La bibliophilie contemporaine s’expose à Chantilly

Edmond d’Haraucourt, L’Effort, ill. de Carlos Schwabe, Alexandre Lunois, Léon Rudnicki et alii, ouvrage dirigé par Octave Uzanne, Société des bibliophiles contemporains, 1894. © Musée Condé
Le duc d’Aumale, « prince des bibliophiles », possédait une remarquable collection. Ce que l’on sait moins, c’est qu’après sa mort en 1897 nombre de sociétés de bibliophilie ont légué leurs ouvrages au cabinet des Livres du château de Chantilly. Cette exposition dévoile un florilège des merveilles qu’il conserve, dressant un riche panorama de la création bibliophilique du XIXe à nos jours.
Si Henri d’Orléans, duc d’Aumale, grand amateur de beaux livres et de reliures, collectionnait les manuscrits et imprimés anciens, il était également attentif à l’évolution des livres de son temps.
Savoir-faire artisanaux traditionnels mis à l’honneur
À partir de la seconde moitié du XIXe, et plus encore à la fin, naît en effet un réel engouement pour la publication de livres illustrés de littérature contemporaine… qui ne se démentira pas aux siècles suivants. Artistes et écrivains modernes sont associés dans les pages des livres, les éditeurs, dont les sociétés de bibliophilie, recherchent le meilleur agencement des textes et des illustrations pour des éditions à tirage limité, mettant à l’honneur un savoir-faire artisanal traditionnel : gravures originales, papiers de qualité, tirages soignés, tout est mis en œuvre pour que le livre soit un objet d’art. Il se fera désormais l’écho des mouvements artistiques du moment – Belle Époque, Arts and Crafts, Art déco, cubisme… – traduits par les techniques de l’estampe et des procédés d’impression innovants.
Boris Vian, Le Rappel, 10 sérigraphies originales de Jacques de Loustal, Les Cent Une, 2009, édition limitée à 101 + 24 exemplaires, tirés en sérigraphie par Éric Seydoux, textes composés par Sandrine Granon. © DR.
Bibliophilie savante, bibliophilie créatrice
Le début du parcours, orchestré par Marie-Pierre Dion, conservatrice générale des bibliothèques, illustre le passage d’illustrations en petites vignettes à des gravures grand format : Gustave Doré et les Contes de Perrault (1862) entraînent le lecteur dans la forêt profonde d’où le Petit Poucet tente de sortir. L’intérêt des artistes pour les écrits de leur époque est montré par Félicien Rops donnant un frontispice pour Les Épaves de Baudelaire en 1866 ou, en 1891, Odilon Redon accompagnant les Fleurs du mal. Autre chef-d’œuvre, Sonnets et eaux-fortes (1869) rassemblant 42 artistes parmi lesquels Manet, Daubigny, Millet ou encore Jongkind. On admirera aussi The Well at the World’s End illustré de compositions d’Edward Burne-Jones et d’ornements de William Morris gravés sur bois (The Kelmscott Press, 1896) ou bien Balades dans Paris d’Octave Uzanne. Pour le XXe siècle, soulignons L’Or de Blaise Cendrars, illustré par des lithographies d’André Lhote (1938). Sans oublier des ouvrages faisant dialoguer artistes talentueux et textes contemporains ou non : magnifiques Louis Jou et Anatole France (Les Cent Bibliophiles, 1914), Alexandre Alexeïeff et Julien Green (Les Exemplaires, 1929) ou encore François-Louis Schmied et Chateaubriand (Les Bibliophiles de l’Amérique latine, 1930). Plus près de nous, citons François Cheng et Francis Herth (Les Amis du livre contemporain, 2006) et Boris Vian illustré par les sérigraphies de Jacques de Loustal pour les Cent Une. La bibliophilie savante et rétrospective a fait place à une bibliophilie créatrice. À admirer sans modération !
« Bibliophilie contemporaine, trésors du cabinet des Livres du château de Chantilly », jusqu’au 10 mars 2025, château, 60500 Chantilly. Tous les jours sauf le mardi de 10h à 17h, site Internet : chateaudechantilly.fr