
La bibliothèque du musée Condé de Chantilly a préempté pour 195 000 € (frais inclus) un insigne manuscrit enluminé du XVIe siècle ayant appartenu aux familles de Montmorency puis de Condé lors d’une vente publique organisée à Drouot le 14 octobre dernier par la maison Couteau-Bégarie.
Cet ouvrage aux riches enluminures d’une qualité exceptionnelle est une édition française de L’Éducation du prince chrétien d’Érasme écrit autour de 1516. Il comporte 84 feuillets rédigés en écriture bâtarde aux bordures italianisantes et présente un frontispice orné d’une miniature en pleine page et d’une lettrine armoriée. Si quelques doutes persistent quant à l’attribution et à la datation de ces enluminures, il semblerait qu’elles aient été réalisées entre 1526 et 1531 par l’entourage d’Étienne Colaud, l’un des enlumineurs et libraires parisiens les plus brillants du règne de François Ier.
Un présent pour le Dauphin de France
La préface indique qu’il s’agit d’une commande de Guy de Baudreuil, abbé de Saint-Martin-aux-bois. Ce dernier, dans une intention clairement exprimée, souhaitait transmettre l’ouvrage à Guillaume de Montmorency afin qu’il le fasse parvenir au dauphin François de France, fils ainé de François Ier (par l’intermédiaire de Louise de Savoie, dont il était le chevalier d’honneur). Ces informations font écho aux différents décors que renferme le manuscrit. En effet, la miniature du frontispice figure deux anges tenant les armoiries du Dauphin, tandis que les lettrines des feuillets sont aux armes de Guy de Baudreuil et de Guillaume de Montmorency.

Un manuscrit à destination d’un prince captif ?
Cet ouvrage est d’autant plus intéressant qu’il voit le jour au cours d’une période agitée de l’Histoire de France. Après sa défaite à Pavie, François Ier est fait prisonnier pendant près d’un an par l’empereur Charles Quint. Ce dernier le contraint à signer le traité de Madrid du 14 janvier 1526, par lequel le roi de France s’engage à épouser la sœur de l’empereur, Éléonore de Habsbourg, et à faire quelques concessions territoriales. Afin que les clauses du traité soient respectées, Charles Quint demande au monarque de lui livrer ses deux fils, François et Henri, le temps de son exécution.
Conclusion en apothéose du bicentenaire du duc d’Aumale
Si ce manuscrit n’a pas encore révélé tous ses secrets, l’importance de son contexte de création, le caractère inédit de son contenu (il pourrait s’agir de la première version française du traité d’Érasme) et son prestigieux pedigree (il figurait notamment parmi les ouvrages inventoriés dans la bibliothèque du Grand Condé) expliquent l’importante somme déboursée par le musée, grâce au soutien des Amis du Musée Condé, du Fonds du patrimoine et du ministère de la Culture, pour son acquisition : 195 000 € (frais inclus), soit l’achat le plus important effectué par l’institution depuis la disparition du duc d’Aumale, dont on fête justement cette année le bicentenaire de la naissance. Ajoutons par ailleurs que la nomination de Mathieu Deldicque aux commandes du château a récemment suscité le don au musée Condé de deux belles porcelaines de Chantilly, un pot à eau assorti de sa jatte.
Simon Poirier