L’atelier de Corinne Lepeytre, un cabanon rue des Prairies

Fondation Taylor, rue La Bruyère, Paris 9e, 2023, aquatinte sur zinc, tirage à bords perdus, 29,5 x 39,5 cm. © Corinne Lepeytre
Décrire ce qu’il y a sur les murs, sur le sol et dans les placards d’un atelier d’artiste aide à comprendre quelque peu cet artiste et permet de parler de lui sans se sentir obligé de louer son talent. C’est l’occasion d’entrevoir, naïvement exposé aux yeux du visiteur curieux, un peu du mystère de l’art, puisque c’est là qu’il est conçu, enfanté, et qu’il grandit peu à peu, au milieu des outils, des livres, des affiches jaunies, des vieilles photos et des cartes postales écornées, toute sa famille.
C’est un espace dont Corinne Lepeytre a pu faire l’acquisition il y a quelques années, au rez-de-chaussée d’un vieil immeuble en briques de la rue des Prairies (dans le 20e arrondissement de Paris) fort bien restauré et entretenu. J’avoue ne pas me souvenir du film avec Gabin qui portait ce titre de Rue des Prairies, je ne l’ai pas vu ; la seule chose que je me rappelle, à cause des affiches placardées dans les rues, c’est ce titre. Je sais maintenant qu’il a été tourné en 1959, mais pas rue des Prairies, où d’ailleurs, en tout cas aujourd’hui, je n’ai pas vu un brin d’herbe, ni vache ni chèvre ni mouton. Un peu de verdure seulement dans la courette qui sépare les deux parties de l’atelier de Corinne, c’est-à-dire celle où elle grave, dessine et imprime, et une espèce de maisonnette recouverte d’une toiture ondulée en fibrociment, dans laquelle elle prépare les aquatintes qui constituent l’essentiel de son œuvre gravée.
Dans l’atelier de Corinne Lepeytre (studio), plusieurs estampes sur Paris sont suspendues à l’étagère. © Maxime Préaud
Le cabanon
On trouve dans ce cabanon une boîte à grains presque aussi volumineuse qu’une armoire hollandaise – elle vient de chez Polymetaal – et des grilles où l’on pose les plaques pour cuire la résine. Dans cet espace réduit (il faut baisser la tête pour y entrer), il y a évidemment des étageères portant les produits nécessaires aux arts de l’estampe, toute une collection de bidons en plastique vides, avec des bouchons soit bleus soit blancs soit rouges formant un ensemble très décoratif, des chiffons, des chaises pliantes, des gants en caoutchouc tachés d’encre noire, des bocaux vides, un balai-brosse sur le manche duquel on lit : « ! Uniquement pour boîte à grain ! », un séchoir à linge pliant plié, une cuvette, une bouteille de camping-gaz et le briquet jetable qui l’accompagne, quelques brosses à dents toutes noires et un large pinceau de même dans une vieille boîte à olives Crespo® en métal. Sur le gril, deux plaques de zinc dont l’artiste vient de terminer le travail : la devanture de Christian Collin (le marchand d’estampes de la rue Rameau, pas le fleuriste de l’avenue Mozart, ce n’est pas la même musique) et la vitrine de chez Michel sur le quai Saint-Michel.
Place de l'Europe – Simone Veil, Saint-Lazare, Paris, 2024, aquatinte sur zinc, diptyque, tirage à bords perdus, 2 fois 49 x 39 cm. © Corinne Lepeytre.
En symbiose avec le zinc
De l’autre côté de la boîte à grains se trouvent un second balai-brosse, un râteau, une balayette et une pelle à poussière en plastique rouge, ainsi que des outils de jardinage dans un seau en métal émaillé. Il y a aussi un ingénieux objet que je n’avais jamais vu, un stand à roulettes mobile (ou jetable) que l’on peut utiliser comme comptoir pour faire des exposés, des présentations lors de congrès ou de foires commerciales, et que Corinne a récupéré de l’entreprise dans laquelle elle travaillait autrefois, avant de se lancer dans l’exercice des beaux-arts. Je vois encore un extincteur, deux chaises pliantes que je juge spéciales apéro, et un amas de vieilles feuilles de zinc ramassées sur un chantier. Corinne, en effet, travaille toujours ses aquatintes dans le zinc, au point de se sentir quasiment en symbiose avec ce métal dont sont couverts grand nombre de toits de Paris, lesquels sont un des sujets principaux de son activité graphique. C’est ici l’occasion d’évoquer, entre autres manifestations auxquelles elle a participé, l’exposition présentée avec Christelle Téa à la mairie du 9e en février-mars 2024, intitulée « Les Toits de Paris » ; à l’inauguration par l’élue de l’arrondissement étaient invités les représentants de la noble profession des couvreurs zingueurs.
