Corinne Copie : parcours d’une enseignante en reliure

Atelier de reliure « Annie Persuy » aux ateliers du Vésinet. © Lorraine de Gouville
Professeur de reliure depuis 25 ans aux Ateliers d’Arts Appliqués du Vésinet, Corinne Copie est une personnalité de cette institution connue des amateurs et futurs professionnels. Elle aime transmettre ses savoir-faire et sa rigueur dans le but de faire perdurer les techniques traditionnelles.
C’est dans l’un des ateliers du Vésinet, celui nommé « Annie Persuy », une des fondatrices de l’AAAV, que Corinne Copie reçoit ses élèves chaque semaine en cours de deuxième année ainsi que « tous niveaux ».
Une carrière d’enseignante
Après des études à l’Union centrale des arts décoratifs (UCAD), et l’obtention des diplômes de CAP plaçure et reliure main1 (1986), Corinne Copie se destine rapidement à une carrière d’enseignante auprès de publics très diversifiés. Elle commence en Centre d’aide par le travail auprès de personnes en situation de handicap. Elle leur apprend à se familiariser avec les outils et les gestes de la reliure courante et évalue leurs capacités. Ensuite, ses élèves pouvaient être chargés de la plastification d’ouvrages pour les bibliothèques de la Ville de Paris.
Entre atelier et animations
Dès le début, les semaines de Corinne Copie sont bien remplies. Le soir, dans son premier atelier de Colombes, elle exécute des reliures traditionnelles pour sa propre clientèle. À une époque où la transmission des techniques de cartonnage n’est pas très courante, la relieuse se spécialise en donnant des cours au centre culturel de Puteaux, devenu ensuite Palais de la culture. Pour le groupe de retraités les « Toujours jeunes de Montrouge », elle anime des cours de reliure tout en travaillant en parallèle dans l’atelier de Florent Rousseau, relieur rencontré pendant ses études à l’UCAD. « Je ne refusais pas le travail, et je prenais tout ce qu’on me donnait à faire », confie-t-elle. Pour le magasin Rougier & Plé à Nanterre qui, dans les années 1980, vendait beaucoup de matériel de reliure, elle prépare des animations à destination d’une clientèle fidèle, qui vient découvrir les outils et les étapes techniques de la reliure. Chaque présentation est chronométrée pour rythmer la démonstration de façon dynamique. Puis, en 2009, Corinne Copie a l’occasion de prendre la suite des cours « tous niveaux » donnés par Godelieve Dupin de Saint-Cyr à l’AAAV, puis ceux de 2e année, donnés par Marie-Pia Jousset. Les ex-enseignantes lui donnent alors des conseils avisés et lui transmettent leurs programmes de cours.
Aujourd’hui, Corinne Copie travaille toujours dans son atelier (qu’elle a transféré à Conflans-Saint-Honorine). Sa spécialité est principalement la plaçure, qu’elle met au service de Florent Rousseau, relieur de création, et de Frédérique Brun, restauratrice. En plus des cours au Vésinet, elle continue à enseigner au Palais de la culture de Puteaux.
Exemplaire-modèle pour le cours de 2e année de reliure à l’AAAV : reliure demi-cuir à coins dos long ou à faux-nerfs. © Lorraine de Gouville
« En 2009, Corinne Copie a l’occasion de prendre la suite des cours “tous niveaux” donnés par Godelieve Dupin de Saint-Cyr à l’AAAV, puis ceux de 2e année, donnés par Marie-Pia Jousset. »
Préparation au CAP
Une réflexion est menée en équipe sur les objectifs du cursus en trois ans de l’AAAV, mais chacun est libre dans son fonctionnement. La 1re année est pilotée par Héléna Frere. Il est possible de poursuivre en 3e année avec Laurence Larrieu. Tout dépend du budget des élèves et d’un éventuel financement par un organisme de formation. L’activité principale de Corinne est donc la prise en charge du cours de 2e année ainsi que la préparation à l’examen du CAP « Arts de la reliure ». L’accent est mis sur les reliures demi-cuir dans le respect du référentiel du CAP. Mais ce type de cours va au-delà des figures imposées car les élèves apprennent également la reliure soignée plein cuir et l’étui bordé en cuir. Ces cours sont associés à la préparation aux épreuves du CAP : il faut réaliser deux reliures, un exercice de plaçure et un exercice de dorure en seulement seize heures. Lors du « CAP blanc », Corinne scrute, repère et prend en note les points techniques à améliorer pour chaque élève. Puis vient le temps du « debriefing », où chacun voit son travail corrigé et annoté. Le plus important est que les élèves comprennent à quoi correspond chaque geste, chaque étape et pourquoi ils le réalisent. Le plus difficile est de bien s’organiser et, surtout, de respecter le cahier des charges imposé pour pouvoir valider l’examen.
