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L’œil absolu de Jacques Thuillier à Nevers

Jacques Thuillier (1928-2011) dit Jean Caritey, Autoportrait (détail), années 1940-1950, huile sur toile, Nevers, médiathèque Jean Jaurès, fonds Thuillier.

Jacques Thuillier (1928-2011) dit Jean Caritey, Autoportrait (détail), années 1940-1950, huile sur toile, Nevers, médiathèque Jean Jaurès, fonds Thuillier. © Ville de Nevers

Au moment de la parution du septième volume des « Écrits de Jacques Thuillier » aux éditions Faton s’ouvre une remarquable exposition au musée de la Faïence et des Beaux-Arts de Nevers, centrée sur la vision du célèbre historien de l’art sur le XXe siècle.

Né en 1928 à Vaucouleurs dans la Meuse, Jacques Thuillier passe son enfance et son adolescence à Nevers. L’historien de l’art – enseignant, commissaire d’exposition, auteur de nombreuses publications – a profondément marqué son époque par ses recherches et ses propos sur l’art, en particulier ceux du XVIIe et du XIXe siècle. Il a constitué une importante collection représentative de ses goûts – plusieurs dizaines de milliers de gravures, dessins et peintures – et s’adonnait lui-même volontiers, de manière assez confidentielle, au dessin et à la peinture.

Une personnalité érudite et sensible

À son décès en 2011, Guy Thuillier (1932-2019) a eu à cœur de rendre hommage aux travaux de son frère. Il a poursuivi les dons effectués du vivant de son aîné, notamment au musée des Beaux-Arts de Nancy et au musée de Vic-sur-Seille, en léguant ses archives et sa bibliothèque à la Ville de Nevers. C’est dans ce riche fonds patrimonial qu’ont puisé les commissaires de l’exposition, Marie-Lys Chevalier, conservatrice du musée de la Faïence et des Beaux-Arts, et Jean-François Lefebure, directeur de la médiathèque Jean Jaurès de Nevers, pour rendre compte des domaines qui ont retenu son attention – peinture, sculpture, dessin, gravure, tapisserie, vitrail… – et des artistes qui les ont incarnés. Si de grands noms tels que Maillol, Dufy ou Vlaminck l’ont ébloui, ainsi qu’André Lhote comme théoricien et praticien, d’autres artistes, avec lesquels il a entretenu des relations d’amitié – Claude Garache, Sergio de Castro ou encore Jean-Baptiste Sécheret –, sont bien représentés. Citons encore les graveurs Érik Desmazières ou Maxime Préaud. Quant à son goût pour les lettres, il est révélé par des ouvrages à tirage limité, souvent illustrés de dessins, gravures ou peintures. Œuvres collectionnées par Jacques Thuillier, évocation des artistes qu’il a fréquentés et documents d’archives dressent brillamment les contours d’une personnalité érudite et sensible, et racontent une histoire singulière de l’art de son temps.

Jacques Thuillier (1928-2011) dit Jean Caritey, Autoportrait, années 1940-1950, huile sur toile, Nevers, médiathèque Jean Jaurès, fonds Thuillier.

Jacques Thuillier (1928-2011) dit Jean Caritey, Autoportrait, années 1940-1950, huile sur toile, Nevers, médiathèque Jean Jaurès, fonds Thuillier. © Ville de Nevers

Entretien avec Érik Desmazières

Propos recueillis par Marie Akar

Quelles ont été vos relations avec Jacques Thuillier ?

J’ai connu Jacques Thuillier, non pas dans un cadre universitaire, mais en le rencontrant à plusieurs reprises chez le marchand d’estampes Arsène Bonafous-Murat (1935-2011), dont le magasin était situé rue de l’Échaudé à Paris. Jacques Thuillier était un sérieux collectionneur, souvent d’images modestes mais en grand nombre, comme l’atteste le fonds désormais conservé au musée des Beaux-Arts de Nancy et la belle publication qui en fait l’inventaire. Nos relations étaient tout à fait cordiales, c’était un homme charmant, très disert et son enthousiasme devant les estampes faisait plaisir à voir.

