![Portrait de Gengis Khan réalisé par les équipes du tout jeune musée Chinggis Khaan de Mongolie à partir de « représentations » du XIVe siècle (détail). Photo service de presse. © Oulan-Bator, Chinggis Khaan National Museum](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2024/04/1-edited.jpg)
Fondateur du vaste empire mongol qui couvrait à son apogée 22 % des terres émergées, Gengis Khan (vers 1162-1227) reste aujourd’hui très peu connu en France. Notre regard sur les Mongols oscille lui aussi : étaient-ils de sanguinaires guerriers ou de paisibles nomades ? En 300 céramiques, armes, bijoux, peintures sur papier, sculptures et tissus précieux, la remarquable exposition déployée à Nantes au château des ducs de Bretagne retrace l’extraordinaire épopée de ce grand conquérant, tout en revenant aux sources de l’empire afin de comprendre « comment les Mongols ont changé le monde ». À la fois dense et résolument didactique, le parcours vous convie à un fascinant voyage à travers les steppes d’Asie jusqu’aux confins du Moyen-Orient.
Annulée en 2020 pour cause de désaccord avec les autorités chinoises qui entendaient censurer le propos, l’exposition était tout particulièrement attendue. C’est avec le gouvernement de Mongolie et le tout nouveau musée national Chinggis Khaan d’Oulan-Bator, inauguré en 2022, que le directeur du musée d’histoire de Nantes Bertrand Guillet a cette fois opéré : « Il s’agit avant tout d’une exposition sur l’empire mongol, souligne-t-il, mais Gengis Khan ne sort pas de nulle part ! Remonter dans le temps était indispensable pour appréhender ce sujet complexe, interroger les phénomènes de mondialisation et casser un certain nombre de préjugés. » Disons-le d’emblée, le résultat est admirable malgré les nombreux défis que représente une telle exposition : il a notamment fallu composer sans prêts chinois et russes ainsi que sans les pièces trop fragiles pour être transportées, tout en ne sélectionnant que des objets à la traçabilité irréprochable afin de se garder des nombreux faux présents sur le marché de l’art…
Les peuples des steppes
Pour les premiers peuples des steppes, le cerf est l’animal-totem par excellence. On le retrouve sur de nombreux vestiges, bien avant le début de l’ère chrétienne. Parmi les objets exposés, une épée en bronze datée entre 2500 et 1800 avant notre ère retient particulièrement l’attention : dans un état de conservation exceptionnel, cette « épée des cieux » à usage cérémoniel présente un pommeau orné d’une tête de cervidé. Elle démontre que les peuples des steppes, même dans les périodes les plus reculées, disposaient de connaissances techniques et artisanales très avancées, et possédaient des usages sociaux et rituels complexes. Datée de la même période, une dague en bronze de taille plus modeste mais particulièrement travaillée devait également accompagner un défunt de haut rang dans sa dernière demeure afin de le protéger dans l’au-delà.
![Remarquable dague en bronze de la région de Bayankhongor, 2500-1800 av. J.-C. Collection Erdennechuluun Purevjav & Nemekhbayar, Nadpurev, Mongolie. Photo service de presse.](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2024/04/2.jpg)
Du cerf au cheval
À la fois prêtre, médecin et devin, capable de communiquer avec les esprits et les espèces animales, le chamane est un personnage central des sociétés des steppes. De superbes figurines le représentant en jade affublé de cornes (4500-3000 av. J.-C.) incarnent cette relation particulière. Animal psychopompe, le cerf accompagne les âmes dans l’autre monde : c’est à ce titre qu’il est associé aux pratiques chamaniques et qu’on le retrouve dans des sites funéraires. Domestiqué par les Xiongnu (245 av. J-C.-460), le cheval concurrence progressivement le cerf dans l’iconographie des steppes. Établi entre le Nord de la Chine et le lac Baïkal, ce peuple développe un artisanat raffiné tout en demeurant nomade. Le cervidé reste cependant présent sur des vestiges türks ultérieurs (vers les VIe-VIIe siècles), comme le montre la copie d’une sculpture en or et argent, dont l’original fut déposé à l’intérieur du mémorial du chef Bilgä Kagan. Malgré l’évidente maîtrise technique et technologique de ces peuples des steppes, aucun texte ne nous est pourtant parvenu ; raison pour laquelle Gengis Khan s’attacha à développer l’écriture et à asseoir sa légitimité autour de récits historico-légendaires. Le cheval, sous son impulsion, devient à la fois le symbole des conquêtes militaires, d’un mode de vie nomade et d’une spiritualité liée aux grands espaces.
![Réuni dans une vitrine, un ensemble d’objets témoigne du lien particulièrement fort noué entre le cerf et la figure du chamane. Photo service de presse.](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2024/04/3-scaled.jpg)
Gengis Khan, une figure ambivalente
C’est en 1206 que les peuples des steppes se réunissent lors du kuriltai (grande assemblée), sous la bannière de Temüjin, alors proclamé Gengis Khan (« souverain universel »). S’il est passé à la postérité comme un puissant guerrier, volontiers dépeint par ses détracteurs sous les traits d’un barbare sanguinaire, il a pourtant prouvé ses qualités d’homme d’État. Administrateur hors-pair, il a établi des postes le long d’axes routiers, facilitant la mobilité des troupes, commerçants et voyageurs sur des milliers de kilomètres. Sa cour est cosmopolite, composée de conseillers de toutes ethnies et croyances religieuses. Il s’illustre ainsi comme un dirigeant ouvert sur le monde et tolérant à la diversité religieuse ; la société qu’il dirige donne en outre un rôle important aux femmes, qui peuvent occuper des fonctions politiques, monter à cheval et combattre.
