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À Besançon, une exposition décrypte l’art complexe d’écrire la danse  

René François Xavier Prinet (1861-1946), Entre amies, 1891. Huile sur toile, 102 x 154 cm. Besançon, musée des Beaux-Arts et d’Archéologie.

René François Xavier Prinet (1861-1946), Entre amies, 1891. Huile sur toile, 102 x 154 cm. Besançon, musée des Beaux-Arts et d’Archéologie. Photo service de presse. © Besançon, musée des Beaux-Arts et d’Archéologie / C. Choffet

Au musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon, l’exposition « Chorégraphies. Dessiner, danser (XVIIe-XXIe siècle) » s’interroge sur l’usage du dessin dans la pratique professionnelle de la danse. Fruit d’un programme de recherche de l’Institut national d’Histoire de l’Art (INHA), elle confronte plusieurs conceptions du dessin et systèmes de notation utilisés par les professeurs de danse et les chorégraphes, dans un parcours riche et exigeant que ponctuent quelques tableaux et sculptures.

En 1861, le maître de ballet Jules Perrot, représenté par Edgar Degas dans La Classe de danse, intenta un procès pour plagiat à l’un de ses célèbres pairs, Marius Petitpa. Ce dernier avait utilisé un pas de Perrot, sans son accord, lors d’une représentation. La justice trancha en faveur de Perrot, au terme d’une réflexion sur la possibilité de revendiquer la paternité d’une chorégraphie : « Il y a des chorégraphes qui écrivent leur pas. Il y en a d’autres qui se fient à leur mémoire et à celle des artistes qui interprètent leur ballet. » Un cas pour lequel il a été considéré que « la danse est avant tout une transmission orale et une transmission d’un corps à l’autre », remarque Pauline Chevalier, conseillère scientifique à l’INHA et co-commissaire de l’exposition. L’usage du dessin dans la pratique de la danse n’en a pas moins une longue histoire.

Edgar Degas (1834-1917), La Classe de danse, 1873-1876. Huile sur toile, 85,5 x 75 cm. Paris, musée d’Orsay.

Edgar Degas (1834-1917), La Classe de danse, 1873-1876. Huile sur toile, 85,5 x 75 cm. Paris, musée d’Orsay. Photo service de presse. © Grand Palais Rmn (musée d’Orsay) / Adrien Didierjean

« Le terme “chorégraphie“, aujourd’hui utilisé pour la création dansée, désignait à l’origine l’écriture de la danse. »

Pauline Chevalier

Écrire la danse, un défi

Comment transmettre une chorégraphie aux interprètes d’un ballet ou aux générations suivantes ? De quelle façon rendre compte, non seulement des déplacements, mais aussi des mouvements des bras, des épaules, de la tête ? Cela a-t-il un sens de dessiner la danse, de danser d’après un dessin, et si oui, comment y parvenir ? Ces questions sont au cœur de l’exposition. « Dans la première section, nous montrons que le terme “chorégraphie“, aujourd’hui utilisé pour la création dansée, désignait à l’origine l’écriture de la danse », nous apprend Pauline Chevalier. Le terme fut forgé en 1700 par le maître à danser Raoul Auger Feuillet. Chaque page représente la salle de danse, sur laquelle est tracé le « chemin, la ligne sur laquelle on dance (sic) ».

Raoul Auger Feuillet (vers 1660/1675-1730), Chorégraphie ou l’art de décrire la dance. Paris, Feuillet et Brunet, 1700, pl. 68-69. Paris, bibliothèque de l’INHA.

Raoul Auger Feuillet (vers 1660/1675-1730), Chorégraphie ou l’art de décrire la dance. Paris, Feuillet et Brunet, 1700, pl. 68-69. Paris, bibliothèque de l’INHA. Photo service de presse. © M. Quemener / INHA

De nombreux types de notation

Aucun système de notation n’ayant été choisi comme référence, une centaine coexistent, certains montrant la danse en plan, d’autres en élévation, voire combinant les deux. Alors que Feuillet s’attache aux pas, Pierre Rameau représente dans Le Maître à danser en 1725 les mouvements des bras. En 1852, Arthur Saint Léon, s’inspirant de la sténographie, publie La Sténochorégraphie ou l’art d’écrire promptement la danse, codifiant les jambes et représentant de manière figurée les corps et les bras, utilisant des caractères d’imprimerie créés spécialement pour son ouvrage (et montrés dans l’exposition). L’une des notations les plus importantes, la cinétographie, toujours utilisée, est inventée en 1928 par le danseur et chorégraphe Rudolf Laban. Beaucoup cherchent le meilleur moyen de représenter le mouvement en deux dimensions, jusqu’à William Forsythe, qui superpose à la vidéo, dans Improvisation Technologies, A Tool for the Analytical Dance Eye (1999), les figures géométriques tracées par les mouvements du danseur.

