Les nouvelles ambitions du palais des Beaux-Arts de Lille : rencontre avec Juliette Singer

Juliette Singer, directrice du palais des Beaux-Arts et du musée de l'Hospice Comtesse à Lille. © Ville de Lille
Après avoir marqué les esprits par les expositions grandioses qu’elle a conçues au Petit Palais (« Le Paris de la modernité », carte blanche à Othoniel…), Juliette Singer (50 ans) fait souffler un vent nouveau sur le palais des Beaux-Arts de Lille, qu’elle est la première femme à diriger depuis deux siècles. Programmation ambitieuse, collaborations avec des musées étrangers, valorisation des écoles du Nord… Un an après son arrivée, elle dévoile sa feuille de route et ses nombreux projets.
Propos recueillis par Eva Bensard
Qu’est-ce qui a motivé votre choix de poser votre candidature à la direction du palais des Beaux-Arts de Lille ?
J’ai été enthousiasmée par l’envergure de ce musée des Beaux-Arts, qui est le plus important en France après le Louvre, et possède des collections encyclopédiques fantastiques, de l’Antiquité au XXe siècle, en passant par un remarquable département Moyen Âge et Renaissance, et des œuvres de référence mondiale signées Bouts, Rubens, Goya, Courbet, Delacroix, Picasso, Sonia Delaunay… Par sa stature internationale également, Lille se trouvant au carrefour de la France, de la Belgique et du monde anglo-saxon. Le musée de l’Hospice Comtesse, plein de charme, et qui raconte l’histoire de la Ville, dans les murs d’un ancien hôpital fondé au XIIIe siècle par Jeanne de Flandre, est lui aussi passionnant.
La façade du palais des Beaux-Arts de Lille. © PBA Lille
Il y a 23 ans, vous débutiez votre carrière dans le Nord. Pouvez-vous nous rappeler les étapes de votre parcours ?
J’ai en effet commencé ma carrière au LaM de Villeneuve-d’Ascq, où je me suis occupée de la collection d’art brut. J’ai travaillé au musée-château d’Annecy puis, après avoir réussi le concours de conservatrice du patrimoine, aux musées de Boulogne-Billancourt, et à Paris Musées, dont j’ai été la première directrice des collections. Mon goût pour l’art moderne et contemporain m’a ensuite menée au Louvre Abu Dhabi et enfin au Petit Palais à Paris, où j’ai organisé l’exposition « Le Paris de la modernité (1905-1925) », et invité plusieurs artistes à investir les espaces du musée.
L’Atrium du palais des Beaux-Arts de Lille. © PBA Lille
Vous êtes en poste à Lille depuis exactement un an. Quelle est votre feuille de route ?
Mon objectif est double : d’une part favoriser le rayonnement du palais des Beaux-Arts, en le propulsant au plus haut sur la scène muséale internationale, d’autre part renforcer son ancrage territorial. Avec son architecture imposante, qui est celle d’un palais, ce musée peut en effet intimider. J’ai décidé d’ouvrir les grilles des galeries de sculptures et de céramiques, pour que les visiteurs puissent y accéder gratuitement, en entrant ou en sortant du café et de la librairie situés dans l’Atrium. Une première « Fête des voisins » a également été organisée dans nos murs. Je suis convaincue qu’une fois qu’on a franchi les portes d’un musée, on a envie d’y revenir ! Concernant l’Hospice Comtesse, musée d’art et d’histoire de Lille, le parcours de visite s’arrête pour l’instant à la Révolution française. Il serait intéressant de l’étirer sur le plan chronologique, en revenant aux sources de Lille (l’Isle), et de le poursuivre jusqu’à nos jours, avec ses récents développements très dynamiques. Il y a un fonds d’instruments de musique, d’enseignes, de marionnettes, de cartes postales et de photographies à exploiter, un travail autour des personnages qui ont fait Lille. Le potentiel est très important.
« […] je souhaite m’atteler au plus vite à la galerie du 1er étage, avec l’axe suivant : revaloriser les écoles du Nord et faire débuter la visite par une salle époustouflante consacrée à Rubens. »
Vous succédez à Bruno Girveau, qui dirigeait ces deux musées depuis 2013. Quels changements stratégiques aimeriez-vous apporter ?
Mon prédécesseur a développé beaucoup d’actions et d’expériences pour rendre le palais des Beaux-Arts plus accessible et ouvert, notamment l’opération « Open Museum » (invitation de personnalités ou de genres inattendus, comme les jeux vidéo). Je voudrais à présent revenir aux fondamentaux, remettre les œuvres au cœur de la rencontre avec le public. L’une de mes priorités est le réaménagement de la grande galerie des peintures (XVIe-XXIe siècle). Les sections consacrées au Moyen Âge et à la Renaissance ont été réaménagées en 2022, je souhaite m’atteler au plus vite à la galerie du 1er étage, avec l’axe suivant : revaloriser les écoles du Nord et faire débuter la visite par une salle époustouflante consacrée à Rubens.
Peter Paul Rubens (1577-1640), La Descente de Croix, vers 1617. Huile sur toile, 425 x 295 cm. Lille, palais des Beaux-Arts. © GrandPalaisRmn (PBA, Lille) / Philippe Bernard
Pourquoi Rubens ?
