Histoire d’un livre : un album de photographies du début du XXe siècle
![Jacques de Dampierre (1874-1947), [Promenades archéologiques], album de 195 photographies, vers 1900. Bibliothèque de l’École nationale des chartes, 4R127. Achat à la librairie Denis Canguilhem, 2024.](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2025/04/preview_Ill.1.jpg)
Jacques de Dampierre (1874-1947), [Promenades archéologiques], album de 195 photographies, vers 1900. Bibliothèque de l’École nationale des chartes, 4R127. Achat à la librairie Denis Canguilhem, 2024. © Bibliothèque de l’École nationale des chartes – PSL
Une des missions que se donne la bibliothèque de l’École nationale des chartes – PSL est de réunir et diffuser des documents sur l’histoire de l’institution. Elle a ainsi acheté en 2024 un exceptionnel recueil de photographies privées qui documente les pratiques à la fois amicales, de loisir et savantes des élèves de l’époque. Au travers de ces 200 documents, le jeune Jacques de Dampierre et ses amis, élèves de l’École, s’initient à l’architecture médiévale dans les environs de Paris : ils créent ainsi leur propre manuel visuel sur le sujet.
Au-delà des antiques ouvrages ou des estampes qui permettent de documenter les pratiques éditoriales d’Ancien Régime et de former l’œil de nos élèves ; au-delà des textes qui présentent encore un intérêt, si ce n’est historique du moins historiographique, pour le chercheur d’aujourd’hui, les acquisitions de la bibliothèque de l’École des chartes répondent à une troisième thématique : sa propre histoire ! D’aucuns trouveront nombriliste d’ainsi admirer son propre passé. Mais il est besoin de connaître l’histoire pour bâtir l’avenir et nous verrons au travers du modeste exemple proposé ici que l’intérêt des témoignages acquis par l’école va bien au-delà du gonflement de l’ego.
L'album de photographies fermé. © Bibliothèque de l’École nationale des chartes – PSL
Jacques de Dampierre, élève de la promotion 1902
Par un beau jour de l’hiver 2024, donc, un libraire bien connu du monde de la photographie est venu nous proposer l’achat d’un recueil de clichés vieux d’un bon siècle. Il y a peu de temps encore, nous aurions négligé un tel achat, renvoyant peut-être aux Archives nationales, qui conservent les archives de l’École. Mais la bibliothèque a choisi de consacrer une partie de son offre numérique à sa propre histoire à travers des documents – cet album de photos est donc l’occasion d’aborder des thèmes choisis et de faire sortir de l’oubli la figure de Jacques de Dampierre, élève de la promotion 1902.
Les élèves attablés autour d’un bon repas dans une auberge de Liancourt. © Bibliothèque de l’École nationale des chartes – PSL
De l’École des chartes à un rôle majeur dans la Grande Guerre
Jacques de Dampierre (1874-1947), archiviste paléographe, est donc l’auteur des photographies consciencieusement rangées dans cet album. Né dans une famille noble et titrée, impliquée dans la politique, orphelin de père à l’âge de deux ans, Jacques de Dampierre grandit en Anjou et intègre l’École des chartes en 1896. Comme une partie de sa famille avait fait fortune aux Antilles, il choisit de consacrer sa thèse aux Antilles françaises avant Colbert. Les sources, les origines (1902). Il se marie dès 1899 et a rapidement trois fils. Bien qu’il ne soit pas appelé à participer à la Première Guerre mondiale, il désire apporter son aide à son pays et prend contact avec les services de propagande. Il travaille pendant toute la guerre à recueillir des documents et des témoignages à charge contre l’Allemagne afin de convaincre les pays neutres de s’engager avec la Triple-Entente : cette approche fondée sur les sources l’amène à rédiger un ouvrage, L’Allemagne et le droit des gens, qui a une influence directe sur l’entrée en guerre des États-Unis en 1917. Il poursuit son travail d’organisation des publications administratives et des services d’archives et de bibliothèque, ce qui en fait l’un des pionniers des services de documentation français. Il meurt en 1947.
Par ailleurs châtelain dans la région d’Angers, conseiller général du lieu à la suite de son beau-père, maire du village de Villemoisan, c’est une sommité angevine impliquée dans le fonctionnement de l’hôpital ou des sociétés d’agriculture. Bref, Jacques de Dampierre est un notable local, typique d’un certain milieu attiré par l’École des chartes en cette fin de xixe siècle, et qui fait une solide carrière au gré des événements du temps.
Le château de Coucy. © Bibliothèque de l’École nationale des chartes – PSL
« Jacques de Dampierre est un notable local, typique d’un certain milieu attiré par l’École des chartes en cette fin de XIXe siècle, et qui fait une solide carrière au gré des événements du temps. »
Documenter une jeunesse studieuse
Le programme de cours de l’École des chartes est alors très restreint : un élève n’a que trois ou quatre séances par semaine. Pour le reste, on attend de lui qu’il travaille à sa thèse et qu’il se cultive. Cette grande liberté offre du temps au jeune Jacques de Dampierre pour aller visiter les monuments dont il entend parler lors des cours d’archéologie médiévale qu’il suit assidûment.
Accompagné de quelques-uns de ses amis comme Paul Denis (promotion 1900), Augustin Cochin (promotion 1902), Paul Deslandres (promotion 1898), Étienne Guillemot (promotion 1900), Jacques de Dampierre donne ainsi une idée des intérêts intellectuels des jeunes chartistes qui désirent illustrer par la réalité les cours d’architecture médiévale, et témoigne de la sociabilité étudiante chartiste au tournant du siècle. On voit les jeunes gens à l’arrière d’un wagon de chemin de fer, poser dans une église… ou prendre un repas bien arrosé dans une auberge de Liancourt !
Coucy, avec une photographie de ses camarades. © Bibliothèque de l’École nationale des chartes – PSL
Pérégrinations en Île-de-France, en Picardie et en Champagne
Au fil des pages, on suit notre jeune homme dans ses pérégrinations en Île-de-France, en Picardie, en Champagne, qui ont pour but la visite de monuments civils ou religieux du Moyen Âge. Si certains édifices sont bien connus et documentés (Notre-Dame de Paris, la basilique de Saint-Denis, Chartres…), le recueil a un intérêt documentaire pour d’autres bâtiments. On y trouve des photographies prises dans des petits villages : l’abbaye de Saint-Germer, l’église de Bury ou le château de Coucy. Certains de ces monuments médiévaux ont connu les affres du temps (à commencer par Reims !) ou ont tout simplement été détruits, comme la collégiale Saint-Évremond de Creil dès 1904.
À travers le regard d’un apprenti historien, à travers les balades d’un jeune homme et de ses amis, à travers les recommandations de visites d’un professeur de l’École des chartes à ses élèves, c’est ainsi la France de 1900 qui défile devant nos yeux par le biais d’un patrimoine civil et religieux qu’on apprenait à connaître et à protéger.
La collégiale Saint-Évremond à Creil, aujourd’hui détruite. © Bibliothèque de l’École nationale des chartes – PSL
« À travers le regard d’un apprenti historien, à travers les balades d’un jeune homme et de ses amis, à travers les recommandations de visites d’un professeur de l’École des chartes à ses élèves, c’est ainsi la France de 1900 qui défile devant nos yeux. »
La rédaction remercie la bibliothèque de l’École nationale des chartes – PSL pour son aimable autorisation de reproduction.