Le média en ligne des Éditions Faton

Le duc d’Aumale, dernier grand prince français

Charles François Jalabert (1819-1901), Henri d’Orléans, duc d’Aumale (1822‑1897) (détail), 1866. Huile sur toile, 130 x 90 cm. Chantilly, château de Chantilly, inv. NA 861.

Charles François Jalabert (1819-1901), Henri d’Orléans, duc d’Aumale (1822‑1897) (détail), 1866. Huile sur toile, 130 x 90 cm. Chantilly, château de Chantilly, inv. NA 861. © RMN (domaine de Chantilly) – G. Blot

Héritier à 8 ans du domaine de Chantilly et d’une fortune immense, Henri d’Orléans, duc d’Aumale, est surtout le descendant d’une prestigieuse lignée et le dépositaire du souvenir des Montmorency et des Condé qui occupèrent avant lui le château. Sa ferme volonté de servir la France, par les armes puis par son engagement politique, s’incarne plus encore dans l’éblouissante collection qu’il lègue à l’Institut de France en 1884.

Henri d’Orléans, duc d’Aumale (1822-1897), est le cinquième fils de Louis-Philippe, duc d’Orléans (1773-1850), futur roi Louis-Philippe, et de Marie-Amélie de Bourbon-Siciles (1782-1866). Né au Palais-Royal le 16 janvier 1822, le jeune Henri connaît une enfance heureuse dans une famille unie et affectueuse, entre quatre frères et trois sœurs.

L’héritier

En juillet 1830, la révolution chasse du trône Charles X et la branche aînée de la famille royale de Bourbon ; à l’issue des Trois Glorieuses, le duc d’Orléans devient Louis-Philippe, roi des Français, et une monarchie constitutionnelle fondée sur la charte est instituée. Quelques semaines plus tard, en août, meurt dans des circonstances non élucidées Louis Henri Joseph de Bourbon, dernier prince de Condé (1756-1830), parrain et grand-oncle du duc d’Aumale. Le duc de Bourbon, qui a perdu son fils unique le duc d’Enghien, fusillé en 1804 dans les fossés de Vincennes, est à la tête de la première fortune de France. La maîtresse du duc de Bourbon, l’Anglaise Sophie Dawes, que le duc a faite baronne de Feuchères, pour s’assurer une part de l’héritage du duc et asseoir sa position à la cour, a poussé le duc de Bourbon à signer le 30 août 1829 un testament par lequel ce dernier fait de son petit-neveu, le jeune duc d’Aumale, son légataire universel. Mais le vieux prince, désespéré par la révolution de juillet 1830 qui lui rappelle douloureusement celle de 1789, pourrait résilier son testament au profit du duc de Bordeaux, émigré en Angleterre, choqué de voir sur le trône de Louis XVI le fils du régicide Philippe Égalité. Suicide ou meurtre ? Après une dispute avec sa maîtresse, le duc de Bourbon est retrouvé pendu à l’espagnolette de sa chambre au château de Saint-Leu dans des circonstances douteuses qui donneront lieu à un procès retentissant, éclaboussant Louis-Philippe. À 8 ans, le jeune duc d’Aumale hérite ainsi en 1830 du palais Bourbon, la résidence parisienne des princes de Condé, notre future Assemblée nationale, mais aussi du château et du domaine de Chantilly, ainsi que de nombreux biens en France.

Joseph Vigier (1821-1894), Portrait d’Henri d’Orléans, duc d’Aumale, à l’âge de 30 ans, septembre 1852. Photographie sur papier salé, 15,8 x 11,2 cm. Chantilly, château de Chantilly, inv. Na 961.

Joseph Vigier (1821-1894), Portrait d’Henri d’Orléans, duc d’Aumale, à l’âge de 30 ans, septembre 1852. Photographie sur papier salé, 15,8 x 11,2 cm. Chantilly, château de Chantilly, inv. Na 961. © RMN (domaine de Chantilly) / image RMN

Grandir au milieu des livres

Louis-Philippe, qui a été élevé par Mme de Genlis, attache une grande importance à l’éducation et à la formation de ses enfants, et leur enseigne luimême l’histoire de France, en particulier la période contemporaine de la Révolution et de l’Empire. Il tient à ce que ses fils fréquentent le collège royal Henri IV, contre l’avis du roi Louis XVIII. Aumale se montre particulièrement doué en histoire (il suit les cours de Jules Michelet et Victor Duruy) et remporte en 1839 le second prix d’histoire et de discours français au concours général. Il a également un précepteur, Alfred Auguste Cuvillier-Fleury (1802-1887), éminent bibliophile qui lui donne le goût des livres, l’entraînant très jeune chez les marchands d’ouvrages anciens. Demeuré son secrétaire et son ami, Cuvillier-Fleury accueillera le duc en 1871 à l’Académie française et entretiendra jusqu’à sa mort une abondante correspondance partiellement publiée.

