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Murmurations : approches sensibles entre le plasticien, l’imprimeur et l’auteur

Murmurations, livre d’artiste, 2024, édition originale du poème de Valentine Oncins, texte bilingue, composition et impression par Laurent Né, peintures de Jacquie Barral.

Murmurations, livre d’artiste, 2024, édition originale du poème de Valentine Oncins, texte bilingue, composition et impression par Laurent Né, peintures de Jacquie Barral. © J. Barral/Index/Archipel Butor

Le livre d’artiste Murmurations est le fruit des interventions plastiques – peinture et crayon – de Jacquie Barral, associées à un texte poétique de Valentine Oncins et au savoir-faire du typographe-imprimeur- éditeur Laurent Né (éditions Index). Comment ont-ils articulé ces trois composantes ? 

Jacquie Barral, comment vos matériaux, vos gestes, vos signes, vos choix peuvent-ils s’accorder à une langue, à un texte poétique dans le cadre d’un livre d’artiste ?

Un texte pour moi, c’est une voix parallèle à ma propre voix, c’est-à-dire à mon travail, une voix qui m’émeut et me donne envie de créer. Cela se passe secrètement, on se laisse habiter par le texte, on le relit souvent, parfois avant de se mettre au travail, on y pense… Il devient cette autre voix qui se pose à travers des signes alors dessinés ou peints, d’autres traces sur le papier que le manuscrit ou la typo. Ce travail de l’artiste n’est pas une équivalence et encore moins une illustration, car il faut être complètement libre par rapport à lui. Le texte est une forme de murmure auquel on se réfère intuitivement. Les deux s’inscrivent ainsi dans un flottement de découverte ou de vive saisie.
Le livre d’artiste est sans doute un objet où l’on tente à chaque fois de remonter aux sources du langage, avant la séparation du dessin et de l’écriture… bien avant encore, juste au moment où la parole est apparue et s’est constituée comme un langage, pas seulement en tant que cri énonciateur, ou même mot ; mais en tant que vraie désignation ou authentique représentation verbale, si proche en cela du dessin. Au moment où se réalisaient les premières représentations humaines avec des signes géométriques et tout un bestiaire réaliste – la main en empreinte marquant le tout.
La force représentative a surgi dans le dessin et la parole. Comme désir de saisir enfin quelque chose du monde. Elle s’est inscrite, sans doute, dès le départ entre ces deux expressions devenues possibles. J. B.

Murmurations, double page intérieure, texte en français.

Murmurations, double page intérieure, texte en français. © J. Barral/Index/Archipel Butor

Laurent Né, comment participer et créer un livre d’artiste en tant que typographe et imprimeur ?

Parfois, je suis à l’origine du projet ; dans ce cas, soit je tente de trouver un accord entre artiste et poète, soit je les sollicite sur un thème précis, mais je n’impose jamais. Je mets souvent des artistes et des écrivains en contact afin que le dialogue s’instaure. Il se poursuit sur la fabrication d’un livre d’artiste, le choix du papier, la police, l’architecture d’un leporello… Pour Murmurations, il s’agit d’un très grand format, ce qui a incité l’artiste à privilégier le médium de la peinture.
Je construis, je fabrique, je compose, je trouve des solutions à des propositions parfois impossibles. Je concrétise le dialogue d’une œuvre et d’un texte et je le rends visible. En fait je me mets à disposition et je choisis quelle typographie est adaptée au projet de l’artiste et de l’auteur. Ainsi il m’est arrivé de choisir une police très proche de l’écriture manuscrite d’un auteur. C’est par un échange progressif que les idées surgissent, que le livre d’artiste se construit et devient une création à plusieurs.
On peut réaliser des livres d’artiste à l’ordinateur, mais moi je suis typographe. Ce n’est ni le même travail ni le même rendu. Ce que je valorise est la composition avec les lettres, tout en appliquant les règles de mise en page existant depuis très longtemps, car le texte est comme un tableau : il doit être un bel objet, avec de l’aération et beaucoup de marges, comme celle de la partie inférieure de la page, qui, si elle n’est pas respectée, provoque la chute du texte vers le bas. L. N.

Valentine Oncins, quel est l’apport de l’auteur, comparativement à l’artiste et à l’imprimeur, dans la création de ce livre d’artiste ?

Le dessin et la typographie viennent incarner l’abstrait, le volatil fugace de lettres ou de mots. La langue est dans l’air. Elle est envolée, poussière sans matière que l’auteur saisit à son passage. L’imprimeur Laurent Né et l’artiste Jacquie Barral furent des passeurs, des fixateurs qui ont accroché Murmurations sur réel, c’est-à-dire sur papier.
Son titre fut offert par un chasseur, montrant du doigt une nuée d’oiseaux, une murmuration. Lui, il regardait le ciel comme un champ de bataille ; l’auteur, lui, vit le ciel comme une page marquée par les signes typographiques d’ailes d’oiseaux. Le dessin et l’impression étaient là, déjà, dans ce ciel. Le bleu et le noir suivirent sur les feuillets de l’artiste. La gravure du mouvement des ailes entra dans la typographie de l’imprimeur. La nuée d’oiseaux fut lue sans lune ni nuit mais en papier et encre.
Instant décisif de la marque, de la trace imprimée ou peinte qui doit dire en visible ce qu’est l’air. La langue est certes un souffle, mais qu’en est-il quand elle se découvre dans un livre d’artiste ? Est-il question de dialogue, de regards croisés ou ne serait-ce pas plutôt une sidération, une « imprévisible naissance » (A. Masson) pour l’auteur ? J’ai découvert le livre Murmurations tel un totem géant surplombant la légère mesure de la langue. Le plomb de l’imprimeur a fait son œuvre, avec la marque des ailes de la nuée sur les pages. Le mouvement de l’artiste a fait son œuvre, avec cette agitation secouant les ailes de bleus et noirs, geste après geste. Leurs œuvres ont éveillé cieux et oiseaux prêts à l’envol. Comme la langue. V. O.

Murmurations, livre d’artiste, édition originale du poème de Valentine Oncins, composé en Garamond romain Trismégiste et imprimé au plomb mobile sur papier Velin BFK par Laurent Né dans son atelier de Saint-Martin, traduction en anglais par Jean & Danièle Berton, peintures originales de Jacquie Barral, éditions Index, 12 ex., 2024, 38 x 28 cm.

« Jacquie Barral. Depuis les premières saisons », jusqu’au 14 juin 2025, Archipel Butor, Manoir des livres, 91, chemin du Château, 74380 Lucinges. Tél. : 04 58 76 00 40. www.archipel-butor.fr