croisée du transept et les scènes figurant dans l’espace depuis lequel il est le plus visible : Marc, disciple des apôtres, est associé au transept qui leur est consacré ; Luc et Matthieu sont placés dans l’axe de l’abside dédiée à la Vierge – à laquelle leurs textes accordent une importance majeure ; enfin, Jean est placé en regard du transept des anges où sont figurées les scènes issues d’un des livres les plus complexes du Nouveau Testament, précisément attribué à l’évangéliste : l’Apocalypse.

Cenni di Pepo, dit Cimabue, L’Adoration de l’Agneau, vers 1290. Fresque. Assise, basilique supérieure San Francesco. Cette vue permet de voir l’effet produit par les consoles peintes en trompe-l’œil sous la corniche. © Scala, Florence
Le récit de l’Ancien Testament
Conformément à la vision linéaire du temps propre au monde chrétien, le texte décrit l’avènement de la fin des temps et la seconde apparition du Christ. D’interprétation difficile, faisant un recours abondant à l’image, il intègre le récit de visions que saint Jean aurait eues sur l’île de Patmos. Malgré sa complexité, ce texte a donné lieu à une abondante iconographie, en particulier dans les manuscrits, à partir du Xe siècle, mais aussi à la faveur des représentations du Jugement dernier déployées au portail des églises gothiques. À Assise, les théologiens en charge du programme ont cependant dû en formuler une synthèse pour s’adapter aux contraintes de l’espace et par souci de faire entrer les images en résonance avec le monde franciscain.

Cenni di Pepo, dit Cimabue, Saint Jean et l’Ange à Patmos, vers 1290. Fresque. Assise, basilique supérieure San Francesco. © Scala, Florence
Les visions d’un peintre
Il serait difficile ici de décrire avec précision chacune des scènes retenues, tant le récit est complexe et ponctué de références à l’Ancien Testament comme à la pensée franciscaine. Les images de l’Apocalypse s’étendent sur les trois parois du transept, en commençant par celle du côté de la nef, se poursuivant sur le mur principal pour finir sur le mur côté chœur. Le mur principal du transept accueille trois scènes. À gauche, l’Adoration de l’Agneau, figure essentielle du début de l’Apocalypse qui préside à l’ouverture de chacun des sceaux et dont l’arrivée est saluée par 24 vieillards, les quatre vivants (l’aigle, le bœuf, le lion et l’ange, qui sont aussi les symboles des évangélistes) ainsi que sept anges. Au centre et à droite est représentée l’ouverture des deux derniers sceaux. Le sixième sceau s’accompagne d’une représentation des quatre vents aux quatre coins du monde prenant l’aspect de figures ailées tenant des cornes devant une muraille en paravent, tandis qu’un ange venu d’Orient porte le sceau de Dieu pour marquer le front de ses serviteurs. L’ouverture du septième sceau invoque sept anges aux sept trompettes puis un huitième qui vient encenser un autel et jeter du feu sur la terre – scène adorée par la multitude. Cimabue a su créer ici un rythme visuel en reliant deux scènes d’adoration qui devaient à l’origine être rehaussées d’un imposant ciel bleu. L’image centrale, quant à elle, focalise davantage l’attention sur un personnage spécifique : le cinquième ange du sixième sceau, figure associée par saint Bonaventure à saint François lui-même. Le récit se poursuit sur le mur de droite du transept, côté chœur : luttant avec le dragon, l’archange Michel le précipite dans l’abîme juste après que les sept trompettes de la scène précédente ont résonné. Au registre inférieur la scène de gauche figure la chute de Babylone, sujet qui fait écho au thème du renoncement aux richesses terrestres promu par les franciscains. La dernière scène représente saint Jean sur l’île de Patmos, accompagné de l’Ange. L’image peut renvoyer à différents moments du livre ; comme à plusieurs reprises dans le texte, l’Ange semble par ailleurs inviter saint Jean à l’adoration de Dieu, du fait que la Crucifixion se trouve peinte sur le mur opposé.

Sous la Crucifixion de Cimabue, on voit ici le rideau suspendu qu’il a peint en trompe-l’œil. Assise, basilique supérieure San Francesco. © Alamy / Hemis – N. Simeoni
Le souffle de l’invention
En dépit du piètre état de conservation de l’ensemble, considérablement noirci par l’oxydation de la céruse (à l’origine blanche), il apparaît que Cimabue renouvelle dans ce cycle non seulement la technique, mais la conception même de la peinture. L’observation du monde y est saisissante, comme en témoigne le beau détail répété des poissons nageant autour de l’île de Patmos. L’usage des nimbes à stries rayonnantes en relief deviendra systématique en Italie centrale et du Nord après le chantier d’Assise. Les rares passages permettant une analyse et une lecture un peu plus poussées du travail de l’artiste révèlent également qu’il innove dans l’attention portée au modelé et à l’usage du clair-obscur. Enfin, Cimabue élabore une structure globale pour le décor qu’il insère dans des tableautins. Ces derniers sont encadrés de bordures ornées de lignes végétales en rinceaux d’acanthes, peuplées d’angelots directement inspirés des décors antiques découverts très probablement par le peintre en 1272 à Rome. Ils surmontent un registre ornemental inférieur composé d’un rideau peint en trompe l’œil, à l’imitation de ceux qui servaient à fermer la nef principale dans la première basilique San Pietro du Vatican. En partie haute, Cimabue peint un décor de consoles et de plafond à caissons sous une corniche, en trompe l’œil également, en prenant en compte le point de vue du spectateur depuis l’entrée du transept. Ce motif décoratif sera porté à son plein développement par Giotto dans une compréhension de l’espace plus aboutie encore, mais il n’en reste pas moins que l’invention est déjà présente à Assise lors de la phase du chantier dirigée par Cimabue.

Cenni di Pepo, dit Cimabue, La Chute de Babylone, vers 1290. Fresque. Assise, basilique supérieure San Francesco. © Scala, Florence
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