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100 chefs-d’œuvre méconnus du musée national de Varsovie exceptionnellement présentés à la Fondation de l’Hermitage

Władysław Jarocki (1879-1965), Houtsoules dans les Carpates, 1910. Huile sur toile, 201 x 282 cm. Musée national de Varsovie.

Władysław Jarocki (1879-1965), Houtsoules dans les Carpates, 1910. Huile sur toile, 201 x 282 cm. Musée national de Varsovie. Photo service de presse. © musée national de Varsovie

Entre les années 1870 et 1918, la Pologne est dominée par les puissances voisines. Ses peintres, pourtant, célèbrent une identité nationale idéalisée qu’ils contribuent à forger à la pointe de leur pinceau. Exceptionnellement réunis à la Fondation de l’Hermitage, 100 chefs-d’œuvre du musée national de Varsovie nous entraînent jusque dans les forêts, les plaines et les cimes enneigées de ce territoire pluriel, à la rencontre des paysans, nymphes et monarques qui en sont l’âme.

C’est sans doute dans les paysages empreints de nostalgie que l’on ressent avec le plus d’intensité la « polonité » célébrée par les peintres et le sentiment déchirant de leur indépendance perdue. Il est vrai que ce genre, non soumis à la censure, leur permet de dissimuler des revendications politiques derrière de simples troncs noueux ou des steppes silencieuses. Au cœur du parcours, les éblouissantes vues du massif des Tatras enseveli sous la neige aimantent le regard et engagent un saisissant dialogue avec les Alpes que l’on aperçoit depuis les fenêtres de l’Hermitage.

Julian Falat (1853-1929), Paysage d’hiver avec rivière et oiseau, 1913. Huile sur toile, 106 x 135 cm. Musée national de Varsovie.

Julian Falat (1853-1929), Paysage d’hiver avec rivière et oiseau, 1913. Huile sur toile, 106 x 135 cm. Musée national de Varsovie. Photo service de presse. © musée national de Varsovie

Célébrer le passé

Les peintres de la Pologne sous partition sont toutefois loin de se cantonner au paysage. L’exposition nous invite à appréhender l’histoire complexe de ce pays fondé au XIe siècle. Le royaume a été uni au grand-duché de Lituanie en 1569 pour former la république des Deux Nations, mais à la fin du XVIIIe siècle, la Russie, la Prusse et l’Autriche se partagent ce vaste territoire qui comprend une grande partie de l’Ukraine et de la Biélorussie actuelles. Il faudra attendre 123 ans pour que le pays renaisse de ses cendres grâce à la proclamation de la Deuxième République de Pologne, en 19181.
Bien qu’ils s’aventurent à dénoncer les insurrections violemment matées et les déportations en Sibérie, les peintres convoquent surtout les héros, légendes et événements fondateurs d’un passé parfois fantasmé. Dans les premières salles, l’on croise ainsi un insurgé de 1863 peint par Maksymilian Gierymski, d’envoûtantes rusałki (nymphes des eaux), la reine Jadwiga couronnée en 1384, ou un Camp de zaporogues ; ces guerriers qui dominaient les steppes au XVIIe siècle incarnent autant la liberté que la rébellion sous le pinceau du célèbre peintre de batailles Józef Brandt. À l’évidence, la frontière est parfois ténue entre mythe et réalité, comme en témoigne l’esquisse d’un tableau de Jan Matejko connu de tous les Polonais et représentant le joueur de lyre cosaque Wernyhora, figure du folklore ukrainien qui aurait prophétisé les partages successifs de la Pologne et sa résurrection.