C’est un artiste très bien représenté dans nos collections (avec notamment une exceptionnelle Descente de Croix), et qui incarne quelque chose de fort dans ce territoire transfrontalier avec la Belgique. Les publics français et belge se souviennent encore de l’exposition « Rubens » organisée en 2004, lorsque Lille était Capitale européenne de la Culture. Je dois dire qu’elle m’a beaucoup marquée moi aussi ! Je travaillais au LaM et habitais Lille à cette époque et c’est à la faveur de cette exposition, d’un souffle extraordinaire, que j’ai poussé pour la première fois la porte du palais des Beaux-Arts.
« J’aimerais beaucoup travailler avec des musées anglais. […] Je rêve par exemple d’une exposition “Turner” au palais des Beaux-Arts… Pourquoi pas en 2026 ? »
Comptez-vous nouer des partenariats avec la Belgique et ses musées ?
Oui. Et la nouvelle saison « Fiesta » de « Lille 3000 » m’en a offert l’occasion ! À mon arrivée, j’ai dû monter en urgence une exposition pour cette 7e édition autour du thème de la fête. J’ai réfléchi à un projet en lien avec le territoire lillois, très généreux en kermesses, parades de géants et autres réjouissances ; un héritage flamand, qui reste très vivant aujourd’hui ! C’est ainsi qu’est née « Fêtes & célébrations flamandes » aux XVIe et XVIIe siècles, qui a été inaugurée le 26 avril dernier et présente des chefs-d’œuvre éblouissants de Brueghel, Rubens et Jordaens, entre autres. J’ai noué un partenariat scientifique avec les musées royaux des Beaux-Arts de Belgique (qui ont prêté 28 œuvres !) ainsi qu’avec le Louvre. D’autres prestigieuses institutions belges, hollandaises, mais aussi autrichiennes et espagnoles, contribuent à la richesse du parcours de l’exposition.
Alexander van Bredael (1663-1720), Fête traditionnelle à Anvers avec le géant Druon Antigon, XVIIᵉ siècle. Huile sur toile. Lille, musée de l’Hospice Comtesse. Photo service de presse. © GrandPalaisRmn / Stéphane Maréchalle
D’autres partenariats à l’étranger sont-ils envisagés pour les années à venir ?
J’aimerais beaucoup travailler avec des musées anglais. Lille est à seulement 1h20 de Londres en Eurostar. Je rêve par exemple d’une exposition « Turner » au palais des Beaux-Arts… Pourquoi pas en 2026 ?
Quels sont vos autres projets à moyen ou à plus long terme ?
La création d’un « musée pour les enfants » au sein du palais des Beaux-Arts, avec des œuvres spécialement choisies pour eux et disposées à hauteur de leur regard. J’ai déjà trouvé l’endroit adéquat : une rotonde de 120 m2 dans l’Atrium, dont la forme rappelle un igloo et sera certainement appropriée pour le jeune public.
Êtes-vous inquiète face aux coupes budgétaires opérées par certaines collectivités territoriales dans le secteur culturel ?
Pour l’instant, nous ne sommes pas impactés. Le palais des Beaux-Arts et l’Hospice Comtesse sont des musées municipaux, et le soutien affiché à la culture reste fort dans la ville, ce dont je me réjouis. J’espère bien sûr que cela sera toujours le cas dans les années à venir. Tous ceux qui travaillent dans la culture savent qu’il s’agit d’un secteur essentiel. Mais on l’a vu au moment de la crise du Covid : il faut régulièrement rappeler qu’elle est vitale pour notre société. La pédagogie autour de nos missions reste fondamentale.
Vous avez travaillé avec plusieurs artistes contemporains par le passé, dont Jean-Michel Othoniel et Loris Gréaud. Qui souhaiteriez-vous inviter à Lille ?
La nouvelle saison « Fiesta » de « Lille3000 » m’a offert l’occasion de contacter Felice Varini, connu pour ses installations géométriques qui dialoguent avec l’architecture. Il a créé trois œuvres éphémères qui modifient notre perception du palais des Beaux-Arts. Je souhaite poursuivre ces collaborations avec des créateurs, notamment des femmes artistes, depuis plusieurs années absentes du musée. C’est un aspect de mon travail que j’aime beaucoup ! Les artistes contemporains nous permettent de regarder et d’appréhender différemment un lieu muséal, ils nous emportent dans leur propre univers et nous proposent une expérience de visite inattendue. C’est extraordinaire !
Installation de Felice Varini devant le palais des Beaux-Arts de Lille. © DICOM-Ville de Lille
Palais des Beaux-Arts, place de la République, 59000 Lille. Tél. 03 20 06 78 28. www.pba.lille.fr
Musée de l’Hospice Comtesse, 32 rue de la Monnaie, 59800 Lille. Tél. 03 28 36 84 00. www.mhc.lille.fr
À voir : « Felice Varini, éclats en échos », du 26 avril au 9 novembre 2025, et « Fêtes & célébrations flamandes. Brueghel, Rubens, Jordaens… », du 26 avril au 1er septembre 2025.
Programme complet de la saison « Fiesta » de « Lille3000 » sur fiestalille3000.com