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Une cathédrale de livres : feuilleter Notre-Dame au musée de Cluny

Feuillet provenant du missel de Gérard de Montaigu (détail), Paris, début du XVe siècle, Cl. 11315, Paris, musée de Cluny - musée national du Moyen Âge.

Feuillet provenant du missel de Gérard de Montaigu (détail), Paris, début du XVe siècle, Cl. 11315, Paris, musée de Cluny - musée national du Moyen Âge. Photo service de presse. © IRHT - Gilles Kagan

À l’occasion de la réouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris, ravagée par un incendie le 15 avril 2019, la Bibliothèque nationale de France s’est associée avec le musée de Cluny – musée national du Moyen Âge pour présenter une sélection des manuscrits les plus précieux de ses collections dans le cadre du dispositif « Dans les collections de la BnF ». « Feuilleter Notre-Dame. Chefs-d’œuvre de la bibliothèque médiévale » a été organisée parallèlement à l’exposition « Faire parler les pierres : sculptures médiévales de Notre-Dame », qui se tient dans le même musée.

L’histoire de Notre-Dame de Paris, ce n’est pas seulement celle de son célèbre édifice ; c’est aussi celle des livres, manuscrits et imprimés, qui servaient au culte ou à l’étude. Dévoilé pour la première fois au public, ce patrimoine livresque est exceptionnellement bien conservé grâce à la décision qu’ont prise en 1756 les chanoines de Notre-Dame de vendre 301 de leurs manuscrits à la Bibliothèque du roi. À la Révolution, les manuscrits du culte qu’ils avaient conservés rejoignirent à leur tour les bibliothèques de l’Arsenal et de la Mazarine.

Une riche bibliothèque d’étude

Notre-Dame a constitué dès le XIIIe siècle une riche bibliothèque d’étude dont l’accès était ouvert aux étudiants peu fortunés de la faculté de théologie. Ce noyau initial était complété par d’autres ensembles éparpillés au sein de la cathédrale et de son enclos canonial en fonction des usages des livres : le chœur, les chapelles et le trésor abritaient ainsi de très nombreux volumes liturgiques pour les différentes célébrations, tandis qu’évêques et chanoines disposaient de bibliothèques privées dans les maisons qu’ils occupaient au sein de l’enclos canonial.
Si Notre-Dame ne possédait pas de scriptorium, ses collections se sont rapidement enrichies au rythme des dons et legs des membres du chapitre, ainsi que par des achats ponctuels. Elles témoignent du rayonnement liturgique, spirituel, intellectuel et politique de Notre-Dame et des hommes qui en ont écrit l’histoire. De très nombreux ouvrages à l’usage liturgique de Paris, exécutés par des artisans du livre installés dans les rues environnantes, y côtoient de grandes œuvres de la culture médiévale rédigées sur place, tels les Sentences de Pierre Lombard au XIIe siècle ou le Mystère de la Passion d’Arnoul Gréban au XVe siècle.

Rituel de Notre-Dame, Paris, XVIe siècle, NAL 3262, folio 52r, acheté en 2022, Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits.

Rituel de Notre-Dame, Paris, XVIe siècle, NAL 3262, folio 52r, acheté en 2022, Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits. Photo service de presse. © Bibliothèque nationale de France

Une école de théologie

Les recueils de sermons et ouvrages de théologie traduisent l’influence de Notre-Dame dans cette discipline dont elle s’était fait une spécialité, d’abord à travers son école de théologie installée au XIIe siècle dans le cloître Notre-Dame, où enseignèrent de grands noms, de Pierre Abélard à Étienne Langton, puis à travers les nombreux chanoines qui enseignèrent à partir du XIIIe siècle la théologie à l’université de Paris. Nombre de manuscrits se font également l’écho des engagements politiques des évêques de Notre-Dame, telle une copie du procès en réhabilitation de Jeanne d’Arc, authentifiée par les deux notaires de la cause pour l’évêque Guillaume Chartier (1447-1472) qui fut l’un des artisans de ce procès. L’exposition donne à voir la richesse de ces fonds, à travers la sélection d’une quarantaine de pièces. Parmi celles-ci figurent deux nouveaux témoins, un missel des environs de 1400 et un rituel du second quart du XVIe siècle acquis par la BnF en 2022-2023, que le public peut découvrir pour la première fois.

