Avis aux bibliophiles : notre sélection de beaux livres 

Les estampes de Katō Teruhide célébrant le raffinement de Kyōto, un étonnant abécédaire littéraire parcourant les rues de Paris ou la poésie de Paul Éluard illustrée : voici une sélection d’ouvrages qui raviront les bibliophiles.

Qu Qianmei. Ors et excentricités minérales

Les textes de treize auteurs occidentaux et chinois accompagnent deux décennies de création de Qu Qianmei (1956, Rui’an, province du Zhejiang). L’artiste passe de la peinture à l’encre sur papier traditionnel à une technique complexe de laque appliquée en plusieurs couches, patinée, poncée jusqu’à obtenir des nuances uniques. Sans oublier les ressources sombres du bois brûlé, le broyage de coquilles d’huîtres pour un ton nacré ou des ingrédients magiques – poudre de kaolin ou cinabre du Hunan. Elle a appris la calligraphie et la peinture au lavis à l’École normale de Rui’an puis la peinture à l’huile et tempera à l’Institut central des beaux-arts de Pékin. En 1986, à Paris, elle se rapproche d’artistes chinois avec lesquels elle partage un même besoin d’intensité conceptuelle, dont Wang Yancheng qui l’initie à l’art abstrait. En 2012, l’exposition parisienne consacrée à Tàpies est un véritable déclencheur dans sa création, libérant des matières denses et vibrantes. Les alternances des noirs, des polychromies épaisses et des ors renvoient à la peinture siennoise dont les fonds revêtus de feuille d’or disaient combien l’artiste traduit la perfection divine dont il est une parcelle signifiante. C. C.

Ouvrage collectif, Qu Qianmei. Ors et excentricités minérales. L’œuvre peint, 2009-2024, Paris, éditions Naima, 2024, 260 p., env. 200 ill. Prix : 29 €. ISBN : 978-2-37440-205-5.

Un abécédaire littéraire parisien

A comme Aragon, M comme Modiano, P comme Prévert, Q comme Queneau, V comme Verlaine, Z comme Zola, voilà un abécédaire singulier qui ravira les amoureux de Paris, les passionnés de littérature, ainsi que les amateurs de photographies anciennes. Le principe ? Un texte bref, qui commente l’œuvre ou la biographie d’un écrivain en lien avec un florilège de photographies en noir et blanc issues des collections de la fameuse agence Roger-Viollet. Elles ont été prises dans la capitale par des artistes célèbres, tels Janine Niépce, Charles Melville, Eugène Atget, René-Jacques, ou moins connus. Ces coins de Paris illustrent le quartier où vécurent les auteurs sélectionnés, ou leurs héros. Aragon et l’île Saint-Louis, Modiano et son premier titre publié, La Place de l’Étoile, Prévert et l’impasse Véron derrière le Moulin-Rouge, Queneau et le métro dans lequel Zazie n’ira jamais, Zola et les halles du Ventre de Paris… Jean-Noël Mouret raconte l’histoire des rues d’un arrondissement, l’évolution du quartier au fil du temps, confiant des anecdotes en référence à quelque 25 écrivains. Réalité et fiction se mêlent et construisent un Paris inédit, où le lecteur est invité à déambuler… et à se perdre. M. A.

Jean-Noël Mouret, Un abécédaire littéraire parisien, d’Aragon à Zola, préface d’Antoine Compagnon de l’Académie française, Gallimard, 2024,120 p., 90 ill. Prix : 26 €. ISBN : 978-2-07-306305-2. 

Estampes de Katō Teruhide

« Ainsi, après une longue gestation, le livre dont je rêvais, à savoir une sorte de petit guide sentimental illustré de Kyōto, voyait enfin le jour. Cet ouvrage me permet d’une part de partager mon enthousiasme pour les créations peintes et gravées de Katō [Teruhide], l’un des nombreux artisans japonais profondément imprégnés par la sensibilité esthétique de Kyōto, et souvent tombés dans l’oubli […] », explique Manuela Moscatiello, spécialiste de l’art japonais des époques Edo et Meiji. Formé à l’université des arts de Kyōto, Katō Teruhide (1936-2015) célèbre sa ville natale, dans ses aspects traditionnels, urbains – maisons des geishas, ruelles de l’ancien quartier de Gion, temples – ou plus bucoliques – sakura (cerisier en fleurs), feuillages d’automne, jardins sous la neige… qu’il transcrit par le dessin à l’encre et pigments, la xylographie ou la sérigraphie. Dans ce livre où les reproductions ont la part belle, les œuvres suscitent le silence et poussent à la méditation. On reste frappé par l’absence de figure humaine, les compositions très architecturées et la maîtrise des couleurs. Une belle synthèse entre fidélité à l’esthétique japonaise et style contemporain. M. A.

