À la Villa Médicis, Rome retrouve son panorama et son inventeur

Au premier plan de son panorama, l’artiste s’est représenté deux fois, carton à la main en train de marcher, et assis en train de dessiner. © Daniele Molajoli
À la fin du XVIIIe siècle, la mode des panoramas se répand. Un ingénieur américain, Robert Fulton, dépose même, en France, un brevet lui donnant l’exclusivité de la présentation de ce nouveau spectacle optique. Louis Le Masson, l’inventeur du panorama, était pourtant français. La Villa Médicis lui rend aujourd’hui justice.
Le premier panorama connu de l’histoire de l’art a été conçu par un ingénieur français des Ponts et Chaussée, Louis Le Masson (1743-1829).
Le Français oublié derrière la mode des panoramas
Né dans une famille modeste à La-Vieille-Lyre, dans l’Eure, protégé par Victor-François de Broglie, maréchal de France, il fut élève de Charles-Louis Clérisseau, partisan du retour à l’Antique. Reçu ingénieur en 1776, il partit pour l’Italie deux ans plus tard afin de parfaire ses connaissances. Son séjour à Rome fut celui de la découverte de l’archéologie romaine et de l’architecture de la Renaissance, qui allait, tout au long de sa carrière, influencer son œuvre. Il entreprit alors dans la Ville éternelle la réalisation d’un Panorama de Rome vu depuis la terrasse de San Pietro in Montorio, sur la colline du Janicule, considéré comme le premier connu de l’histoire de l’art.
Louis Le Masson (1743-1829), Panorama de Rome vu depuis la terrasse de San Pietro in Montorio, 1779. Encre, aquarelle et gouache sur papier vergé, 62 x 456 cm. Collection particulière. Photo service de presse. © Benjamin Gavaudo / CMN
Un double autoportrait
Long de 4,46 m sur 0,65 de haut, composé de cinq feuilles de papier juxtaposées et peintes à l’aquarelle et à la gouache, le panorama de Le Masson permet d’embrasser en un seul coup d’œil les principaux monuments romains, de la basilique Saint-Pierre, à gauche, à Saint-Paul-hors-les murs, à droite, dans la lumière dorée du couchant. Au premier plan, Louis Le Masson s’est représenté deux fois, avec son carton à dessin sous le bras, et assis en train de dessiner. Pour arriver à créer une impression de continuité optique et se détacher de la perspective linéaire de Brunelleschi, l’artiste mit à profit sa formation d’ingénieur, en dessinant quinze angles optiques depuis le même point de vue. Il imagina même une machine optique, aujourd’hui disparue, pour contempler dans le détail chacun des monuments représentés.
Au premier plan de son panorama, l’artiste s’est représenté deux fois, carton à la main en train de marcher, et assis en train de dessiner. © Daniele Molajoli
La mode des panoramas
Celle-ci allait bientôt faire fureur : dans le même temps, le peintre italien Giovanni-Battista Lusieri réalisait un autre panorama de Rome, en quatre feuilles, pour un commanditaire anglais, le futur troisième comte de Hardwicke, puis se spécialisait dans le genre, avec une vue de la baie de Naples et une vue de la ville d’Athènes. De plus en plus grands et spectaculaires, présentés dans des rotondes, les panoramas devinrent très vite une attraction commerciale. En 1787, le peintre anglais Robert Barker exposa le premier panorama de Londres, long de 20 mètres, et en 1799, l’Américain Robert Fulton déposa un brevet lui conférant l’exclusivité de la présentation des panoramas en France.
Une brillante carrière
Louis Le Masson, revenu en France en 1779, poursuivait, quant à lui, une carrière brillante à la fois d’ingénieur et d’artiste : professeur d’architecture des futurs Louis XVIII et Charles X, ingénieur en chef dans divers ports maritimes, adjudant commandant du château de Rambouillet à la fin de sa vie, il dessina aussi, en 1782, pour le comte d’Angiviller, directeur général des Bâtiments, Arts et Manufactures, le service « Arabesque » pour la manufacture de Sèvres, inspiré du répertoire des Chambres du Vatican, et les plans pour la reconstruction du palais abbatial de l’abbaye de Royaumont, dont les travaux s’étalèrent de 1784 à 1789, manifeste du style néoclassique. Fier de son panorama romain, il le fit graver en 1804 afin que la paternité ne lui en soit pas volée et le conserva précieusement toute sa vie. Le panorama passa ensuite aux mains de ses héritiers, qui le conservent toujours aujourd’hui.
Détail du panorama. © Actu-culture.com / Jeanne Faton
Une redécouverte récente
L’œuvre de Louis Le Masson et celle de son frère, François Masson (1745-1807), qui mena une brillante carrière de sculpteur, tombèrent peu à peu dans l’oubli, jusqu’à la parution en 2022 de la monographie d’Yvonne de Guillebon-Le Masson1, leur descendante, et la création de la Fondation Louis Le Masson et François Masson, l’année suivante, par Bernard le Masson, le fils d’Yvonne. Abritée par l’Académie des Beaux-Arts, elle soutient la création artistique et organise en particulier deux prix dotés de 50 000 € chacun, l’un dévolu à la sculpture et l’autre au dessin d’architecture.
Retrouvailles
C’est elle qui est à l’initiative de l’exposition du panorama de Louis Le Masson à la Villa Médicis à Rome, présenté pour la première fois au public, et qui retrouve ainsi le ciel romain qui l’a vu naître il y a plus de deux siècles : il faut aller l’admirer et s’amuser à reconnaître la silhouette des monuments de la Ville éternelle, à commencer par les deux tours de la Villa Médicis qui lui offre l’hospitalité le temps d’un été…
Détail du panorama. © Actu-culture.com / Jeanne Faton
« Du Panorama de Rome », jusqu’au 29 septembre 2025, en parallèle du festival des Cabanes, à l’Académie de France à Rome – Villa Médicis, Viale della Trinità dei Monti 1, 00187 Rome. www.villamedici.it
Pour découvrir les différentes activités de la Fondation : www.academidesbeauxarts.fr
1 Yvonne de Guillebon-Le Masson, Louis Le Masson et François Masson, deux frères architecte et sculpteur, éditions Monelle Hayot, 2022, 352 p., 71 €. À commander sur le site www.faton.fr