Rudolf Laban (1879-1958), Espace et corps, 1915. Crayon de couleur et crayon graphite sur papier, 25,1 x 20,5 cm. Zurich, Kunsthaus, Cabinet d’arts graphiques.

Rudolf Laban (1879-1958), Espace et corps, 1915. Crayon de couleur et crayon graphite sur papier, 25,1 x 20,5 cm. Zurich, Kunsthaus, Cabinet d’arts graphiques. Photo service de presse. © Kunsthaus Zurich

Un utile support d’apprentissage

Voulez-vous danser le tango, la valse, le fox-trot ou la rumba ? Vous trouverez pour chacune de ces danses de salon des manuels illustrés. Des contredanses du XVIIIe siècle, dont Marie-Antoinette elle-même possédait des partitions, aux livrets des années 1920, les danses à la mode se sont largement diffusées grâce à des publications peu onéreuses et facilement accessibles, avant que la vidéo ne les supplante. Comme dans Les Leçons du professeur A. Peter’s, l’accent était mis sur la description des pas, à la manière de Marcello Mastroianni apprenant la rumba à Sophia Loren dans Une Journée particulière.

André Peter’s, Les leçons du professeur A. Peter’s, Paris, Nilsson, vers 1920. 25 x 16,5 cm. Pantin, Centre national de la danse.

André Peter’s, Les leçons du professeur A. Peter’s, Paris, Nilsson, vers 1920. 25 x 16,5 cm. Pantin, Centre national de la danse. Photo service de presse. © M. Quemener / CND

À la source de la création

S’il permet de transmettre une chorégraphie et d’en garder la trace, comme dans les exemples cités et le cas des danses régionales, abordé à la fin de l’exposition, le dessin constitue aussi un support essentiel de création. Depuis le XVIIIe siècle, de nombreux chorégraphes l’emploient pour concevoir leurs ballets et visualiser – voire conceptualiser – les déplacements des danseurs sur le plateau. Du brouillon à la partition finale, l’exposition dévoile les notes de travail et dessins de plusieurs chorégraphes contemporains, de Daniel Larrieu à Carolyn Carlson, Merce Cunningham et Lucinda Childs : des documents inédits et passionnants, que complètent plusieurs entretiens disponibles à l’écoute, plongée dans le processus créatif propre à chacun d’entre eux.

Lucinda Childs (née en 1940), Deux gabarits pour Melody Excerpt, 1977. Feutre bleu, vert, rouge, brun, jaune, orange, crayon graphite, correcteur blanc, ruban adhésif sur papier, 22,7 x 29,7 cm (feuillet 1), 21 x 29,2 cm (feuillet 2). Pantin, Centre national de la danse.

Lucinda Childs (née en 1940), Deux gabarits pour Melody Excerpt, 1977. Feutre bleu, vert, rouge, brun, jaune, orange, crayon graphite, correcteur blanc, ruban adhésif sur papier, 22,7 x 29,7 cm (feuillet 1), 21 x 29,2 cm (feuillet 2). Pantin, Centre national de la danse. Photo service de presse. © M. Quemener / CND

Marcel Prunier, dessinateur des Années folles

En 1948, le collectionneur Charles Clerc, ami et mécène de l’artiste, légua à la ville de Besançon 2 300 dessins et des centaines de lettres de Marcel Prunier (1897-1977). Ce fonds est resté aussi inconnu que l’artiste, qui aima à représenter, parfois avec justesse, parfois plus maladroitement, « des humanités qui chantent et qui pleurent », danseurs, buveurs, ouvriers, mendiants… Il est aussi l’auteur de jolis portraits et de paysages à l’aquarelle, ainsi que de créations pour la publicité, qu’il réalisait pourtant avec réticence, « ne voulant faire que de l’art ». L’exposition « Chorégraphies » présente quatre de ses dessins de danseurs et le musée du Temps, un accrochage d’une soixantaine de ses œuvres, tous genres confondus.

Marcel Prunier (1897-1977), Joséphine Baker dansant, 1926. Pastel, crayon et gouache sur papier. Besançon, musée du Temps.

Marcel Prunier (1897-1977), Joséphine Baker dansant, 1926. Pastel, crayon et gouache sur papier. Besançon, musée du Temps. Photo service de presse. © Besançon, musée du Temps

« Chorégraphies. Dessiner, danser (XVIIe-XXIe siècle) », jusqu’au 21 septembre 2025 au musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon, 1 place de la Révolution, 25000 Besançon. mbaa.besancon.fr

« Marcel Prunier (1897-1977). Dessiner les Années folles », jusqu’au 21 septembre 2025 au musée du Temps, 96 Grande Rue, 25000 Besançon. mdt.besancon.fr