Joseph Nicolas Robert-Fleury (1822-1891), Portrait d’Henri d’Orléans, duc d’Aumale, à l’âge de 9 ans, 1831. Huile sur toile, 61 x 51 cm. Chantilly, château de Chantilly, inv. PE 452.

Joseph Nicolas Robert-Fleury (1822-1891), Portrait d’Henri d’Orléans, duc d’Aumale, à l’âge de 9 ans, 1831. Huile sur toile, 61 x 51 cm. Chantilly, château de Chantilly, inv. PE 452. © RMN (domaine de Chantilly) – M. Urtado

Soldat par vocation

Sitôt sorti du collège royal Henri IV, le jeune duc d’Aumale choisit la carrière militaire, suivant en cela l’exemple de ses frères aînés, les ducs d’Orléans et de Nemours. Dès l’âge de 17 ans, d’août à octobre 1839, il se forme au métier des armes au camp de Fontainebleau, que commande le duc de Nemours ; il est accompagné de Cuvillier-Fleury. Affecté au 4e régiment d’infanterie avec le grade de capitaine, le jeune homme dort sous la tente, commande la manœuvre et découvre la carrière militaire. Il est nommé chef de bataillon en novembre. Tout au long de sa vie, Aumale se définira toujours comme un soldat, attaché à son pays et à l’armée française. Il fait ses premières campagnes militaires en Algérie en 1840 et se distingue sur le terrain, obtenant la Légion d’honneur et le grade de lieutenant-colonel. De retour en France à l’été 1840, il dirige de septembre à novembre l’école de tir de Vincennes ; il publiera en 1855 un ouvrage sur les fameux chasseurs à pied, corps créé par son frère le prince royal. La prise de la smalah d’Abd el-Kader fait de lui un héros ; il est nommé gouverneur de l’Algérie en remplacement de Bugeaud à 25 ans. Le duc d’Aumale doit songer à prendre épouse. Il recherche une famille catholique, mais les familles royales d’Europe sont peu enclines à donner leur fille au fils de l’usurpateur Louis-Philippe et au petit-fils du régicide Philippe Égalité. Après avoir visité toutes les cours d’Italie, le duc se rend dans la famille de sa mère et épouse à Naples le 25 novembre 1844 sa cousine germaine Marie-Caroline de Bourbon-Siciles, princesse de Salerne (1822-1869), qui lui donnera sept enfants – aucun ne survivra à son père.

Franz Xaver Winterhalter (1806-1873), Henri d’Orléans, duc d’Aumale en uniforme de chef de bataillon du 17ᵉ léger (armée d’Afrique), 1840. Huile sur toile, 92 x 74 cm. Chantilly, château de Chantilly, inv. PE 492.

Franz Xaver Winterhalter (1806-1873), Henri d’Orléans, duc d’Aumale en uniforme de chef de bataillon du 17ᵉ léger (armée d’Afrique), 1840. Huile sur toile, 92 x 74 cm. Chantilly, château de Chantilly, inv. PE 492. © RMN (domaine de Chantilly) – M. Urtado

Aumale en Algérie

Le duc d’Aumale séjourne en Algérie d’avril 1840 à février 1848. À 18 ans, il rejoint l’armée d’Afrique en qualité d’officier d’ordonnance de son frère aîné le duc d’Orléans, prince royal. L’Algérie est en cours de colonisation depuis 1830, et l’émir Abd el-Kader est à la tête de la résistance. Aumale connaît son baptême de feu le 27 avril 1840 sur les hauteurs de l’Affroun, fait acte de bravoure le 12 mai 1840 au col de la Mouzaïa, est cité à l’ordre du jour de l’armée d’Afrique, reçoit la Légion d’honneur le 22 juin et est promu lieutenant-colonel le 25 juin. Servant sous le général Bugeaud, il est nommé en novembre 1842 commandant de la province de Médéa et du Titeri. Le 16 mai 1843 aux sources de Taguin, après une longue marche dans le désert, il s’empare de la smalah d’Abd el-Kader, capitale ambulante de l’émir, formée de son armée et de ses biens. Le roi Louis-Philippe commande à Horace Vernet pour les Galeries historiques de Versailles un immense tableau célébrant l’événement (Salon de 1845). La prise de la smalah affaiblit Abd el-Kader et entraîne à terme sa reddition le 23 décembre 1847 entre les mains du duc d’Aumale, devenu gouverneur de l’Algérie. Aumale lui accorde de quitter librement l’Algérie et de faire le pèlerinage à La Mecque contre son engagement de ne plus jamais porter les armes contre la France. Mais en février 1848, la République ne valide pas ces accords : l’émir, détenu en France, ne sera libéré qu’en 1851 par le prince-président Louis Napoléon Bonaparte.