Corinne Copie avec ses élèves dans l’atelier « Annie Persuy » à l’AAAV.
Des cours pour amateurs
Le deuxième type de cours réguliers pris en charge par Corinne Copie est le « tous niveaux », au Palais de la culture de Puteaux et à l’AAAV. Ce sont des amateurs éclairés, qui avancent sur leur projet personnel. Cependant, elle leur propose un sujet commun qui peut prendre la forme d’une structure originale ou classique de reliure.
Enfin, elle anime ponctuellement des stages de deux jours. Par exemple, en novembre 2024, a eu lieu un stage sur la fabrication de l’étui Davidoff (étui à fourreau, avec un gainage en cuir et couvert en papier). Les stagiaires devaient avoir certains prérequis techniques ainsi qu’un livre à protéger. « À la fin du stage, tous les livres sont rentrés dans les étuis ! », précise Corinne.
Exemplaire-modèle pour le stage consacré à l’étui Davidoff, sur le principe de la boîte à fourreau à dos arrondi, gainé avec un listel en cuir et couvert en papier décoré. © Lorraine de Gouville
L’apprentissage des élèves…
Ce qui caractérise le plus un enseignement, c’est la préparation des cours. En effet, Corinne Copie est sur plusieurs fronts : elle prépare les sujets et le matériel pour le « CAP blanc », mène une veille professionnelle sur Internet, repère des formes intéressantes de cartonnage ou de reliure. Elle prend le temps de réaliser un « exemplaire-modèle », afin que l’élève visualise l’objectif. À ce moment-là, chaque étape est chronométrée, les difficultés évaluées et la chronologie des opérations constituée. La fabrication devient alors accessible aux élèves de façon efficace dans le temps imparti. Pendant le cours, ces derniers observent la démonstration, prennent des notes et des photos, puis réalisent l’étape de reliure à leur tour. Lorsque quelqu’un n’y arrive pas, elle lui propose de répéter exactement les gestes effectués lors de la phase d’observation. Certaines étapes sont laborieuses. Selon Corinne, « pour réussir, l’élève doit être dans l’acceptation de ses difficultés ». Elle se perçoit comme autoritaire, du moins au début de sa carrière : « Je tenais à conserver la rigueur et l’exigence acquise à l’UCAD, cela me tenait à cœur. » Avec l’expérience, l’enseignante est désormais plus patiente, mais elle garde cette exigence des débuts.
…au profil varié
Le profil des élèves suivis est assez divers. Dans la journée, les inscrits sont surtout des amateurs à la retraite. Les cours du soir sont plutôt pour les actifs trentenaires. Les cours de reliure sont souvent mixtes alors que ceux de cartonnage sont très féminins. Actuellement, il y a des jeunes d’une vingtaine d’années, qui souhaitent se professionnaliser. Parmi les anciens élèves, certains s’installent en tant que professionnels et peuvent donner des cours à leur tour, d’autres reviennent aux Journées portes ouvertes, suivent des stages spécifiques ou s’orientent vers les cours de restauration.
Corinne Copie aide une élève à endosser son livre.
Une activité de reliure de création
Si l’activité principale de Corinne est l’enseignement, elle participe régulièrement à des expositions en proposant ses propres reliures de création, à l’AAAV bien sûr, mais aussi à l’Appar (Association pour la promotion des arts de la reliure, autrefois Air Neuf) avant sa dissolution. Après une première exposition collective en 2002 pour « Air Neuf prend des couleurs » à la Bibliotheca Wittockiana à Bruxelles, elle participe à l’exposition « D’or et d’argent » en 2004 à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris. L’ouvrage présenté est le livre d’artiste Tallulah, Darling sur les chansons de Caroline Loeb, monté sur onglet et relié à la façon extrême-orientale. Corinne utilise ici la particularité du matériau pour construire son décor en réinvestissant les principes créatifs des pochoirs de l’artiste Mr. Lolo. Les profils de visage sont évidés sous le matériau de couvrure en papier perforé, créant ainsi un contraste vide/plein, tout en restant sur une unité colorée.
