Le calendrier des Très Riches Heures du duc de Berry décrypté mois par mois. Janvier : « Festin chez le duc de Berry »

Les frères de Limbourg, Très Riches Heures du duc de Berry, ms. 65, folio 1 v°, le mois de janvier, « Festin chez le duc de Berry » (détail), vers 1411-1416. Chantilly, bibliothèque du musée Condé. 21 x 29 cm. © GrandPalaisRmn (Domaine de Chantilly)/Michel Urtado
Réalisées au XVe siècle, les Très Riches Heures du duc de Berry sont sans doute le manuscrit le plus célèbre au monde. Enluminées par les frères de Limbourg, éminents artistes attachés à la cour de Bourgogne puis de Berry, qui ont révolutionné l’histoire de l’art, elles se composent de 121 miniatures qui captivent par leurs représentations de châteaux historiques, de scènes princières et des travaux des champs rythmés par les saisons. À l’occasion de la restauration de ce chef-d’œuvre, montré seulement deux fois au public depuis la fin du XIXe siècle, il est possible d’admirer les 12 folios du calendrier dérelié jusqu’au 5 octobre dans la salle du Jeu de Paume du château de Chantilly. Nous vous proposons aujourd’hui de plonger au cœur du folio 1 v°, « Festin chez le duc de Berry », illustrant le mois de janvier.
« Aproche, aproche » : par ces mots, inscrits en lettres d’or et prononcés par son héraut d’armes, Jean, duc de Berry, encourage ses convives à profiter du banquet de janvier qu’il préside et à s’entretenir avec lui. Il invite surtout le lecteur à découvrir le formidable livre d’heures qu’il a commandé à Jean, Paul et Herman de Limbourg.
Le crépuscule de l’ours
Le prince est au centre de la page. Il est vêtu d’une houppelande bleue brodée d’or et coiffé de son fameux bonnet en poil d’ours, l’un de ses animaux emblématiques, dont la traduction en anglais – bear – renvoie au Berry. L’un des saints patrons du duché est d’ailleurs Ursin (Ursinus), rappelant là encore l’ours mais aussi le cygne, l’autre animal fétiche du duc, présent sur le dais armorié qui souligne la majesté du commanditaire. Son portrait au visage lourd et aux rides en patte d’oie est fidèle au gisant que Jean de Cambrai avait sculpté pour la Sainte-Chapelle de Bourges. À la place d’honneur, le dos à la cheminée, le duc est protégé de la vivacité de l’âtre par un écran en osier qui le doterait presque d’une auréole ou évoquerait l’effigie des empereurs sur les monnaies ou intailles romaines qu’il collectionnait. Tel le dieu antique Janus, jadis fêté le 1er janvier, il se tient de profil, ici vers la gauche, vers le passé. C’est un prince alors âgé qui, au seuil de la mort, porte un regard rétrospectif sur sa vie et son action.

Les frères de Limbourg, Très Riches Heures du duc de Berry, ms. 65, folio 1 v°, le mois de janvier, « Festin chez le duc de Berry » (détail), vers 1411-1416. Chantilly, bibliothèque du musée Condé. 21 x 29 cm. © GrandPalaisRmn (Domaine de Chantilly)/Michel Urtado
Échanson et valet tranchant
Devant lui, la table dressée sur tréteaux témoigne des fastes du train ducal. La place d’honneur est marquée par une nef orfévrée portant son couvert, aux extrémités ornées de l’ours et du cygne ; elle rappelle les nefs mentionnées dans les inventaires des trésors du duc, notamment la « salière du Pavillon ». Des petits chiens s’ébrouent sans façon parmi les plats d’or et d’argent de la table.
Le service est assuré par les jeunes gentilshommes de sa Maison, échanson, valet tranchant, dont les habits chamarrés trahissent l’appartenance à des familles alliées du duc, comme les Orléans (reconnaissables à leurs couleurs blanc, rouge et noir). L’écharpe blanche que l’un d’entre eux arbore est quant à elle le signe de ralliement du clan Armagnac, auquel Jean de Berry se joignit après avoir tenté de rétablir en vain la concorde entre cette faction et celle des Armagnacs.

Les frères de Limbourg, Très Riches Heures du duc de Berry, ms. 65, folio 1 v°, le mois de janvier, « Festin chez le duc de Berry » (détail), vers 1411-1416. Chantilly, bibliothèque du musée Condé. 21 x 29 cm. © GrandPalaisRmn (Domaine de Chantilly)/Michel Urtado
Courtisans et prélats
À gauche d’un dressoir étalant une partie de l’orfèvrerie d’apparat du duc, les frères de Limbourg ont placé d’autres courtisans et invités, notamment un prélat, assis sur la banquette à la droite de Jean de Berry. C’est sans doute Alamanno Adimari, cardinal de Pise, qui œuvra, à l’instar de son hôte, aux difficiles négociations visant à mettre fin à la guerre civile en France, et au Grand Schisme qui déchire alors l’Europe. La tenture qui habille le mur de l’arrière-plan rend compte de ce contexte de discorde. Elle figure l’un des épisodes de la guerre de Troie, un récit mythique dont se réclamait la famille royale française, censée descendre des Troyens. Comme s’ils étaient leurs doubles, les chevaliers qui y combattent se trouvent dans le prolongement des invités du duc de Berry.
D’une grande unité malgré la multitude de détails qu’il comporte, le frontispice a fait l’objet de tous les soins des frères de Limbourg. Ils ont notamment élargi le cadre initial, désormais plus large que le tympan abritant le char du Soleil et les signes du zodiaque.

Les frères de Limbourg, Très Riches Heures du duc de Berry, ms. 65, folio 1 v°, le mois de janvier, « Festin chez le duc de Berry », vers 1411-1416. Chantilly, bibliothèque du musée Condé. 21 x 29 cm. © GrandPalaisRmn (Domaine de Chantilly)/Michel Urtado
« Les Très Riches Heures du duc de Berry » jusqu’au 5 octobre 2025 au Château de Chantilly, Salle du Jeu de Paume, 60500 Chantilly. Tél. : 03 44 27 31 80. chateaudechantilly.fr
Art de l’enluminure n° 93, Éditions Faton, 16 €.
Sommaire
Folio 1 v°, janvier : « Festin chez le duc de Berry »