Horace Vernet (1789-1863), La Prise de la smalah d’Abd el‑Kader par le duc d’Aumale le 16 mai 1843 (détail), 1843-1845. Huile sur toile, 489 x 2170 cm. Versailles, musée national du château de Versailles et des Trianons, inv. MV2027.

Horace Vernet (1789-1863), La Prise de la smalah d’Abd el‑Kader par le duc d’Aumale le 16 mai 1843 (détail), 1843-1845. Huile sur toile, 489 x 2170 cm. Versailles, musée national du château de Versailles et des Trianons, inv. MV2027. © RMN (château de Versailles) – F. Raux

Un prince en exil

C’est à Alger, où il réside avec sa femme et son fils Louis (1845-1866), qui relève le titre de prince de Condé, que le duc d’Aumale apprend la révolution de 1848, laquelle chasse son père du trône. À la tête de l’armée d’Afrique, appuyé sur la marine de son frère Joinville, il aurait pu marcher sur Paris et tenter de réprimer l’insurrection, mais comme le roi, il s’incline devant la souveraineté du peuple, accepte la République et s’embarque pour l’Angleterre où il rejoint les siens. Les Orléans se regroupent près de Londres à Claremont, dans une demeure mise à leur disposition par leur cousine la reine Victoria et par Léopold, roi des Belges, époux de Louise d’Orléans, fille de Louis-Philippe et Marie-Amélie. Un long exil de vingt-trois ans (1848-1871) s’ouvre pour le duc d’Aumale, qui voit sa carrière militaire brisée à 26 ans. Ayant accepté la République, Aumale espérait dans un premier temps pouvoir rentrer en France, mais ce n’est pas le cas. Il songe un temps à s’établir aux États-Unis ou en Italie, pour se rapprocher de la famille de sa femme. Ses biens sont mis sous séquestre, mais il se bat pour récupérer l’héritage des Condé qui ne relève pas du domaine public. En 1852, les Orléans n’ont plus le droit de posséder des biens en France. Aumale vend fictivement le domaine de Chantilly à Antrobus et Marjoribanks, banquiers de la banque Coutts : le château est loué à des Anglais, mais Aumale reprendra Chantilly à son retour en France. Après la mort de Louis-Philippe et du prince de Salerne en 1850, Aumale et son épouse se fixent à Naples.

Antoine François Jean Claudet (1797-1867), Henri d’Orléans, duc d’Aumale (1822‑1897), et François d’Orléans, prince de Joinville (1818‑1900), à Claremont, 1848. Photographie sur papier salé, 16,4 x 11,8 cm. Chantilly, château de Chantilly, inv. 2015.1.1, acquis grâce au soutien des Amis du musée Condé.

Antoine François Jean Claudet (1797-1867), Henri d’Orléans, duc d’Aumale (1822‑1897), et François d’Orléans, prince de Joinville (1818‑1900), à Claremont, 1848. Photographie sur papier salé, 16,4 x 11,8 cm. Chantilly, château de Chantilly, inv. 2015.1.1, acquis grâce au soutien des Amis du musée Condé. © RMN (domaine de Chantilly) – M. Urtado

Aumale bibliophile et historien

Le duc d’Aumale, réduit à l’oisiveté, va trouver des dérivatifs dans ses collections. Dès novembre 1848, dans une lettre à Cuvillier-Fleury, il se dit « atteint de la bibliomanie » : cette passion lui permet de réunir une des plus extraordinaires collections de livres précieux qui soient en France. En 1856, il a la chance d’acquérir à Gênes un manuscrit qu’on a dit être le plus beau du monde, Les Très Riches Heures du duc de Berry, peint par les frères Limbourg au début du XVe siècle. L’ancien élève de Jules Michelet et de Victor Duruy fait alors travail d’historien, faisant venir de Chantilly livres et archives et commençant à rédiger une monumentale histoire des princes de Condé aux XVIe et XVIIe siècles, qui l’occupera jusqu’à la fin de sa vie. Installé à Twickenham, il commence à collectionner tableaux et dessins, achetant parfois les œuvres par lots entiers. La fin de l’exil est marquée par plusieurs décès : après la mort de sa mère la reine Marie-Amélie (1866), le duc perd son fils aîné Louis d’Orléans, prince de Condé (1845-1866), à l’âge de 21 ans. Trois ans plus tard, son épouse meurt de la tuberculose, à 47 ans.