![Le petit-fils de Gengis Khan, Kubilaï Khaan, chasse avec son épouse et sa garde rapprochée, très cosmopolite. Copie d’après une peinture sur soie de Liu Guandao, 1280. Taiwan, musée du Palais, Taipei. Photo service de presse.](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2024/04/4-1.jpg)
L’art de la guerre
À partir du règne de Gengis Khan, l’expansion de l’empire s’appuie sur la maîtrise de la cavalerie : d’abord légère, permettant de couvrir d’immenses distances et s’articulant parfaitement avec le mode de vie nomade des hommes des steppes, la cavalerie lourde apparaît progressivement, avec des chevaux caparaçonnés montés par des lanciers. Si les fameux archers à cheval, très mobiles et capables d’infliger des dégâts considérables à l’infanterie adverse, ont permis aux hordes de Gengis Khan de remporter de nombreuses victoires en terrain ouvert, ils se montrent moins adaptés aux techniques de sièges et aux assauts urbains. Pour conquérir des villes, les Mongols adaptent donc leur stratégie et leurs armes, développant par exemple les canons à main, autrement dit une artillerie très mobile et puissante, qui peut être montée ou, au contraire, tirée par l’infanterie. Cette nouvelle approche militaire leur permet de s’emparer de grandes cités comme Boukhara et Bagdad, qui sont entièrement pillées et dévastées par les hordes mongoles. Certaines villes sont pourtant prises sans coup férir, par le biais de la négociation et de l’intimidation, les Mongols capitalisant sur leur réputation de guerriers sanguinaires et sans merci.
![Casque avec oreillettes, en fer forgé et cuir, dynastie Yuan, XIIIe-XIVe siècles. Collection Erdennechuluun Purevjav & Nemekhbayar, Nadpurev, Mongolie. Photo service de presse.](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2024/04/5-scaled.jpg)
Pax mongolica : l’épanouissement des sciences et des arts
Après les violentes vagues d’invasion, le début du XIVe siècle est marqué par une période de relative stabilité. Le puissant empire mongol densifie fortement le réseau d’échanges commerciaux entre des régions auparavant isolées. En assurant une plus grande sécurité sur les routes de la soie, il favorise les flux de marchandises, d’hommes, d’idées et de techniques. Si les grands Khan, leur cour et leurs administrations restent eux-mêmes nomades, de grandes villes comme Karakorum sont créées à travers le territoire, attirant de talentueux artisans et ingénieurs (soulignons d’ailleurs que, durant ses conquêtes, Gengis Khan épargnait toujours ces catégories de vaincus afin de les mettre à son service). Au deuxième étage, l’exposition présente des ensembles de céramiques, petites vaisselles d’argent et pièces d’orfèvrerie issues de collections de musées ou de fouilles archéologiques récentes pour mettre en lumière l’excellence des artisans et l’importance des échanges. On admire notamment de superbes faïences bleu et blanc venues de manufactures de Chine, qui témoignent de l’hybridation de formes et de motifs aux origines diverses, qui rencontrent un vif succès aux confins de l’empire, en particulier en terre d’Islam.
![À la modeste vaisselle traditionnelle succèdent peu à peu des pièces de grandes dimensions et d’un grand raffinement. Photo service de presse.](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2024/04/6-scaled.jpg)
Un symbole intemporel de la Mongolie
Personnage hors du commun dont il était interdit de mentionner le nom durant la période de domination soviétique, Gengis Khan est redevenu dans les années 1990 la figure tutélaire des Mongols… à tel point que l’usage commercial de son image a dû être fortement limité par des décrets, afin de conserver intact ce symbole du prestige et de la grande histoire du pays. Il est intéressant de noter que, même si Gengis Khan incarne la conquête militaire et la domination par les armes, les Mongols sont aujourd’hui un peuple éminemment pacifique, diplomate, occupant un territoire s’étendant entre deux nations aux tendances expansionnistes : la Chine et la Russie. L’exposition s’achève sur une poétique évocation de la postérité du grand conquérant et de sa tombe, située sur le secteur strictement contrôlé et éminemment sacré des monts Khentii, dans le nord-est de la Mongolie.
![Portrait de Gengis Khan réalisé par les équipes du tout jeune musée Chinggis Khaan de Mongolie à partir de « représentations » du XIVe siècle. Photo service de presse. © Oulan-Bator, Chinggis Khaan National Museum](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2024/04/1.jpg)
Raphaël Buisson-Rozensztrauch
« Gengis Khan. Comment les Mongols ont changé le monde »
Jusqu’au 5 mai 2014 au musée d’Histoire de Nantes – château des ducs de Bretagne
4 place Marc Elder, 44000 Nantes
Tél. 08 11 46 46 44
www.chateaunantes.fr