Un foisonnant bestiaire envahit cet automne le Rijksmuseum, de l’infiniment grand à l’infiniment petit. En parallèle de l’exposition « Bestioles », fourmillant d’insectes rampants, le musée retrace l’histoire rocambolesque de Clara, rhinocéros femelle capturé en Inde et ramené en Europe au XVIIIe siècle, qui encore aujourd’hui suscite la curiosité du public.
Après un périple de plus de deux cents jours dans la cale d’un bateau de la Compagnie des Indes, Clara débarque, en 1741, dans le village de Nieuwendam, au nord d’Amsterdam. Trimballé dans une charrette spécialement créée à ses mesures, le malheureux pachyderme est bientôt exhibé à travers l’Europe entière par son propriétaire, le capitaine hollandais Douwe Mout van der Meer. Transformé en phénomène de foire, il est exposé moyennant finance sur les marchés, dans les carnavals et les cours princières. Pendant presque dix-sept ans, Clara mène ainsi une vie d’itinérance d’Amsterdam à Vienne, de Paris à Copenhague, de Venise à Naples…
Un objet de fascination
Au fil d’une soixantaine de peintures, dessins, sculptures, médailles, livres et objets d’art, l’exposition évoque la vie de Clara, capturée bébé, en 1738, en Inde, lors d’une partie de chasse où sa mère est vraisemblablement tuée. Adoptée par le directeur de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales (VOC), elle grandit en liberté dans la propriété de son maître jusqu’à son départ pour l’Europe et meurt à Londres en 1758. Partout où elle passe, Clara attise la curiosité des populations qui n’ont jamais vu une telle créature ; en effet, la seule image connue de rhinocéros est celle qu’a livrée Albrecht Dürer dans sa célèbre gravure (1515). S’inspirant de la description d’un spécimen débarqué à Lisbonne, l’artiste l’avait affublé d’une corne supplémentaire sur le dos et avait couvert sa peau d’écailles.
Clara superstar
L’exposition montre comment la venue de Clara permet aux scientifiques de préciser leurs connaissances sur le rhinocéros, tandis que les artistes fascinés la représentent sur toutes sortes de supports. Le clou de l’exposition est le saisissant portrait grandeur nature peint par Jean-Baptiste Oudry à Paris, exposé au Salon de 1750 ; une toile de Pietro Longhi montre Clara à Venise l’année suivante admirée par toute une foule ; l’artiste gantois Pieter Anton Verschaffelt l’immortalise de son côté dans le marbre. Elle constitue aussi une source d’inspiration pour les arts décoratifs : en 1755, elle pose à Meissen pour le grand Johann Joachim Kaendler, qui en réalise d’imposantes figurines en porcelaine avec diverses variantes, tandis que son exceptionnelle effigie en bronze apparaît posée sur une rare boîte à musique soutenant une pendule du fondeur et horloger parisien Jean-Joseph de Saint-Germain (vers 1755). Enfin, l’artiste contemporaine Rossella Biscotti interroge la relation de l’homme avec l’animal à travers son installation intitulée Clara.
Nathalie d’Alincourt
« Clara le rhinocéros »
Jusqu’au 15 janvier 2023 au Rijksmuseum
Museumstraat 1, 1071 XX Amsterdam, Pays-Bas
Tél. 00 31 20 674 7000
www.rijksmuseum.nl
Catalogue, éditions du Rijksmuseum, 208 p., 25 €.