Le « grand goût Rothschild » qui mêle opulence et audace, mariant la Renaissance au Grand Siècle, vient d’être salué à New York chez Christie’s (11-13 octobre) par des résultats qui ont souvent pulvérisé les estimations hautes. Les pièces avaient pour la plupart orné le château de Ferrières édifié pour le baron James de Rothschild et l’hôtel Saint-Florentin, à Paris, où vécut son fils Alphonse (cf. EOA n°604, pp. 36-49).
Le record de la vente est établi par les 7 068 000 $ du tableau de Gerrit Dou (1613-1675) et sa délicate et riche représentation d’une Jeune Femme tenant un lièvre à une fenêtre, un garçon près d’elle, laissant loin derrière les 3/5 M$ attendus. La scène de genre d’Adriaen van Ostade (1610-1685) datée de 1658, Paysans fumant, buvant et jouant à des jeux devant une auberge, a changé de mains moyennant 1 381 000 $, en dessous des 1,8 M$ d’estimation haute. Quant au Paysage avec des cavaliers sur un chemin signé par Aelbert Cuyp (1620-1691), il n’a pas su convaincre au-delà de 378 000 $ puisqu’on en attendait au moins le double.
L’apothéose du siège français
Le second record est dû à la paire de fauteuils à châssis de Louis Delanois, en noyer doré et laque blanche, à la sculpture très fouillée et typique du goût à la grecque en vogue dès 1760, et qui fut livré en 1770-1771 à Madame du Barry pour son château de Louveciennes. Estimés au mieux 1 M$, ces sièges ont été adjugés 6 221 000 $, tandis qu’une autre paire de fauteuils en bois doré du même menuisier ont trouvé preneur à 4 406 000 $, bien au-delà des 800 000 $ espérés ; ils illustraient, eux aussi, le fameux goût grec dont un seul autre modèle similaire était connu pour avoir figuré dans les collections de Sir Robert Abdy et Karl Lagerfeld (adjugé 2 677 500 F chez Christie’s Monaco, 29 avril 2000). La série de six chaises Louis XV estampillées par Jean Avisse, vers 1760, était emportée à 302 400 $, alors qu’on en attendait 120 000 $.
Un somptueux nautile pour le Cleveland Museum of Art
Quant à la suite de onze panneaux de cuir peints en relief et dorés, représentant le triomphe de David, production rarissime de l’école hollandaise du milieu du XVIIe siècle, elle a raflé plus du double de l’estimation haute, soit 4 406 000 $ (voir la couverture de L’Objet d’Art n° 604). On saluera les 2 107 000 $ du camée romain, vers 41-54 après J.-C., représentant l’empereur Claude de profil, en sardonyx – une agate blanche et orangée – qui appartint au 2e comte d’Arundel avant d’entrer chez les ducs de Marlborough ; il fut ensuite acheté par Alphonse de Rothschild. Il était modestement estimé 300 000 € au plus haut. Même succès pour le spectaculaire nautile à monture en vermeil, de Delft, portant la marque de Cornelis Jansz Van der Burch et la date de 1607, qui s’est envolé à 1 502 000 $, bien plus que les 150 000 $ espérés, emporté outre-Atlantique par le Cleveland Museum of Art.
Honneur aux grandes estampilles
Les meubles signés des grands maîtres du XVIIIe siècle se sont également remarquablement illustrés. Ainsi, le bureau plat en amarante, estampillé BVRB, a été demandé jusqu’à 1 260 000 $, sur une estimation haute de 500 000 $. Du même ébéniste, l’élégante table à écrire en satiné, bois de rose et fleurs en bois de bout de violette est sagement partie à 239 400 $, estimée 250 000 $ au plus haut. Les œuvres de Jean-Pierre Latz ont été fortement prisées, comme la commode Louis XV ornée de puissants bronzes en façade, qui a pulvérisé son estimation haute de 400 000 $ pour atteindre 1 008 000 $, tandis que le splendide secrétaire à abattant marqueté d’ananas et de somptueux bouquets de fleurs, dont le bâti et les bronzes reviennent à Latz et la marqueterie à Oeben, a su séduire jusqu’à 504 000 $, au-delà des 300 000 $ espérés. Le grand cabinet italien orné de pierres dures en relief, qui décorait le Grand Hall du château de Ferrières, a été adjugé 856 800 $ pour une estimation haute de 500 000 $.
La céramique en majesté
La céramique a également brillé de tous ses feux ! Le record revient dans cette vente au plat hispano-mauresque de Valence, aux armes du roi Philippe VII, vers 1456-1461, qui a été obtenu avec 1 033 200 $ sur une estimation haute de 300 000 $. Le grand plat armorié en majolique d’Urbino, daté 1541, qui reste la seule œuvre connue du peintre Avelli, a été enlevé à 819 000 $ (400 000 $ attendus). Le précieux miroir en nacre et bronze argenté, réalisé vers 1730 par Edward Amory, s’est illustré avec une enchère à 138 600 $, sur une estimation haute de 50 000 $, tandis que les bustes en bronze de Louis XIV et du Grand Condé, datant du XIXe siècle, ont été acquis 478 800 $ sur une estimation haute de 150 000 $. Enfin, le service de table en porcelaine de Sèvres à fond vert, dont raffolait Alphonse de Rothschild, a été adjugé 226 800 $, tout comme la pendule au rhinocéros que lui avait offert son père pour sa chambre à Ferrières.
Françoise Rouge
Expert près la cour d’appel de Paris