Franz Xaver Winterhalter, Portrait de Marie‑Caroline de Bourbon-Siciles, duchesse d’Aumale, 1844, en cours de restauration. Huile sur toile, 218 x 142 cm. Chantilly, château de Chantilly, dépôt du musée national du château de Versailles et des Trianons, inv. C383677.

Franz Xaver Winterhalter, Portrait de Marie‑Caroline de Bourbon-Siciles, duchesse d’Aumale, 1844, en cours de restauration. Huile sur toile, 218 x 142 cm. Chantilly, château de Chantilly, dépôt du musée national du château de Versailles et des Trianons, inv. C383677. © C2RMF – T. Clot

Orleans House : le laboratoire de Chantilly

Au début de l’exil anglais, le duc d’Aumale réside à Claremont avec les siens. En 1852, grâce à l’héritage des Condé, il achète non loin de là, à Twickenham, une belle propriété au bord de la Tamise où son père Louis-Philippe et sa famille ont vécu sous la Restauration, de 1815 à 1817, d’où son nom d’Orleans House. Cet achat montre la fidélité d’Aumale à son ascendance, qui sera un trait distinctif de son caractère et qui marquera le parcours de Chantilly. C’est à Twickenham que pendant près de vingt ans Aumale commence à collectionner livres, tableaux, dessins, objets d’art. Très vite, le lieu devient trop exigu : en 1859, le duc commande à son architecte Félix Duban une bibliothèque et un cabinet de travail à l’est de la maison, ainsi que, pour le parc, une chapelle qui ne semble pas avoir été construite. Après 1868, il se fait aménager une galerie de peinture, véritable préfiguration de celle de Chantilly. Aumale veut une architecture de fer, moderne et moins coûteuse : la galerie mesure 18 m de long (celle de Chantilly 25 m) et comporte un mur italien et un mur français ; les maîtres anciens sont placés en haut de cimaise, les contemporains en bas. En 1862, le duc accueille à Twickenham le très sélect Fine Arts Club, publiant un premier catalogue imprimé de ses collections contenant 738 notices. Il revendra Twickenham lorsqu’après le Second Empire il pourra rentrer en France et installer ses collections à Chantilly.

Armand Bernard (1829-1894), Orleans House à Twickenham, 1880. Huile sur toile, 125 x 185 cm. Chantilly, château de Chantilly, inv. PE 618.

Armand Bernard (1829-1894), Orleans House à Twickenham, 1880. Huile sur toile, 125 x 185 cm. Chantilly, château de Chantilly, inv. PE 618. © RMN (domaine de Chantilly) – A. Didierjean

Retour à Chantilly

Pendant la guerre de 1870, le duc d’Aumale, son frère le prince de Joinville et son neveu, le duc de Chartres, demandent à combattre, ce qui leur est refusé. La chute du Second Empire et l’avènement de la IIIe République permettent au duc de revenir en France en 1871. Élu député de l’Oise en 1871, président du conseil général de l’Oise, il entre dans la vie politique et se voit confier la présidence du procès du maréchal Bazaine. Le fils du dernier roi des Français reprend sa carrière militaire au service de la République et commande le 5e corps d’armée à Besançon. Dès son retour en France, il reprend possession de Chantilly et confie à l’architecte Honoré Daumet la restauration du Petit Château Renaissance élevé par Jean Bullant pour Anne de Montmorency et des appartements des princes de Condé décorés au début du XVIIIe siècle pour le duc de Bourbon. Il reprend son projet de 1847 de reconstruction du Grand Château rasé en 1798, dont il ne subsistait que les soubassements médiévaux, mais la mort de son dernier fils, François, duc de Guise (1854-1872), modifie le programme architectural : ce n’est plus une demeure, c’est un musée que Daumet construit pour installer les collections réunies en trente ans par le duc d’Aumale, et qui continuent à s’étoffer.

