Le monde de l’art est aujourd’hui orphelin de l’une de ses plus attachantes figures. Aux commandes de la Fondation Custodia depuis 2010, Ger Luijten s’est éteint brutalement lundi aux Pays-Bas âgé de seulement 66 ans.
Historiens de l’art, chercheurs et amateurs, marchands et journalistes, garderont le souvenir d’un érudit brillant et chaleureux, dont le regard bleu ciel traduisait l’insatiable curiosité. Gardien des trésors du philanthrope hollandais Frits Lugt et de son épouse Jacoba, il a su donner par son action une ampleur nouvelle à la vénérable Fondation, qui grâce à sa dynamique politique d’expositions, de publications et d’acquisitions s’est imposée comme le véritable cœur battant du dessin dans la capitale. En 2018, il nous avait ouvert les portes de sa « maison » de la rue de Lille. Nous reproduisons ici l’entretien qu’il nous avait alors accordé et dans lequel il revenait sur son parcours et ses projets. Les rédactions de L’Objet d’Art, d’Art & Métiers du Livre et l’ensemble des Éditions Faton présentent leurs sincères condoléances à sa famille, à ses proches et à tous ses collaborateurs.
« Servir l’histoire de l’art » : entretien avec Ger Luijten, directeur de la Fondation Custodia
(L’Objet d’Art n° 546, juin 2018)
Propos recueillis par Nathalie d’Alincourt, Jeanne Faton et Christine Gouzi
Comment devient-on directeur de la fondation Custodia ?
J’ai d’abord été professeur de dessin avant d’entreprendre, à 23 ans, des études d’histoire de l’art. Après avoir été chercheur indépendant, je suis devenu en 1987 conservateur au musée Boijmans de Rotterdam où j’ai notamment écrit le catalogue de la grande exposition « De Pisanello à Cézanne ». Puis j’ai poursuivi ma carrière au Rijksmuseum d’Amsterdam, d’abord comme conservateur en chef au cabinet des estampes puis comme directeur de ce département. En 2010, j’ai quitté le Rijks, car j’avais envie d’évoluer à nouveau. Vous savez, Frits Lugt est le héros de nombre d’historiens de l’art et Paris est une ville formidable !
Quelque temps après vos prises de fonction, vous nous aviez annoncé votre volonté de moderniser la Fondation et son fonctionnement. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Nous avons lancé une grande campagne de restauration de l’ensemble de l’hôtel Turgot : la mise aux normes de sécurité et la réfection du décor de ses différentes pièces : l’escalier, le grand salon, la salle à manger, mon bureau, aménagé comme un véritable salon hollandais avec sa cheminée en carreaux de faïence et son mobilier… Le cabinet hollandais, le trésor qui renferme les albums de dessins et les réserves en sous-sol ont également été complètement modernisés. Nous avons aussi une libraire et des espaces d’exposition dans les locaux de l’Institut néerlandais, qui a fermé ses portes en 2014, après la décision de notre ministère des Affaires étrangères de ne plus en assurer le financement.
Cet Institut qui occupait le bâtiment sur la rue de Lille était pourtant très lié à la Fondation… Comment financez-vous votre fonctionnement et vos acquisitions ?
L’institut avait été voulu par Frits Lugt pour le rayonnement de la culture néerlandaise et son loyer nous rapportait 460 000 € annuels ! Nous avons dû trouver d’autres locataires… Nous disposons heureusement du fonds de dotation mis en place par Frits Lugt et son épouse qui nous assure notre indépendance, avec un budget de plusieurs millions par an. Il nous permet d’employer vingt-deux personnes (dont quatre conservateurs, quatre bibliothécaires et une restauratrice à plein temps), ce qui équivaut en France à un musée de région de taille moyenne. Nous accueillons aussi les chercheurs et nous avons créé avec le Rijksmuseum un poste commun pour la formation des jeunes conservateurs : tous les 2 ans deux candidats sont sélectionnés pour passer un an dans chaque institution, tous frais payés. Il faut assurer la relève !
Et pour les acquisitions ?
Ce budget nous permet aussi de mener une politique d’acquisition active, même si c’est parfois plus difficile : j’ai déjà dépensé tout le budget 2018 ! Nous sommes en train d’acquérir un très beau tableau de Georges Michel qui figurait dans notre exposition. Je rêve d’acquérir un Constable, un Thomas Jones…
Consacrerez-vous un jour une exposition à la personnalité de Frits Lugt ?
Pas dans l’immédiat. Nous poursuivons aujourd’hui la mise en ligne des marques de collection et nous efforçons de publier ses propres collections. Le catalogue des portraits en miniature qui s’est accompagné d’une exposition a paru en 2018, celui des lettres d’artistes italiens et celui des porcelaines chinoises (environ 200 pièces) verront le jour l’an prochain. Nous mettons aussi en ligne la collection de tableaux et sommes en train de numériser les dessins, les gravures et les lettres. Tout cela sera accessible dans le courant de l’année.