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Arrêt sur œuvre : Madame X de John Singer Sargent

John Singer Sargent, Portrait de Mme ***, dit aussi Madame X (détail), 1883-84. Huile sur toile, 208,6 x 109,9 cm. New York, The Metropolitan Museum of Art.

John Singer Sargent, Portrait de Mme ***, dit aussi Madame X (détail), 1883-84. Huile sur toile, 208,6 x 109,9 cm. New York, The Metropolitan Museum of Art. Photo service de presse. © The Metropolitan Museum of Art, dist. RMN / image Art Resource

Regardé, aux États-Unis, comme la Mona Lisa des collections américaines du Metropolitan Museum, le spectaculaire portrait en pied de Virginie Amélie Gautreau (1859-1915), actuellement exposé au musée d’Orsay, fut accueilli lors de sa présentation au Salon, au printemps 1884, avec une hostilité qui nécessite aujourd’hui quelques explications.

Chose remarquable, ce fut l’artiste qui, faisant valoir son prodigious talent, réclama de pouvoir portraiturer la femme du banquier Pierre Louis Gautreau (1838-1933), lequel l’avait épousée en 1878. Originaire de Louisiane, Mme Gautreau (née Avegno) passait pour l’une des plus captivantes personnalités du Tout-Paris. Sargent fut aussitôt conquis par sa silhouette et la blancheur bleutée (lavande…) de ses carnations. L’intéressée se révéla néanmoins être un sujet difficile, l’artiste déclarant avoir eu à « lutter avec la beauté impossible à peindre [unpaintable] et la paresse désespérante » de son modèle, fébrilement étudié dans la villégiature bretonne des Gautreau. Des deux côtés du chevalet, le portrait promettait une avancée stratégique significative sur une scène parisienne aussi réticente à accepter une « créole », fût-elle réputée être une sorte d’œuvre d’art vivante, qu’un peintre américain, fût-il supérieurement doué.

John Singer Sargent, Portrait de Mme ***, dit aussi Madame X, 1883-84. Huile sur toile, 208,6 x 109,9 cm. New York, The Metropolitan Museum of Art.

John Singer Sargent, Portrait de Mme ***, dit aussi Madame X, 1883-84. Huile sur toile, 208,6 x 109,9 cm. New York, The Metropolitan Museum of Art. Photo service de presse. © The Metropolitan Museum of Art, dist. RMN / image Art Resource

Le scandale

Exposé sous le titre de « Portrait de Mme *** », le tableau suscita une controverse fielleuse qui navra le peintre et affola son modèle (ainsi que sa mère), peu préparés à une stratégie du scandale qui se révéla si profitable à d’autres au cours du XIXe siècle. Il est tentant de qualifier d’hypocrite l’attitude de ceux qui blâmèrent l’indécence d’une tenue de satin noir dont le modèle semblait sur le point de s’extraire, et ce d’autant que la bretelle droite apparaissait, à l’origine, au niveau de l’avant-bras, comme si elle avait glissé1. Les expositions académiques ménageaient, certes, une large place à un érotisme « salonard » à condition qu’il fût tissé de conventions allégoriques ou fictionnelles.

John Singer Sargent, Portrait de Mme ***, dit aussi Madame X (détail), 1883-84. Huile sur toile, 208,6 x 109,9 cm. New York, The Metropolitan Museum of Art.

John Singer Sargent, Portrait de Mme ***, dit aussi Madame X (détail), 1883-84. Huile sur toile, 208,6 x 109,9 cm. New York, The Metropolitan Museum of Art. Photo service de presse. © The Metropolitan Museum of Art, dist. RMN / image Art Resource

Une œuvre transgressive

Érotisation d’une « beauté professionnelle » qui était une femme du monde mariée, un tableau comme celui-ci ne pouvait manquer d’apparaître comme transgressif. L’exquise stylisation de l’œuvre, nourrie de souvenirs des canons élancés de la Renaissance maniériste et des séductions glacées du néoclassicisme (tel le portrait, déjà scandaleux, de Pauline Bonaparte-Borghèse en Vénus sculpté par Canova, 1804-08, Rome, galerie Borghèse), demeura incomprise. Resté, par la force des choses, entre les mains de son auteur (qui remonta la bretelle litigieuse après les remous du Salon) et devenu Madame X, le tableau fut finalement cédé par Sargent au Metropolitan Museum of Art en 1916. Le peintre le présenta au directeur du musée new-yorkais, Edward Robinson, comme étant probablement la meilleure chose qu’il avait faite.

1 Ce qui peut être vérifié sur une photographie de l’époque et sur une réplique conservée à la Tate, à Londres.

« John Singer Sargent. Éblouir Paris » du 23 septembre 2025 au 12 janvier 2026 au musée d’Orsay, Esplanade Valéry Giscard d’Estaing, 75007 Paris. Tél. 01 40 49 48 14, www.musee-orsay.fr

À lire : catalogue de l’exposition, coédition musée d’Orsay / Gallimard, 256 p., 140 ill., 45 €
Dossiers de l’Art n°331, éditions Faton, 80 p., 11 €. À commander sur www.faton.fr