Notre-Dame de Paris, Panthéon, 2023, aquatinte sur zinc, tirage à bords perdus, 39,5 x 29,5 cm. © Corinne Lepeytre
Parisienne de cœur
Bien qu’elle ait de lointaines origines creusoises et qu’elle soit née à Saint-Mandé, Corinne Lepeytre est une Parisienne de cœur. Paris est l’unique objet de ses sentiments artistiques. L’origine de cette affection est l’exposition des estampes d’Érik Desmazières au musée Carnavalet en 2006, « Paris à grands traits », qui l’a séduite au point de la faire changer de vie. Dans les rayons de sa bibliothèque chargée d’ouvrages sur les beaux-arts figurent non seulement l’élégant catalogue de cette exposition1 mais encore le film que la société Gallix lui a consacré, intitulé Le Paris d’Érik2. Ce n’est toutefois qu’en septembre 2012 qu’elle a ouvert la porte de l’atelier des Arquebusiers, où elle a appris son nouveau métier pendant une dizaine d’années auprès du graveur Francis Capdeboscq.
Rue de la Cité, rue St Jacques, Paris, 2023, aquatinte sur zinc, tirage à bords perdus, 39,5 x 29,5 cm. © Corinne Lepeytre
« Paris, vu d’un peu tous les côtés, de haut, de bas, d’est en ouest, avec une prédilection déjà signalée pour les toitures en zinc. »
Le studio
La pièce principale du studio, avec son parquet de lattes de bois, donne sur la courette menant au cabanon par une porte-fenêtre qu’elle a fait installer lorsqu’elle a rénové cet espace. Elle y a aménagé un petit coin de travail, avec une lampe d’architecte et un calque tendu sur un cadre pour diffuser la lumière. Sur cette petite table recouverte de papier journal (aujourd’hui c’est Le Monde diplomatique de décembre 2023), elle a tout un tas de pinceaux, crayons feutre, etc. dans de vieux pots de yaourt, des récipients en céramique, des boîtes de conserve, des flacons de vernis (à recouvrir, graveur satiné, le tout Lamour de chez Charbonnel), une grosse boîte toute neuve d’encre « taille douce » (sic, sans trait d’union !) de chez Charbonnel encore, ainsi que des crayons lithographiques de même origine. À côté, suspendue à une pince à dessin, une épreuve d’un autoportrait de l’artiste qui se regarde d’un œil sévère. Les étagères couvrant le même mur, et qui supportent des pinceaux dans des pots, des livres, des vieux Bottins, ainsi qu’une échelle en aluminium permettant d’accéder aux derniers rayons, sont masquées par des estampes, tirages d’essai de son travail en cours, sur Paris toujours. Paris, vu d’un peu tous les côtés, de haut, de bas, d’est en ouest, avec une prédilection déjà signalée pour les toitures en zinc.
Corinne Lepeytre devant ses œuvres réfléchit à sa prochaine exposition. © Maxime Préaud
Le buffet de sa grand-tante
Un énorme buffet en bois qui lui vient de sa grand-tante, surchargé de cartons divers, occupe tout une partie de la pièce ; on y trouve des tissus (soie, tarlatane), des outils, de la paille de fer. Sur une des cloisons, cachés derrière une grande vue de la gare Saint-Lazare (il y a des estampes d’elle un peu partout, en préparation des nombreuses expositions auxquelles elle doit participer en ce moment), sont suspendus des outils, équerres et perroquets que lui a légués son grand-père maternel, qui travaillait le cuivre (mais pas pour faire des estampes, pour composer en trois dimensions, par exemple, les armoiries des villes de Guéret ou de Montluçon). Il y a aussi un petit meuble à tiroirs de même origine, où elle range tout un tas de trucs là où son grand-père faisait sécher des pommes et des poires… De l’autre côt du buffet a été installé un grand plan de travail, avec un évier, sous lequel Corinne entasse des chiffons, ainsi qu’un petit meuble à roulettes où elle range du papier. Dans une étagère au-dessus, je vois des vieux papiers, des cartons d’invitation, un bocal plein d’élastiques de toutes les couleurs, du vernis en bombe, du Salopin, etc., du savon, un vieux fer à cheval, un objet travaillé dans le cuivre par le grand-père. Il y a aussi un petit frigo sur lequel repose une machine à café genre « what else ».
