Le livre de la semaine : Un Toscan à Paris, le Journal de Lorenzo Magalotti

Pierre Aveline, Intérieur de Notre-Dame, début du XVIIe siècle. Estampe à l'eau-forte, 28,3 x 42,3 cm. Paris, musée Carnavalet - Histoire de Paris. Photo CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet - Histoire de Paris
Silvana Editoriale et le Mobilier national livrent au lectorat francophone un fort intéressant document avec ce Journal de France de l’année 1668. Sous la plume érudite (et acérée…) de Lorenzo Magalotti, c’est la France des arts et des sciences d’un Louis XIV tout juste trentenaire qui vit et s’anime.
Il existe sans doute une curiosité un peu masochiste à vouloir savoir ce que vos voisins pensent de vous. Dans le cas des relations séculaires de l’Italie avec la France, l’étude des écrits des voyageurs italiens de tout acabit révèle, dans le temps long, des sentiments que l’on qualifiera de curiosité rosse ou d’admiration aigre. Ce riche compte-rendu d’un agent diplomatique envoyé en France, à la fin des années 1660, pour informer Côme III de Médicis, grand-duc de Toscane, ne fait pas exception à cette règle. Mais le Journal1 de Lorenzo Magalotti recèle, au-delà des flèches qu’il contient (et qui rappellent celles du fameux Journal de voyage en France [1665]2 d’un Bernin décidément improbatif), une somme d’informations qui en font un document de choix pour l’historien.
Diario di Francia
Gentilhomme issu d’une vieille famille florentine (né à Rome, cela arrive), très consistant intellectuellement parce que formé à la fois aux lettres, aux langues et aux sciences, Lorenzo Magalotti (1637-1712) circula en Europe au point d’être qualifié hyperboliquement d’« Ulysse de la Toscane » (ou de « Postillon de l’Europe », ce qui n’offre pas la même grandeur épique). C’était peut-être un peu exagéré, mais c’est un personnage instruit, avisé – l’époque aurait dit rassis – bien que jeune encore, qui fut envoyé par le grand-duché à Paris et alentour. De cette mission diplomatique française subsiste un journal (Diario), courant d’avril à juillet 1668, dont une copie, matière du présent ouvrage, est conservée aux Archives d’État à Florence. Ce document, bien connu des historiens, et dont deux éditions modernes avaient déjà été données (1968 et 1991), n’avait jamais été traduit en français, entreprise bienvenue et qui a été difficile à mener eu égard à la désinvolture de l’auteur (et du copiste) dans la transcription des noms et des lieux. Cette édition, qui corrige certaines erreurs des publications antérieures, a encore le mérite d’offrir un appareil de notes dense qui facilitera l’appréhension du texte par les lecteurs non dix-septiémistes. Une iconographie bien choisie donne, par ailleurs, à voir certains des personnages rencontrés par Magalotti et des sites qu’il a pu visiter avec une capacité à s’émerveiller que l’on qualifiera de parcimonieuse.
« De cette mission diplomatique française subsiste un journal (Diario), courant d’avril à juillet 1668, dont une copie, matière du présent ouvrage, est conservée aux Archives d’État à Florence. »

Un visiteur critique
Fort de son statut semi-officiel, bien introduit à la cour et chez les Grands, Magalotti entreprend de dresser à Paris et au-delà (il visite Versailles et Saint-Cloud naturellement, mais aussi le château de Maisons bâti par Mansart) un bref panorama, peu complaisant, du monde culturel et scientifique français embrassant le mécénat royal en plein essor aussi bien que les collections des curieux plus ou moins huppés, sans négliger lieux de culte, promenades plantées et boutiques. Le Journal contient à cet égard nombre de pages supérieurement intéressantes : visite de l’Académie royale de peinture et de sculpture, de la Bibliothèque royale et du cabinet des Médailles, du cabinet des Peintures de Louis XIV au Louvre, de la manufacture des Gobelins, etc. On s’amuse devant l’agacement du Toscan face à l’affirmation d’une hégémonie française, y compris culturelle, en Europe qui lui fait trouver ses hôtes suffisants et le goût pour le clinquant des Français très en dessous de l’excellence (laquelle est, comme chacun sait, italienne). L’ouvrage vaut enfin par des « échappées littéraires » à travers lesquelles l’agent diplomatique soucieux de collecter faits et chiffres cède le pas à un observateur singulier doté d’un réel tempérament poétique. La vision, à Saint-Cloud, de Louis XIV conduisant « une sorte de char triomphal tout doré et peint […] rempli de dames » (notamment la duchesse de La Vallière et la marquise de Montespan), celle des baigneurs et des baigneuses s’ébattant dans la Seine « hors de la porte Saint-Bernard », qui appelle sous la plume de l’Italien le souvenir de l’Arcadia, poème magistral de Sannazaro (1504), mériteraient, parmi d’autres, de trouver leur place dans une anthologie des textes des visiteurs de la France du Grand Siècle.
« On s’amuse devant l’agacement du Toscan face à l’affirmation d’une hégémonie française, y compris culturelle, en Europe qui lui fait trouver ses hôtes suffisants et le goût pour le clinquant des Français très en dessous de l’excellence (laquelle est, comme chacun sait, italienne). »
1. Le point est débattu, mais il s’agit, plus que d’un « journal », d’une série de rapports adressés au grand-duc dans la perspective d’un voyage imminent chez le voisin français.
2. Rédigé non par Bernin, mais par Paul Fréart de Chantelou, cité ici par Magalotti qui se rendit chez lui.
Lorenzo Magalotti, Journal de France de l’année 1668. Un diplomate florentin à Paris sous Louis XIV, Silvana editoriale / Mobilier national, déc. 2024, 216 p., 28€. Traduit par A. Russo avec la collaboration d’E. Federspiel, édité, présenté et annoté par E. Federspiel, A. Russo et T. Sarmant