Tallulah, Darling et autres chansons de Caroline Loeb, livre d’artiste illustré de pochoirs originaux de Mr. Lolo, imprimé à 50 exemplaires numérotés, Éditions du Rouleau libre, 1992. Reliure extrême-orientale en cuir et papier argenté présentée à l’exposition « D’or et d’argent » à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris en 2004. © Lorraine de Gouville
Pour l’exposition à la bibliothèque municipale de Grenoble en 2010-2011, « Livres d’artiste, artistes du livre : la reliure contemporaine rencontre Marc Pessin », elle présente en premier lieu les gaufrages de l’artiste et en admire l’esthétique avant de présenter sa reliure de création. Pour ce décor, elle joue encore sur la découpe et le rapport dessus/dessous. Sur cette reliure souple, le cuir vert est découpé en fines bandes sur une partie du plat. Elles sont ensuite rassemblées en certains points d’intersection afin de former une grille ou un tissage laissant apparaître une soie sous la surface de la peau.
D’Alembert. Traité de l’équilibre et du mouvement des fluides, illustré par Marc Pessin. Reliure souple en plein cuir et soie verte de Corinne Copie, exposition « Livre d’artiste, artistes du livre : la reliure contemporaine rencontre Marc Pessin » à la bibliothèque municipale de Grenoble en 2010-2011. © Lorraine de Gouville
Enfin, pour la dernière exposition en date à l’AAAV, en juin 2024, « L’AAAV prend des couleurs : reliures monochromes », Corinne Copie a choisi Le Rose. Le dictionnaire des mots et expressions de couleur. XXe-XXIe siècle et a réalisé un camaïeu de roses sur une reliure à plats rapportés avec passure en carton décorative. Une nouvelle fois, la relieuse jour sur le rapport du dessus/dessous. Le décor se situe sous la surface de la peau. La matière est moulée pour créer le décor. Elle a également créé des faux-nerfs à l’aide de rubans décoratifs passés dans les plats.
A. Mollard-Desfour et B. Cerquiglini, Le Rose. Le dictionnaire des mots et expressions de couleur. XXe-XXIe siècle, CNRS éditions, 2002. Reliure à plats rapportés et passure en carton décorative. © Lorraine de Gouville
Une passion pour les papiers décorés
En parallèle, sa passion est la collecte des papiers décorés de différentes créatrices contemporaines. Elle cherche constamment à mettre en correspondance les tons, le nombre des couleurs et les rapports colorés de ses papiers avec les illustrations ou les couvertures des livres à relier. « C’est comme si certains papiers étaient prédestinés à un livre. » Pour protéger un bradel plein papier composé de lignes verticales bleues et d’un camaïeu de brun clair, elle choisit le même papier pour l’étui de la reliure. Elle pousse alors le « sur-mesure » jusqu’à raccorder les lignes entre les deux parties de l’étui, mais aussi entre intérieur et extérieur. Lorsqu’on ouvre l’étui, une continuité s’établit, montrant un vrai respect du papier décoré et de son motif.
Un rapport exigeant au métier
L’exigence technique et la rigueur sont les deux qualités que s’impose Corinne Copie dans sa pratique. C’est ainsi qu’elle a appris la reliure et c’est ainsi qu’elle la transmet à ses élèves. Comme tout artisan, elle a son « cheval de bataille » : l’intransigeance. Elle montre volontiers les gabarits de grecquage et de cartes à nerfs utilisés en reliure. Pour elle, il est très important que les deux soient en correspondance pour que les clients aient une uniformité de dos dans leur bibliothèque. Face aux nombreux tutoriels vidéo et cours « en kit » de reliure simplifiée, elle craint qu’il y ait une perte de savoir-faire. Elle tient à ce que l’endossure propre à la reliure traditionnelle perdure. Elle tient également à garder une approche sensible du métier : « Avec l’utilisation des outils numériques pour la réalisation des décors, il manque l’esthétique si particulière du travail de la main. » C’est le temps du « faire » qui lui plaît. Ce temps qui est le facteur qui guide la carrière de Corinne Copie : le temps des cours à faire correspondre aux temps de réalisation, le temps de préparation à mettre en parallèle avec le temps de travail des élèves, le temps de coordonner les différences de vitesse d’avancement des élèves. C’est aussi le temps de créer et de créer à nouveau.
« L’exigence technique et la rigueur sont les deux qualités que s’impose Corinne Copie dans sa pratique. C’est ainsi qu’elle a appris la reliure et c’est ainsi qu’elle la transmet à ses élèves. »
Corinne Copie, enseignante aux Ateliers d’Arts Appliqués du Vésinet, 28bis, chemin du Tour-des-Bois, 78400 Chatou. Tél. : 01 39 52 85 90, aaav.asso.fr
Atelier : 1bis, rue du Bel Air, 78780 Maurecourt, uniquement sur rendez-vous. Tél. : 06 61 46 11 00, courriel : corinne.copie@laposte.net
1 À l’époque, il y avait deux CAP de reliure : le CAP jeunes filles, consacré à la plaçure, et le CAP jeunes gens pour la reliure main.