Notre-Dame Pont Saint-Michel, Paris, 2024, aquatinte sur zinc, tirage à bords perdus, 29,5 x 39,5 cm. © Corinne Lepeytre
La presse à taille-douce
C’est au milieu de la pièce que se trouve la presse à taille-douce, une machine un peu bizarre, qu’elle a acquise chez Polymetaal, électrique, 50 cm de passage, avec un serrage hydraulique qu’elle m’a avoué ne pas très bien savoir comment régler et n’avoir trouvé personne pour lui en expliquer le fonctionnement (en tout cas elle ne peut pas compter sur moi). Mais apparemment, cela ne l’empêche pas d’obtenir de bons résultats, ce qui est tout de même le principal. Il serait assez extraordinaire que les artistes sachent toujours ce qu’ils font, comment et pourquoi. Dans une petite pièce voisine, dont la fenêtre donne sur la courette, elle a installé un grand évier (en fait un bac de douche). C’est là qu’elle fait mordre ses aquatintes. Elle se sert d’une balance venant d’une de ses grand-mères pour composer le mélange un peu inquiétant de sulfate en poudre, de sel et d’eau (une recette de Sylvie Abélanet et de Pablo Flaizsman) dont elle se sert ; ces produits sont sous l’évier, de même que les bidons d’acide, divers petits rouleaux et du blanc d’Espagne. Un petit espace plan, juste à côté, lui permet d’encrer ses plaques pour le tirage et de les nettoyer ensuite, d’où les gants en caoutchouc et la tarlatane dans le panier à salade de son grand-père.
La presse à taille-douce. © Maxime Préaud
« La porte d’entrée de l’atelier, à l’extérieur, n’est marquée d’aucun élément distinctif. Mais une fois à l’intérieur, quand elle devient porte de sortie, c’est autre chose. Corinne y a scotché plein d’images, surtout des cartons d’invitation à des manifestations diverses. »
La porte d’entrée de l’atelier, à l’extérieur, n’est marquée d’aucun élément distinctif. Mais une fois à l’intérieur, quand elle devient porte de sortie, c’est autre chose. Corinne y a scotché plein d’images, surtout des cartons d’invitation à des manifestations diverses, ainsi qu’une affiche pour son exposition « Paris gravé » à la boutique Rouge Grenade rue de Bagnolet en novembre 2023 et une affiche d’une exposition de Francis Capdeboscq à la galerie l’Échiquier au printemps 2020 ; il y a encore l’affiche annonçant la dernière occurrence de la Journée de l’estampe contemporaine sur la place Saint-Sulpice en juin 2023, dont Corinne assure en grande partie la gestion, au côté de Christian Massonnet.
La porte d’entrée, à l’intérieur de l’atelier : l’artiste a scotché cartons d’invitation et affiches. © Maxime Préaud
Corinne Lepeytre, courriel : lepeytre.corinne@free.fr, Instagram : corinnelepeytre
Représentée en permanence par la galerie Christian Collin (11, rue Rameau, 75002 Paris), la librairie-galerie Saint-Michel (17, quai Saint-Michel, 75006 Paris), la galerie Martinez Fleurot (97, rue de Seine, 75006 Paris).
1 « Érik Desmazières, Paris à grands traits : eaux-fortes et dessins » : [exposition], musée Carnavalet-Histoire de Paris, 18 octobre 2006-25 février 2007 / [catalogue par Patrick Mauriès], Paris, Paris-Musées, 2006, 127 p., ill. en noir et en coul., couv. Ill.
2 Le Paris d’Érik, film de Bertrand Renaudineau et Gérard Emmanuel Da Silva, [Paris], Gallix, 2009, CDR.