Mai 2025 : notre sélection de livres d’art

Détail de la couverture du livre Études sur la sculpture offertes à Geneviève Bresc-Bautier, textes réunis par Sophie Jugie et Guilhem Scherf. © Mare & Martin
L’Objet d’Art vous propose ce mois-ci de vous plonger avec émerveillement dans des vies religieuses miniatures, de découvrir un riche hommage à une éminente spécialiste de la sculpture ainsi qu’un nouveau format de livre d’art aux éditions Gallimard.
Des nonnes en boîte
Les amateurs et les chineurs le savent : on peut parfois trouver, dans une brocante, dans un grenier ou dans le fond d’un magasin d’antiquaire, une boîte en carton aménagée, qui renferme de petites religieuses sous forme de poupées, vaquant à leurs occupations dans leur cellule. Ces maquettes, minutieusement reconstituées, sont une tradition du travail conventuel, qui est encore aujourd’hui vivace dans certains ordres. Quand cette habitude est-elle née ? Et à quelle fonction répondaient ces objets d’un genre particulier ? C’est précisément le but de ce beau livre collectif, abondamment illustré, que de donner des réponses multiples à ces questions, sans mettre de côté les difficultés de restauration et les problèmes de muséologie posés par ces œuvres.
Dans toute l’Europe, les religieuses ont mis en scène leur vie en fabriquant de leurs mains ce que l’on nomme des « boîtes de nonnes ». Si les items conservés datent le plus souvent du XIXe siècle et du début du XXe siècle, certains d’entre eux, plus rares, peuvent être situés pendant le Siècle des Lumières. Ils montrent dans leur grande majorité une religieuse isolée, priant, lisant ou s’adonnant à la couture, assise à terre devant sa paillasse, en signe d’humilité. Le travail de maquette peut être grossier ou raffiné (on relève même l’existence de cellules dans des coquilles d’œufs ornementées), mais dans tous les cas, les matériaux utilisés sont issus de la récupération. Les chutes de tissus forment l’habit monastique, les couvertures et les draps. Les meubles sont de papier, d’osier ou assemblés à partir de morceaux de bois ; les murs sont quant à eux fréquemment ornés de gravures miniatures, qui faisaient partie de « kits », destinés à confectionner l’intérieur des boîtes. Les têtes des poupées elles-mêmes sont de chiffon, de cire ou de papier ; pour les plus recherchées, elles sont en porcelaine (le celluloïd ou la photographie les remplacent de temps à autre au XXe siècle). Rien de précieux donc dans ces artefacts, qui charment pourtant par leur caractère à la fois pittoresque et émouvant. Le mystère qui en émane n’est du reste pas le moindre de leur attrait, car aucune source documentaire ou littéraire n’explique à qui ces boîtes étaient destinées, ni même à quoi elles servaient. On a longtemps supposé qu’elles étaient des cadeaux pour la famille des moniales : leurs proches auraient eu de cette façon une idée de l’impénétrable clôture. Cependant, beaucoup demeuraient au sein des couvents. L’on sait que plusieurs furent des offrandes réciproques entre sœurs, qui réaffirmaient ainsi leurs vœux et les réactivaient. D’autres étaient encore une simple récréation manuelle, qui permettait aux religieuses de travailler ensemble, tout en respectant les règles austères de leur ordre. On peut citer à cet égard les carmélites, qui furent d’inventives créatrices de cellules de nonnes. Enfin, certaines boîtes, totalement fermées par des vitres, confinaient au reliquaire…
Tout l’intérêt du livre tient à la pluralité des points de vue, qui montre la richesse de ces petites boîtes. Malgré leur caractère modeste et périssable, leur présence s’impose par leur virtuosité technique et par leur portée, qui touche autant à la profondeur de la foi qu’au geste mémoriel de femmes anonymes, néanmoins immortalisées par une image sublimée de leur intimité. C.G.
Élisabeth Lusset et Isabelle Heullant-Donat (dir.), Une vie en boîte. Cellules de religieuses et maquettes de couvent (XVIIIe-XXIe siècle), Éditions de la Sorbonne, 2025, 392 p., 39 €.
Mélanges en l’honneur de Geneviève Bresc-Bautier
Plus d’une trentaine d’essais, aussi passionnants que divers, témoignages d’admiration et d’affection, sont ici offerts à Geneviève Bresc-Bautier. Certains constituent de véritables découvertes, comme cette Mort d’Adonis d’après Rosso Fiorentino (chez Édouard Ambroselli). Arnauld Brejon de Lavergnée découvre à Naples un magnifique buste en bronze du poète Marino par Christophe Cochet. De coquins satyres bellifontains sont mis en valeur par Pascal Julien. Malcolm Baker présente de beaux groupes en marbre par Dominique Lefèvre et Claude David, artistes trop méconnus. La brillante carrière de Jacques Clérion est ressuscitée. Florence Rionnet montre comment certains artistes ont su « sculpter le vent ». En introduction, Geneviève Bresc-Bautier relate de façon enjouée par quels méandres inattendus elle en est venue à se consacrer à la sculpture française des XVIe et XVIIe siècles, elle qui avait d’abord été médiéviste, ayant consacré sa thèse pour l’École des Chartes au sujet suivant : « Le Saint Sépulcre et l’Occident au Moyen Âge ». Elle fit des fouilles en Sicile où elle mit au jour des monnaies antiques. Titulaire d’un poste au palais Farnèse, elle fut choisie pour dépouiller des milliers de bulles pontificales. En 1976 enfin lui a été offert un poste au département des Sculptures du Louvre que, bientôt, elle dirigea. Cette « entrée en religion » – tels sont ses termes – dévorante s’est accompagnée d’un enseignement très prenant à l’École du Louvre, où elle a transmis sa flamme à de nombreux jeunes chercheurs. F.d.L.M.
Études sur la sculpture offertes à Geneviève Bresc-Bautier, textes réunis par Sophie Jugie et Guilhem Scherf, coédition Mare & Martin / musée du Louvre éditions, 2025, 440 p., 49 €.
Le Pop-Art selon Gallimard
Les éditions Gallimard lancent une toute nouvelle collection de livres-objets s’adressant à tous les publics, intitulée Pop-Art. Les quatre premiers opus, qui viennent de paraître, sont consacrés à de grandes figures de l’art : Katsushika Hokusai, Vincent van Gogh, Frida Kahlo et Édouard Manet. Les textes, rédigés par des historiens de l’art, suivent le fil chronologique de la vie des artistes. En fin d’ouvrage sont indiqués les lieux où l’on peut voir leurs œuvres, ceux qui ont jalonné leur existence, les films à voir et les émissions à podcaster, ainsi qu’une courte bibliographie. Chaque fascicule, d’un format poche (12 x 17,5 cm), se présente dans un étui ; à la suite d’un simple pliage, il se métamorphose en objet. Cette opération est réversible, ainsi le lecteur a tout le loisir de ranger l’ouvrage dans son étui après lui avoir redonné sa forme initiale. N.d’A.
Vincent van Gogh par Stéphane Lambert, Katsushika Hokusai par Aurélie Samuel, Frida Kahlo par Maurine Roy, Édouard Manet par Stéphane Guégan, collection Pop-Art, Gallimard, 2025, 44 p., 8,90 €.