Une production réservée aux monastères et aux églises

Les manuscrits présentés dans l’exposition sont représentatifs de l’évolution de la production enluminée au cours du Moyen Âge. Jusqu’au XIIe siècle, celle-ci est l’apanage des monastères et des églises. Les précieux Évangiles de Loisel exécutés à Reims au IXe siècle, avec leurs somptueux portraits d’évangélistes et leurs initiales ornées d’entrelacs d’inspiration insulaire, en sont emblématiques. Pour la période romane, l’un des plus anciens témoins présents dans la bibliothèque de Notre-Dame dès l’origine est un exemplaire du Commentaire sur les épîtres de saint Paul de Pierre Lombard, évêque de Paris (1159-1160), somptueusement enluminé par un artiste anglais actif à Saint-Victor de Paris vers 1160-1180.

Feuillet provenant du missel de Gérard de Montaigu, Paris, début du XVe siècle, Cl. 11315, Paris, musée de Cluny - musée national du Moyen Âge.

Feuillet provenant du missel de Gérard de Montaigu, Paris, début du XVe siècle, Cl. 11315, Paris, musée de Cluny – musée national du Moyen Âge. Photo service de presse. © IRHT – Gilles Kagan

Vers une standardisation

Au XIIIe siècle, l’émergence des universités et l’élargissement de la clientèle du livre entraînent une laïcisation de la production des manuscrits, ainsi que parfois une plus grande standardisation. La bibliothèque de Notre-Dame compte de nombreux manuscrits copiés dans les ateliers parisiens implantés autour de la cathédrale, notamment rue Neuve-Notre-Dame, qui reflètent ces transformations majeures. Des réalisations modestes caractéristiques de la production universitaire à grande échelle, telles une encyclopédie latine de Papias enrichie d’initiales filigranées à volutes ou une copie du traité de Cicéron sur l’amitié rehaussée d’initiales ornées à l’encre et d’un intrigant décor marginal, y côtoient des chefs-d’œuvre de l’art de l’enluminure parisien. À cette dernière catégorie appartiennent la Bible de l’évêque Pierre d’Orgemont (vers 1225), l’Épistolier de Notre Dame (v. 1250-1260), sorti de l’atelier du Maître de Bari, avec ses initiales joliment ciselées et ses petites têtes facétieuses, ou encore les somptueuses peintures du Maître de la Bible Maciejowski qui ornent le Livre des serments des évêques de Paris (vers 1250).

Magnifiques enluminures

Au XIVe siècle, l’hégémonie que Paris continue d’exercer dans le domaine de l’enluminure s’exprime dans le décor d’un Roman de la Rose arrivé à Notre-Dame sous l’Ancien Régime, dont le frontispice illustré de drôleries se double d’une bordure ornée, ainsi que dans le remarquable missel à l’usage de la chapelle Saint-Sébastien sise dans la cathédrale, enluminé par un suiveur de Jean Pucelle vers 1330-1340. Au siècle suivant, le naturalisme du cadre et de la lettrine de l’ornemaniste aux araignées enrichit les feuillets de La Cité des Dames de Christine de Pisan (1405), qui est le plus ancien témoin subsistant de l’ouvrage de la célèbre lettrée. Quant aux deux magnifiques feuillets provenant d’un missel de l’évêque Gérard de Montaigu (vers 1409-1418), ils portent à son apogée le style pictural créé par le Maître de Boucicaut au tournant du XVe siècle.

Missel de Notre-Dame à l’usage de la chapelle Saint-Sébastien, Paris, vers 1330-1340, Ms-607 réserve, folio 98r, Paris, Bibliothèque nationale de France, bibliothèque de l’Arsenal.

Missel de Notre-Dame à l’usage de la chapelle Saint-Sébastien, Paris, vers 1330-1340, Ms-607 réserve, folio 98r, Paris, Bibliothèque nationale de France, bibliothèque de l’Arsenal. Photo service de presse. © Bibliothèque nationale de France

Irruption de la peinture de chevalet

Enfin, au début du XVIe siècle, le peintre flamand Noël Bellemare [ou Maître des Épîtres Getty], qui a participé au décor du château de Fontainebleau, élève une majestueuse façade de Notre-Dame dans un exemplaire du pontifical romain d’Agostino Patrizi Piccolomini destiné à l’évêque de Saint-Bertrand-de-Comminges, Jean II Mauléon. Cette irruption de la peinture de chevalet dans un manuscrit marque le début du déclin de l’art de l’enluminure.

« Feuilleter Notre-Dame. Chefs-d’œuvre de la bibliothèque médiévale », jusqu’au 16 mars 2025, musée de Cluny – musée national du Moyen Âge, 28, rue Du Sommerard, 75005 Paris. Tous les jours, sauf le lundi, de 9h30 à 18h15. Tél. : 01 53 73 78 00, site Internet : musee-moyenage.fr

À voir aussi jusqu’au 16 mars 2025 : « Faire parler les pierres : sculptures médiévales de Notre-Dame ».