En parallèle de l’exposition « Ingres et ses princes », le château de Chantilly propose au visiteur dans son cabinet d’arts graphiques un voyage dans l’Italie du XIXe siècle.
Zeuxis en quête de sa belle Hélène
Habituellement exposée dans les bureaux de la conservation, cette belle peinture commandée en 1858 par le duc d’Aumale à son ami et portraitiste Victor Mottez (1809-1897), élève d’Ingres, ouvre le parcours. Elle met en scène le peintre grec Zeuxis qui, chargé d’orner le temple d’Héra à Crotone, choisit son modèle parmi les plus belles jeunes femmes de la cité. Offrant l’occasion aux peintres de démontrer leur maîtrise du nu féminin, ce sujet est pris à rebours par Mottez. Tombant au centre de la composition, un large rideau d’un bleu diaphane dissimule aux regards le peintre et le modèle dénudé, nous plaçant dans la posture du voyeur. La mise en abyme du regardeur se fait à travers la vieille femme et la jeune fille qui de part et d’autre soulèvent le voile. Ce jeu se double d’une référence à la célèbre anecdote rapportée par Pline l’Ancien. Lors d’un concours, tandis que Zeuxis, cherchant à démontrer sa maîtrise de la « mimesis », présentait une grappe de raisin si réaliste qu’elle trompa des oiseaux, il fut lui-même mystifié par la peinture de Parrhasios : demandant à son rival de soulever le rideau qui cachait son œuvre, il réalisa trop tard que celle-ci n’était autre que la draperie en trompe-l’œil.
Polychromie pompéienne
Félix Duban (1797-1870) fut l’un des chefs de file de l’architecture dite romantique des années 1830 et l’un des pères de l’éclectisme et de l’architecture historiciste du XIXe siècle. Il rejoint la Villa Médicis en 1824 et effectue son Grand Tour, se passionnant notamment pour Pompéi. Il fut l’un des premiers architectes à mettre en lumière l’importance de la polychromie dans l’architecture antique. En témoignent ses dessins et aquarelles, fruits de ses souvenirs pompéiens, qui nourrissent également ses ouvrages architecturaux, comme le Palais des Études de l’École des beaux-arts. Loin d’être des restitutions fidèles, ces fantaisies laissent place à l’imagination et à l’érudition de Duban. Cette composition figure l’atrium d’une villa pompéienne riche de détails : les Odes d’Horace sur le mur de gauche, la fresque mythologique, le couple au deuxième étage et les multiples paons contrebalancent le temple votif chargé de syncrétisme romain. La superposition des plans, le jeu sur les détails et les dimensions des statues magnifient une Antiquité rêvée.
La Villa Médicis selon Gaston Redon
Gaston Redon (1853-1921), frère cadet du peintre symboliste Odilon Redon, entre à l’École des beaux-arts de Paris en 1875 avant d’embrasser une carrière d’architecte. Grand Prix de Rome en 1883, il séjourne jusqu’en 1887 à la Villa Médicis, siège de l’Académie de France en Italie depuis 1803. En 1886, pour son envoi obligatoire, il donne à voir par le dessin la façade côté jardin du séjour romain des lauréats du Grand Prix. Exécutée par Bartolomeo Ammannati à la demande du cardinal Ferdinand de Médicis, la célèbre façade de la Villa est une véritable galerie à ciel ouvert, écrin de la collection d’antiques du cardinal et futur grand-duc de Toscane qui devient propriétaire des lieux en 1576. Gaston Redon restitue l’originalité de la façade en comblant les niches, vides depuis l’envoi de la collection Médicis à Florence en 1788.
Dignes et touchantes Italiennes
Loué par Victor Hugo pour son « pinceau de flamme », Louis Léopold Robert (1794-1835) s’installa en Italie à partir de 1818 et se fit une spécialité des scènes pittoresques figurant des brigands ou des Italiennes dans des tons d’ocre et de blanc au milieu des paysages du Latium ou de la Campanie. L’artiste fait notamment preuve d’une précision remarquable dans la représentation des sentiments et de la dignité de ces jeunes femmes. La confidente pose ainsi une main réconfortante sur l’épaule de son amie. Le fruit que celle-ci tient délicatement posé sur ses genoux et le panier renversé semblent indiquer, plus que l’air préoccupé de son amie, la perte de sa virginité. Le peintre à la figure pâle et triste décrite par George Sand connaît une fin tragique : éprouvé par l’amour non réciproque qu’il porte à la princesse Charlotte Bonaparte qui suivit son enseignement, il met fin à ses jours à Venise. Robert laisse inachevée sa série des Saisons, dont les grands tableaux Le Retour du pèlerinage à la Madone de l’Arc (1827) et L’Arrivée des moissonneurs dans les marais Pontins (1831) conservés au Louvre sont considérés comme des chefs-d’œuvre.
Pittoresque « Baiocco »
Vers 1830, les voyageurs de passage au Café Nuovo, célèbre établissement romain situé dans le Palazzo Ruspoli, pouvaient rencontrer Giovanni Giganti, dit « Baiocco ». Vêtu d’un large pardessus de voyage offert par un riche client, le mendiant nain était considéré par les écrivains et artistes de passage comme un personnage incontournable du « pittoresque » de Rome. Originaire de la ville, Bartolomeo Pinelli (1781-1835) signa de nombreux portraits à la pierre noire, gravures et aquarelles que l’on retrouve dans la collection d’Henri d’Orléans. Scènes de genre, vues de Rome et de ses habitants, les œuvres de Pinelli, représentations fidèles de la vie et des coutumes romaines, furent acclamées pour leur pittoresque. On connaît un autre dessin de Pinelli figurant Giovanni Giganti ; il est plus détaillé et moins enlevé que celui-ci dont le trait rapide révèle qu’il s’agirait d’un souvenir commandé par un touriste.
Gaspard Douin Cavard
À lire :
Catalogue sous la direction de Baptiste Roelly
Regarder l’histoire en face – L’Italie du XIXe siècle au musée Condé
128 p., 22 €.
À commander sur : www.faton-beaux-livres.fr
« Regarder l’histoire en face. L’Italie du XIXe siècle au musée Condé »
Jusqu’au 1er octobre 2023 au cabinet d’arts graphiques du musée Condé
Château de Chantilly
60500 Chantilly
Tél. 03 44 27 31 80
www.chateaudechantilly.fr