Léon Bonnat (1833-1922), Henri d’Orléans, duc d’Aumale en uniforme, 1880. Huile sur toile, 160 x 110 cm. Chantilly, château de Chantilly, inv. PE 552.

Léon Bonnat (1833-1922), Henri d’Orléans, duc d’Aumale en uniforme, 1880. Huile sur toile, 160 x 110 cm. Chantilly, château de Chantilly, inv. PE 552. © RMN (domaine de Chantilly) – R.-G. Ojeda

Une redécouverte : les portraits du duc et de la duchesse

Grâce aux Amis du Musée Condé, deux Portraits du duc et de la duchesse d’Aumale par Winterhalter sont en cours de restauration en 2022 dans le cadre du bicentenaire du duc d’Aumale. Recherchant un Portrait du duc d’Aumale jeune en pied en uniforme de l’armée d’Algérie, le musée Condé avait pris contact avec le château de Versailles qui en conserve plusieurs, par ou d’après Franz Xaver Winterhalter. Durant le confinement d’avril 2021, Versailles a examiné une grande toile roulée en réserve : bien que non signée, l’œuvre porte au revers la marque LP 5735 désignant la commande du roi Louis-Philippe en 1843 et comporte de nombreux repentirs, preuve qu’elle est originale. Lors de sa redécouverte, elle présentait d’importantes altérations structurelles, de nombreuses déchirures (4,40 m au total, dont une de 50 cm près du visage), des déformations et une toile originale oxydée. Les Amis du Musée Condé se sont engagés en décembre 2021 à prendre en charge la restauration du tableau, et le musée national du château de Versailles a déposé l’œuvre à Chantilly afin de la présenter au public. Son pendant, le Portrait de la duchesse d’Aumale par Winterhalter, autre original commandé par Louis-Philippe en 1844 et jusqu’alors en dépôt au château de Compiègne, vient d’être déposé à Chantilly par le château de Versailles. Les supports des deux œuvres ont été restaurés au C2RMF à Versailles, et les couches picturales sont traitées à Chantilly en 2022 sous les yeux du public, dans la galerie de Psyché où elles resteront exposées.

Franz Xaver Winterhalter, Portrait d’Henri d’Orléans, duc d’Aumale, 1843, en cours de restauration. Huile sur toile, 218 x 142 cm. Chantilly, château de Chantilly, dépôt du musée national du château de Versailles et des Trianons, inv. 10004.

Franz Xaver Winterhalter, Portrait d’Henri d’Orléans, duc d’Aumale, 1843, en cours de restauration. Huile sur toile, 218 x 142 cm. Chantilly, château de Chantilly, dépôt du musée national du château de Versailles et des Trianons, inv. 10004. © C2RMF – T. Clot

L’ultime horizon d’un prince collectionneur

En 1886, un nouveau drame frappe le prince : la loi d’exil chasse de France les chefs des anciennes maisons régnantes. Le duc n’est pas concerné par cette mesure, mais il n’admet pas que les princes de ces maisons soient dégradés : dans une très belle lettre au président de la République, il lui rappelle que « les grades militaires restent au-dessus de son pouvoir » et signe « le général Henri d’Orléans, duc d’Aumale ». Il quitte aussitôt Chantilly, emmenant avec lui ses deux tableaux de Raphaël, et s’installe à Bruxelles près de son neveu, le roi des Belges. En 1889, l’Académie des Sciences morales et politiques l’appelle une nouvelle fois parmi les membres de l’Institut de France. Rentré en France en juin 1889, il continue d’acquérir des œuvres majeures (signées Fouquet, Corot, Botticelli, etc.) et aménage pour ses collections l’aide dite « du Logis », destinée à l’origine à son neveu le comte de Paris, exilé hors de France. Il meurt le 7 mai 1897 dans sa propriété sicilienne du Zucco.

Les raisons d’une collection

Le duc d’Aumale est sans doute le plus grand collectionneur français du XIXe siècle. Héritier des Montmorency, des Condé et des Orléans, il veut en ce domaine rendre hommage à ses prédécesseurs et devient le grand mécène de la famille d’Orléans après la mort de son frère aîné, le prince royal, en 1842.