Manuela Moscatiello, Le Raffinement de Kyō​​​​​to. Estampes et peintures de Katō Teruhide, Scala, 2024, 156 p., 145 ill. Prix : 39 €. ISBN : 978-2-35988-288-9.

Miroir d’astrologie

Si l’on célèbre cette année les 100 ans de la publication du Manifeste du surréalisme, on n’oublie pas l’anniversaire des 80 ans de la disparition de Max Jacob (1876-1944), peintre, poète et romancier. La preuve en texte et en image avec la publication de ce Miroir d’astrologie – épuisé depuis plusieurs dizaines d’années – illustré par Christian Lacroix. À noter, celui-ci avait déjà signé les illustrations de La Princesse de Clèves dans la « Grande Blanche illustrée ». On retrouve le trait ample du célèbre couturier qui donne remarquablement vie au bestiaire du zodiaque et aux femmes de chaque signe décrites par Max Jacob. Car celui-ci était féru d’astrologie : « Cet appétit des sciences occultes est constitutif de sa conception du monde […] Pour lui, les astres influencent considérablement les êtres et les choses », précise Patricia Sustrac, présidente de l’association des « Amis de Max Jacob ». Son amitié avec Conrad Moricand, alias Claude Valence, collectionneur d’art et spécialiste d’astrologie, enrichit ses connaissances et aboutira à la publication du Miroir d’astrologie quatre ans après la mort du poète. Une belle et passionnante plongée dans un ésotérisme littéraire. M. A.

Max Jacob, Claude Valence, Miroir d’astrologie, préface de Patricia Sustrac, postface de Sylvia Lorant Colle, ill. Christian Lacroix, Gallimard, 2024, 304 p., 60 ill. Prix : 39 €. ISBN : 978-2-07-297639-1.

Paul Éluard et Kiki Smith

La très belle collection « Grande Blanche illustrée » propose un nouvel opus : l’artiste américaine Kiki Smith a été sollicitée par la maison Gallimard pour accompagner L’Amour la Poésie de Paul Éluard, recueil publié en 1929. L’année qui précède, Éluard fait un séjour dans un sanatorium avec son épouse Gala ; ce sera leur dernier hiver ensemble, elle le quittera bientôt pour Salvador Dalí. L’union et la désunion sont intrinsèques à l’amour que chante le poète, tout comme le déchirement entre amour et poésie – celle-ci permettant de redonner goût à la vie. Le principe de l’association de mots faisant surgir avec force des images plurielles est renforcé par l’absence de ponctuation propre à l’écriture d’Éluard comme à celle d’autres surréalistes d’ailleurs. Une façon de libérer le langage. Les dessins, gravures et collages de Kiki Smith épousent l’univers surréaliste du poète : ils s’inscrivent dans une même veine d’exploration, jusqu’à l’exacerbation, du désir amoureux, et affirment pourtant leur singularité en traçant avec finesse les contours d’un univers étrange où « la terre est bleue comme une orange » et la femme et le cosmos omniprésents. Une belle manière de relire ce texte majeur. M. A.

Paul Éluard, L’Amour la Poésie, œuvres de Kiki Smith, 2024, Gallimard, coll. « Grande Blanche illustrée », 176 p., 60 ill. Prix : 45 €. ISBN : 978-2-07-308491-0. À savoir : également disponible en édition de tête. 

La poésie d’Éluard illustrée

« On n’illustre pas un livre, on le prolonge… dans un autre domaine sensible. » Ces mots du peintre Roger Chastel, lui-même illustrateur de l’œuvre d’Éluard, Éric Ruelland les a pris à la lettre pour réaliser les illustrations de cette anthologie réunissant quatre-vingts poèmes de ce grand nom du surréalisme. Les collages peints et les compositions abstraites, qui puisent aussi bien chez Jean Arp que chez Cy Twombly, ne se contentent pas de représenter l’intention poétique, mais cherchent à faire émerger du dialogue entre textes et images de nouvelles dimensions sensorielles et émotives. Ce beau livre d’art, imprimé sur papier de création Fedrigoni feutré sur les deux faces, propose une mise en page aérée : l’écrit et l’illustration ne se chevauchent pas, mais coexistent harmonieusement, permettant ainsi une lecture agréable de ce recueil de poèmes d’Éluard, classés par ordre chronologique et couvrant toute l’œuvre et l’évolution de l’artiste. Éric Ruelland développe en début d’ouvrage une passionnante réflexion sur sa démarche, qui l’inscrit dans une tradition picturale d’illustration de la poésie dont il se voit comme un continuateur. R. B.-R.

Les Raisons de rêver. Anthologie poétique illustrée, Paul Éluard, illustrations d’Éric Ruelland, Scudéry, 2023, 224 p. Prix : 35 €. ISBN : 972-2-492526-08-4.