Quelle était sa vision de l’art du XXe siècle ? Comment était-elle perçue ?

Son goût et ses réflexions le portaient surtout vers l’art figuratif… à une époque où on ne jurait que par l’abstraction, ce qui a parfois suscité de vives critiques. Après la sortie de son Histoire de l’art en 2002, il lui a également été reproché d’être trop centré sur l’art occidental et de reléguer les œuvres africaines et océaniennes au rang de l’anthropologie, comme on a pu le lire dans la presse à l’époque. Mais il avait le courage de ses opinions et on peut dire que, concernant l’art abstrait, l’histoire du XXIe siècle lui donne raison puisqu’on assiste à un retour du figuratif. Son grand mérite sera d’y avoir sans doute contribué.

Quels artistes Jacques Thuillier a-t-il particulièrement soutenus ?

Je ne saurais vous dire quels étaient les artistes qu’il aimait le plus dans la période contemporaine. Je pourrais citer Balthus, Lucian Freud ou Avigdor Arikha, et bien sûr André Lhote, mais je me souviens aussi de l’enthousiasme qu’il avait pour Jean-Baptiste Sécheret par exemple, notamment pour le lithographe de premier plan qu’il est. Son œil très sûr avait tout de suite décelé son grand talent et il l’a exprimé avant tout le monde.

Une édition de tête du volume est prévue, accompagnée d’une gravure que vous avez réalisée pour l’occasion. Que représente-t-elle ?

Serge Lemoine, qui dirige la publication des « Écrits de Jacques Thuillier », m’a en effet demandé de réaliser une estampe destinée à enrichir une édition de tête du septième volume, consacré au XXe siècle. Je suis très touché qu’on m’ait demandé un tel travail. La gravure représente un « méli-mélo » d’œuvres d’artistes qui étaient chers à Jacques Thuillier, en l’occurrence Bellange, Sébastien Leclerc, Laurent de la Hyre… Ce sont des copies d’estampes qui se trouvent dans sa collection déposée au musée des Beaux-Arts de Nancy, disposées à la manière d’un trompe-l’œil tel qu’on pouvait en voir aux XVIIe et XVIIIe. À ce propos, il est intéressant de signaler que, dans de nombreux trompe-l’œil peints à cette période, la présence de gravures est très fréquente, en particulier celles de Jacques Callot. J’aime beaucoup ce goût qu’avait Jacques Thuillier pour les gravures souvent modestes, tirées en grand nombre, qui étaient en ce temps-là diffusées dans toutes les classes sociales, à la ville, à la campagne, séries d’hommes célèbres, de saints, des mois de l’année, des saisons… Cela a quelque chose de très vivant qui permet d’appréhender, ou du moins d’approcher, l’atmosphère d’une époque.

Érik Desmazières, François, Jacques, Laurent, Sébastien & les autres, un mélange pour Jacques Thuillier, 2024, eau-forte avec aquatinte pour le fond, imprimée à bords perdus sur Lana ancien, 60 ex., 27 × 42 cm, gravure originale placée dans le tirage de tête de L’Art du XXe siècle autrement, éd. Faton.

Érik Desmazières, François, Jacques, Laurent, Sébastien & les autres, un mélange pour Jacques Thuillier, 2024, eau-forte avec aquatinte pour le fond, imprimée à bords perdus sur Lana ancien, 60 ex., 27 × 42 cm, gravure originale placée dans le tirage de tête de L’Art du XXe siècle autrement, éd. Faton.

« L’œil absolu, le XXe siècle de Jacques Thuillier », jusqu’au 31 décembre 2025 au musée de la Faïence et des Beaux-Arts, 16, rue Saint-Genest, 58000 Nevers. Tél. : 03 86 68 44 60. culture.nevers.fr

À lire
L’Art du XXe siècle autrement, sous la direction de Serge Lemoine, coll. « Les écrits de Jacques Thuillier », vol. 7, éditions Faton, 384 p., 165 ill, relié sous jaquette, 49 €. Édition de tête sous coffret avec une gravure originale d’Érik Desmazières, tirage limité à 60 ex., 500 €.