« Les peintres convoquent surtout les héros, légendes et événements fondateurs d’un passé parfois fantasmé. »

Une quête d’authenticité

L’image idéale que s’attachent à façonner une partie des artistes et intellectuels tend à lisser les particularismes, mais au tournant du XXe siècle, la tendance panslave s’épanouit au même titre que le mouvement régionaliste et l’on comprend, au fil des œuvres, que la Pologne est une mosaïque de peuples, de langues et de religions. C’est en tout cas dans les campagnes, à l’écart de la modernité, que de ­nombreux peintres vont chercher l’inspiration, auprès de paysans ayant conservé un rapport primordial à leur terre, leur folklore et leur spiritualité. Une colonie d’artistes s’établit par exemple dans le village de Bronowice tout près de Cracovie, autour de Włodzimierz Tetmajer qui a épousé une villageoise. Le chantre du réalisme, Leon ­Wyczółkowski, y séjourne régulièrement et magnifie dans une lumière dorée le quotidien de modestes paysans qui côtoient dans l’exposition les petits bergers et les femmes en costumes traditionnels chamarrés. Certains artistes posent même un regard quasi ethnographique sur des peuples minoritaires, à l’instar de Władysław Jarocki et de ses rieuses Houtsoules des Carpates marchant dans la neige.

« On comprend, au fil des œuvres, que la Pologne est une mosaïque de peuples, de langues et de religions. »

Władysław Jarocki (1879-1965), Helenka de Poronin, 1913. Huile sur toile, 98 x 100 cm. Musée national de Varsovie.

Władysław Jarocki (1879-1965), Helenka de Poronin, 1913. Huile sur toile, 98 x 100 cm. Musée national de Varsovie. Photo service de presse. © musée national de Varsovie

De Cracovie à Paris…

De Varsovie à Cracovie en passant par Łódz, les écoles et académies d’art sont quasi inexistantes et c’est à l’étranger que les jeunes artistes ambitieux poursuivent leurs études. À Saint-­Pétersbourg, Munich et Paris, ils se confrontent aux courants les plus modernes et développent, entre 1890 et 1918, le mouvement littéraire, artistique et intellectuel connu sous le nom de Jeune Pologne. Leurs styles sont plus divers que jamais, certes, mais leur ambition est unanime : se nourrir de la modernité européenne pour explorer leur moi profond et exprimer la vitalité de la culture polonaise, l’âme de leur nation. La touche vibrante de Claude Monet se retrouve ainsi dans un jardin baigné de soleil peint par Władysław Podkowinski, le synthétisme de ­Gauguin se ressent dans le portrait de jeune fille sur fond rouge de Stanisław Wyspianski, une figure de proue de la Jeune Pologne, tandis que plus loin, l’expressionnisme tourmenté d’Edvard Munch marque de son empreinte le portrait d’un couple dans un paysage, par Fryderyk Pautsch… Autre figure tutélaire de la Jeune Pologne et chef de file du symbolisme polonais, le singulier Jacek Malczewski qui fait l’objet d’une section spécifique brouille les pistes en entremêlant poésie romantique, mythologie classique et martyres polonais dans des toiles ambitieuses et souvent autobiographies. 

Edward Okuń (1872-1945), Nous et la guerre, 1917-1923. Huile sur toile, 88 x 111 cm. Musée national de Varsovie.

Edward Okuń (1872-1945), Nous et la guerre, 1917-1923. Huile sur toile, 88 x 111 cm. Musée national de Varsovie. Photo service de presse. © musée national de Varsovie

De nouveaux groupes et courants

En 1918, le retour si ardemment désiré de l’indépendance marque un tournant décisif. Mouvement de résistance culturelle, la Jeune Pologne n’a plus de raison d’être et laisse place à de nouveaux groupes et courants dont les ultimes œuvres de l’exposition donnent un aperçu. Le « formisme » d’un Waclaw Borowski révèle l’influence du cubisme et du futurisme, tandis que ­Zofia Stryjenska, surnommée la « princesse de l’art polonais », mêle avec succès folklore et modernisme pour donner vie à un Art déco qui rencontre un vif succès à l’Exposition internationale de Paris en 1925.

« La Pologne rêvée. 100 chefs-d’œuvre du musée national de Varsovie », jusqu’au 9 novembre 2025 à la Fondation de l’Hermitage, 2 route du Signal, 1018 Lausanne. Tél. 00 41 21 320 50 01. fondation-hermitage.ch

Catalogue, coédition Fondation de l’Hermitage / Snoeck, 184 p., 38 €.

1 En 2019, le Louvre-Lens organisait l’importante exposition ­­« Pologne 1840-1918. Peindre l’âme d’une nation ».