Les colonies de chauves-souris transforment les galeries des cavernes, lissent les parois, effacent les dessins. Et bouleversent ce que nous croyions savoir du décor des grottes ornées.
Aujourd’hui, nous sommes heureux lorsque nous pouvons observer le vol de quelques chiroptères lors d’une visite en grotte ou dans la lumière de réverbères, au crépuscule ; ces grandes colonies de fantômes noirs aux cris stridents semblent en effet désormais réservées au monde tropical. C’est oublier qu’il a aussi fait très chaud en Europe, à l’Éémien (entre 125 000 et 115 000 ans), la dernière période interglaciaire avant l’Holocène (la nôtre), débutée autour de 11 700 ans. Les chauves-souris étaient alors très nombreuses. Ce qui ne fut pas sans conséquences.
Impacts sur la paroi
En effet, la vapeur d’eau dégagée par leur respiration condense sur les parois des grottes, incorporant également du CO2. Ce filet d’eau acide dissout le calcaire des parois, conduisant à la formation de coupoles. L’acide nitrique de leur urine et la volatilisation d’acides forts (nitrique, sulfurique et carbonique) dégagés par la fermentation des tas de guanos attaquent également les parois, qui se transforment en surfaces lisses comme rabotées par du papier de verre. Une aubaine pour les artistes préhistoriques qui, à Gargas (Hautes-Pyrénées), au Pech-Merle (Lot) ou à Chauvet (Ardèche), semblent avoir privilégié ces endroits sans aspérités, faciles à travailler. C’est que les chauves-souris, durant l’époque glaciaire, avaient déserté ces lieux pour s’installer ailleurs, où il faisait plus chaud, pour ne revenir qu’à l’Holocène. Et le processus recommença… Mais cette fois-ci, les parois étaient recouvertes de dessins ! Fort heureusement, la plupart des grottes majeures encore ornées aujourd’hui (comme Chauvet, Cussac, Cosquer, ou Lascaux) s’étaient refermées (leur porche d’entrée s’étant effondré par exemple). Au Mas d’Azil (Ariège), en revanche, plusieurs salles ont accueilli des colonies de chauves-souris et les dessins paléolithiques ne subsistent plus que dans des galeries secondaires. Avant que cette biocorrosion ne soit identifiée, les préhistoriens s’étaient posés la question de cette répartition, qu’ils imputaient aux artistes. Désormais mieux avertis, ils se doivent de regarder les secteurs ornés d’un autre œil…
Jacques Daniel
Retrouvez l’avis du spécialiste Laurent Bruxelles dans :
Archéologia n° 633 (juillet-août 2024)
Sport et archéologie
81 p., 11 €.
À commander sur : www.archeologia-magazine.com
Pour aller plus loin :
Bruxelles L. et al., 2023, « Biocorrosion et art pariétal : une exclusion mutuelle à l’origine de vides archéologiques. Méthodologie, premiers résultats et nouvelles perspectives de recherche », dans collectif, Hiatus, lacunes et absences : identifier et interpréter les vides archéologiques, Actes du 29e Congrès préhistorique de France, 31 mai-4 juin 2021, Toulouse, Paris, SPF, p. 85-104.