Durant cinq mois, le musée Marmottan Monet confronte l’œuvre de l’un des peintres phares de sa collection, Berthe Morisot, à la peinture du XVIIIe siècle qui l’a beaucoup inspirée.
Cette fois, le mythe est tombé : contrairement à une idée répandue de son vivant, au point que sa fille même tenait la descendance pour possible, Berthe Morisot (1841-1895) n’est définitivement pas l’arrière-petite-nièce de Jean-Honoré Fragonard (1732-1806). C’est l’un des résultats auxquels sont parvenues Marianne Mathieu, Dominique d’Arnoult et Claire Gooden après avoir mené des recherches généalogiques pour le compte de l’exposition qui se tient actuellement au musée Marmottan Monet. Et pourtant, la parenté entre les tableaux de Berthe Morisot et ceux de Fragonard y éclate au grand jour, tout comme sa proximité avec les œuvres de Boucher, Watteau ou Perronneau, qui figurent elles aussi aux cimaises.
Une filiation choisie »
S’inscrivant dans le sillage de « Renoir. Rococo Revival » (Francfort, Städel Museum, 2022) et de « Renoir. The Painter and his Models » (Budapest, Szépmûvészeti Múzeum, 2023), la rétrospective étudie les liens qui unissent l’impressionnisme à la peinture ancienne, en l’occurrence celle du XVIIIe siècle français, et n’a guère de peine à convaincre qu’à défaut d’une descendance réelle entre l’auteur de La Leçon de musique et Berthe Morisot, parler d’une filiation choisie ne saurait être exagéré. La démonstration est claire et rondement menée. Après un face-à-face avec Au bal, représentant une élégante Parisienne tenant un éventail en soie du XVIIIe – l’objet, appartenant à l’artiste, est exposé à côté –, nous découvrons l’univers dans lequel a grandi et mûri la jeune Berthe. Amie de la fille de Léon Riesener, elle fréquente leur hôtel particulier du Cours-la-Reine que le peintre, en bon petit-fils de l’ébéniste de Marie-Antoinette, a su décorer tout entier dans le goût rococo : meubles estampillés, lambris et tapisseries d’après Boucher… C’est dans cet esprit et dans cette esthétique que Riesener prodigue quelques leçons aux deux jeunes apprenties.
Réhabiliter l’école française
L’époque, en effet, est à la réhabilitation de l’art du siècle précédent. Plusieurs expositions notables ont lieu qui visent à rappeler les talents multiples de l’école française, trop longtemps occultés par l’Académie. Outre les peintres, les pastellistes sont mis à l’honneur. L’art de Perronneau enthousiasme Berthe qui, à partir des années 1880, accorde au médium une place croissante dans son processus créatif. Comme certains de ses devanciers, c’est au pastel qu’à plusieurs reprises elle élabore ses compositions picturales (Tête de fillette (Julie Manet)). Ses scènes intimistes et de la vie quotidienne, tout comme sa touche enlevée et ses couleurs claires, évoquent immédiatement, pour ses contemporains comme pour nous, les tableaux des maîtres du rococo, Fragonard et Boucher en tête. Le rapprochement entre la sanguine Jeune Femme debout, en pied, vue de dos du premier et la Jeune Femme arrosant un arbuste de Morisot est éloquent. Quant au second, il est évident, par les deux copies peintes qu’en fait l’impressionniste (Vénus va demander ses armes à Vulcain et Apollon révélant sa divinité à la bergère Issé), qu’il constitue l’un de ses grands modèles. Son époux Eugène Manet, frère d’Édouard, partageait d’ailleurs cette admiration, comme en témoignent les quelques lignes d’un carnet resté inédit reproduites sur le mur de la dernière salle. L’exhumation de ces notes n’est pas anecdotique ; elle symbolise au contraire le louable travail de recherche et de contextualisation mené en amont pour éclairer cette belle confrontation entre la peinture impressionniste et l’art du XVIIIe siècle.
Brice Ameille
« Berthe Morisot et l’art du XVIIIe siècle. Watteau, Boucher, Fragonard, Perronneau »
Jusqu’au 3 mars 2024 au musée Marmottan Monet
2 rue Louis Boilly, 75016 Paris.
Tél. 01 44 96 50 33
www.marmottan.fr
Catalogue, coédition musée Marmottan Monet / Hazan, 208 p., 35 €.