Un geste politique et symbolique

Au-delà de son éducation artistique et de ses goûts personnels, la collection du duc d’Aumale répond à une nécessité personnelle et politique : le duc est le descendant des Orléans dont la collection de tableaux formée par le Régent au début du XVIIIe siècle avait été dispersée à la Révolution : sa vie durant, Aumale cherchera à en racheter les éléments dispersés dans les collections anglaises. Peut-être faut-il y voir une manière – sinon inconsciente chez le duc d’Aumale, du moins jamais exprimée – d’effacer la « faute originelle » commise par son grand-père Philippe Égalité en 1793 en votant la mort de Louis XVI. Autre ombre qui plane sur Chantilly : la mort mystérieuse du duc de Bourbon en 1830. C’est à la suite du suicide – ou de l’assassinat – du dernier prince de Condé que le jeune duc d’Aumale hérite du domaine. Le rendre à la France soixante-dix ans plus tard avec une collection d’objets d’art de niveau international est une manière de faire oublier « le crime de Saint-Leu ». Surtout, le duc d’Aumale se présente comme le grand mécène de la famille d’Orléans après la mort prématurée en 1842 de son frère aîné le duc d’Orléans, qui soutenait néoclassiques et romantiques, appréciant aussi bien Ingres que Delacroix, Decamps et Marilhat.

Victor Louis Mottez (1809-1897), Henri d’Orléans, duc d’Aumale à Claremont, 1849-1850. Huile sur toile, 224 x 117,5 cm. Chantilly, château de Chantilly, inv. PE 496.

Victor Louis Mottez (1809-1897), Henri d’Orléans, duc d’Aumale à Claremont, 1849-1850. Huile sur toile, 224 x 117,5 cm. Chantilly, château de Chantilly, inv. PE 496. © RMN (domaine de Chantilly) – T. Ollivier

Héritier, mécène, collectionneur

Dès 1830, il hérite avec Chantilly d’œuvres importantes : L’Hallali du loup et L’Hallali du renard par Oudry, le Portrait de Mlle de Clermont par Nattier, les dix peintures animalières et les deux Singeries de Christophe Huet. Mais c’est surtout pendant l’exil qu’il développe sa collection en rachetant en 1852 celle de son beaupère le prince de Salerne (170 peintures italiennes, dont les Carrache du Palazzino Farnese, les Salvator Rosa et la Madone de Lorette alors identifiée à tort comme une copie d’après Raphaël). En 1853, il acquiert L’Assassinat du duc de Guise par Delaroche, commande de son frère aîné le duc d’Orléans, lors de la vente de la duchesse, puis en 1854 Le Massacre des Innocents de Poussin chez Colnaghi. En 1857, il rachète Le Déjeuner d’huîtres de Jean-François de Troy et Le Déjeuner de jambon de Lancret provenant de Louis-Philippe. En 1861, sur les conseils du sculpteur Triqueti, il acquiert en bloc les 386 dessins de Frédéric Reiset, le conservateur des dessins du Louvre : c’est l’origine du cabinet des dessins du musée Condé, réunissant Michel-Ange, Raphaël, une centaine de Poussin, Dürer… et l’année suivante, La Joconde nue, un grand carton attribué à Léonard de Vinci. En 1863, il achète la Stratonice d’Ingres en mémoire du duc d’Orléans. En 1868, la collection Maison fait entrer à Twickenham les orientalistes Decamps et Marilhat, des études de Prud’hon et des tableaux de Watteau, Greuze, Gros, etc. Après son retour en France, en 1876, le duc acquiert de Lord Gower les portraits historiques français d’Alexandre Lenoir, le créateur du musée des Monuments français (Molière par Mignard, Marie-Antoinette dauphine par Drouais et de nombreux portraits de la Renaissance). En 1879, il achète l’ensemble de quarante tableaux de Frédéric Reiset (Fra Angelico, Piero di Cosimo, Poussin, Ingres) et, en 1889, plus de 300 portraits dessinés de Clouet provenant de la collection Carlisle : Chantilly devient ainsi l’un des hauts lieux du portrait de la Renaissance française. Le duc complète l’ensemble en 1890 par un Corot, Le Concert champêtre, avant d’acheter en 1891 en Allemagne, à Brentano, les quarante enluminures de Jean Fouquet pour le Livre d’heures d’Étienne Chevalier.

Victor Louis Mottez, Marie‑Caroline de Bourbon‑Siciles, duchesse d’Aumale à Claremont, 1851. Huile sur toile, 233 x 119 cm. Chantilly, château de Chantilly, inv. PE 778.

Victor Louis Mottez, Marie‑Caroline de Bourbon‑Siciles, duchesse d’Aumale à Claremont, 1851. Huile sur toile, 233 x 119 cm. Chantilly, château de Chantilly, inv. PE 778. © RMN (domaine de Chantilly) – M. Beck-Coppola