L’art autrement : regards choisis sur l’art.

 

Dürer révolutionne la gravure à Chantilly

Albrecht Dürer (1471-1528), Saint Jérôme dans sa cellule (détail), 1514. Gravure sur cuivre au burin, 24,5 x 18,6 cm. Chantilly, musée Condé. Photo service de presse. © RMN-Grand Palais Domaine de Chantilly / René-Gabriel Ojéda
Albrecht Dürer (1471-1528), Saint Jérôme dans sa cellule (détail), 1514. Gravure sur cuivre au burin, 24,5 x 18,6 cm. Chantilly, musée Condé. Photo service de presse. © RMN-Grand Palais Domaine de Chantilly / René-Gabriel Ojéda

Particulièrement riches en œuvres d’Albrecht Dürer (1471-1528), les collections de la Bibliothèque nationale de France et celles réunies par le duc d’Aumale unissent leurs forces afin de présenter, pour un mois encore, dans la salle du Jeu de Paume du château de Chantilly près de 200 estampes et dessins. L’Objet d’Art vous propose sa sélection parmi les feuilles les plus spectaculaires de l’artiste.

Il ne s’agit pas de proposer une rétrospective de l’œuvre de l’artiste, mais plutôt de mettre en regard sa production gravée avec celle de ses contemporains dans le contexte de révolution de l’art de la gravure qui caractérise la Renaissance. Particulièrement lucratif, ce médium occupa en effet une place prépondérante dans la pratique artistique du maître de Nuremberg. Outre les plus grands chefs-d’œuvre de Dürer que sont La Mélancolie, Le Chevalier, la Mort et le diable, ou encore Saint Jérôme dans sa cellule, le visiteur peut admirer dans leur intégralité trois cycles gravés qui firent la renommée – et la fortune – de l’artiste : L’Apocalypse, La Vie de la Vierge et La Grande Passion.

Une cigogne dans l’atelier

C’est un véritable portrait que se voit offrir, à l’aube du XVIe siècle, ce noble volatile qui posa dans l’atelier du maître. Respect scrupuleux des proportions, port de tête altier, regard pénétrant : tout en livrant à l’œil le fruit d’une observation particulièrement fidèle de la réalité, Dürer insuffle à ses animaux de papier une profondeur inhabituelle, un supplément d’âme.

Albrecht Dürer (1471-1528), La Cigogne, vers 1500-1505. Plume et encre. Bruxelles, musée d’Ixelles. Photo service de presse. © Musée d’Ixelles
Albrecht Dürer (1471-1528), La Cigogne, vers 1500-1505. Plume et encre. Bruxelles, musée d’Ixelles. Photo service de presse. © Musée d’Ixelles

Un spectaculaire projet de retable

Ce splendide dessin rehaussé d’aquarelle est assurément le plus important projet de l’artiste conservé à Chantilly. Préparatoire au grand retable à l’italienne que deux riches marchands nurembergeois lui commandent afin d’orner la chapelle d’un hospice nouvellement fondé, ce modello fut esquissé en 1508 ; l’œuvre finale sera achevée trois années plus tard, en 1511 (aujourd’hui au Kunsthistorisches Museum de Vienne). Exécuté par le sculpteur, orfèvre et graveur Ludwig Krug (vers 1489-1532), son cadre s’inspire du dessin de Dürer, tout en prenant ses distances avec la manière italienne qui le caractérisait.

Albrecht Dürer (1471-1528), L’Adoration de la Sainte Trinité, projet pour le Retable Landauer, 1508. Plume et encre brune, légèrement aquarellée (tons bruns, rouge, vert, bleu), 39 x 26,8 cm. Chantilly, musée Condé. Photo service de presse. © RMN-Grand Palais Domaine de Chantilly / Gérard Blot
Albrecht Dürer (1471-1528), L’Adoration de la Sainte Trinité, projet pour le retable Landauer, 1508. Plume et encre brune, légèrement aquarellée (tons bruns, rouge, vert, bleu), 39 x 26,8 cm. Chantilly, musée Condé. Photo service de presse. © RMN-Grand Palais Domaine de Chantilly / Gérard Blot

Ombre ou lumière ?

Qui est ce cavalier armé et casqué qu’entourent le diable et la Mort ? Un preux chevalier chrétien menant imperturbablement sa quête, ou bien un brutal mercenaire juché sur sa monture et missionné pour semer la terreur ? Le Bien, ou le Mal ? Ce mystère non-résolu contribua à l’aura qui, depuis sa création, entoure l’une des estampes les plus fameuses de Dürer. Traquant inlassablement dans son œuvre le cheval idéal, l’artiste en livre ici sa version la plus aboutie, puisant ouvertement aux sources de Donatello et de Verrocchio, autant qu’à celle de Léonard de Vinci pour le fameux monument équestre jamais achevé qu’il destinait à Francesco Sforza.

Albrecht Dürer (1471-1528), Le Chevalier, la Mort et le diable, 1513. Gravure sur cuivre au burin, 24,9 x 19,1 cm. Paris, département des Estampes et de la photographie de la Bibliothèque nationale de France. Photo service de presse. © BnF
Albrecht Dürer (1471-1528), Le Chevalier, la Mort et le diable, 1513. Gravure sur cuivre au burin, 24,9 x 19,1 cm. Paris, département des Estampes et de la photographie de la Bibliothèque nationale de France. Photo service de presse. © BnF

Énigmatique Mélancolie

Aucune gravure n’a vraisemblablement fait couler autant d’encre que l’énigmatique Mélancolie. La joue appuyée sur sa main, la figure féminine ailée entourée d’outils et d’instruments scientifiques qui la personnifie semble désemparée. Selon une théorie longtemps en vogue, la mélancolie, associée à la bile noire, faisait partie des quatre humeurs gouvernant la nature humaine. Elle fut considérée pendant des siècles comme servant d’antichambre à la folie, avant que la Renaissance ne redore son blason en la liant au génie créatif. On considère aujourd’hui que l’estampe constitue un autoportrait spirituel de l’artiste, éternellement insatisfait de ne pouvoir entièrement mesurer le monde par son art.

Albrecht Dürer (1471-1528), Melencolia I, 1514. Gravure sur cuivre au burin, 27 x 21,6 cm. Chantilly, musée Condé. Photo service de presse. © RMN-Grand Palais Domaine de Chantilly-René Gabriel Ojéda
Albrecht Dürer (1471-1528), Melencolia I, 1514. Gravure sur cuivre au burin, 27 x 21,6 cm. Chantilly, musée Condé. Photo service de presse. © RMN-Grand Palais Domaine de Chantilly / René-Gabriel Ojéda

Olivier Paze-Mazzi


« Albrecht Dürer – Gravure et Renaissance »
Jusqu’au 2 octobre 2022 dans la salle du Jeu de Paume du château de Chantilly
60500 Chantilly

Tél. 03 44 27 31 80   
www.chateaudechantilly.fr

Catalogue sous la direction de Mathieu Deldicque et de Caroline Vrand, In Fine – Éditions d’art, 288 p., 35 €.

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