Monotype et collagraphie

Après les volumes sur la gravure en creux, taille directe et taille indirecte, et sur la gravure en relief, la collection publiée par les éditions Eyrolles s’enrichit d’un nouvel ouvrage sur le monotype et la collagraphie. Le principe est didactique, il s’agit de présenter pas à pas les procédés classiques, et d’autres plus expérimentaux, pour que le lecteur puisse pratiquer lui-même. En tout, 17 techniques sont abordées avec force schémas et photographies de geste et du processus par Olivier Dekeyser, graveur particulièrement pédagogue. Rappelons que le principe du monotype, utilisé par exemple par Degas, est de peindre sur une matrice imprimée en un exemplaire unique ; la collagraphie consiste à coller des matériaux sur la matrice avant de l’encrer et de l’imprimer. Les explications sont aussi illustrées de reproductions d’œuvres d’artistes reconnus qui emploient ces procédés. Sélection des supports, travail d’empreintes, gaufrage, repoussé, transferts directs positifs et négatifs, « fantômes » de monotypes, collage de textures, sans oublier l’impression, vous saurez (presque) tout sur ces techniques et, une fois maîtrisées, pourrez laisser libre court à votre inspiration ! M. A.

Olivier Dekeyser, Pratiquer la gravure, monotype et collagraphie. Soustractif à l’encre, additif à l’huile, aquarelle ou acrylique… coll. « Les techniques de l’estampe », éditions Eyrolles, 2024, 128 p. Prix : 20 €. ISBN : 978-2-416-01231-0.

L’Escalier de la rue de Seine

Bien qu’il s’intitule L’Escalier de la rue de Seine, motif emblématique du peintre et lithographe Sam Szafran disparu en 2019, cet ouvrage est surtout l’occasion pour son auteur, le poète et traducteur Fouad El-Etr, de revenir sur la fondation de sa revue de poésie et de sa maison d’édition. Il ne s’en cache pas : « Écrits à cinquante ans d’intervalle… ces deux textes sont le roman de La Délirante et de ma vie, c’est tout un, et de l’amitié créatrice qui m’a lié à tant de poètes et de peintres, à Sam Szafran surtout… » Le premier texte, Esquisse d’un traité du pastel (20 p.), est composé de sept lettres écrites en octobre 1974 à son ami peintre par le poète qui s’est installé rue de Seine quatre ans auparavant. Le second (231 p.) conte comment son auteur, arrivé à Paris en 1959, a réussi à fonder et diriger cette publication unique dans le paysage éditorial français, surmontant les embûches placées en travers de sa route. Dans ce récit, Sam Szafran, qui a créé l’image du poète cape au vent, symbole de la revue, et effectué de nombreux fusains et dessins pour elle, est un personnage, sinon central, du moins important, et à jamais lié à cet escalier qui « entre vide et non-vide s’est refermé sur son secret ». L. P.

Fouad El-Etr, L’Escalier de la rue de Seine, précédé de Esquisse d’un traité du pastel, L’Atelier contemporain, François-Marie Deyrolle éditeur, 2024, 273 p., ill. Prix : 25 €. ISBN : 978-2-85035-153-2.

Inventer le jardin depuis l’Antiquité

« On a de longue date souligné la parenté symbolique entre jardin et bibliothèque, deux lieux spécifiques relevant de cette “architecture des contemplatifs” chère au Nietzsche du Gai Savoir, microcosmes susceptibles, chacun à leur manière, de refléter, sinon de renfermer la totalité de l’univers », explique Monique Mosser dans l’avant-propos. Cet ouvrage offre en effet un large panorama du sujet : « le jardin, lieu de création » traite de l’histoire de ses formes, du jardin biblique au jardin en milieu urbain au XXsiècle ; « sous l’œil du jardinier » évoque la terre nourricière avec l’évolution des techniques, des gestes et outils, mais aussi l’horticulture ; « terre d’expériences » examine comment les plantes s’adaptent et croissent, l’emploi qu’en fait l’homme et la symbolique qu’il y attache ; enfin « en allées et venues » considère le jardin comme un écrin de déambulations et une source d’inspiration pour les artistes de par le monde. Abondamment illustré, ce livre s’appuie sur les remarquables collections de la Bibliothèque nationale de France : enluminures, dessins, estampes, photographies, affiches entraînent le lecteur dans un merveilleux voyage entre Terre et ciel. M. A.

Gilles Clément, Monique Mosser, Mirabelle Croizier, Antoine Quenardel, Inventer le jardin de l’Antiquité à nos jours, coédition Seuil / BnF, 256 p., 143 ill., Prix : 45 €. ISBN : 978-2-02-151063-8.