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Barbara Hepworth en son jardin à la Fondation Maeght

Barbara Hepworth sculptant au Palais de Danse (détail), 1961. Photographie de Rosemary Mathews.

Barbara Hepworth sculptant au Palais de Danse (détail), 1961. Photographie de Rosemary Mathews. Photo service de presse. © Courtesy Bowness

La Fondation Maeght consacre une superbe rétrospective à l’œuvre de la sculptrice britannique Barbara Hepworth (1903-1975), particulièrement rare dans les collections européennes. Un rendez-vous à ne surtout pas manquer !

Nul doute que Barbara Hepworth aurait adoré la grande rétrospective que la Fondation Maeght accueille actuellement en ses murs : non seulement parce que l’exposition, dont le commissariat a été confié à la spécialiste Eleanor Clayton, est remarquable, mais aussi parce que peu de lieux au monde sont en mesure de mettre aussi bien en valeur les œuvres de l’Anglaise.

Miracle du lieu

Celles-ci ne sont certes pas présentées à l’extérieur, comme le rêvait Hepworth, mais les salles de la Fondation sont si lumineuses, souvent grandes ouvertes sur le jardin grâce à de larges baies vitrées, que le visiteur ne peut qu’y ressentir ce que disait l’artiste : « la sculpture grandit à la lumière du jour, change d’aspect avec le mouvement du soleil ; avec l’espace et le ciel au-dessus, elle peut s’étendre et respirer ». Oui, à Saint-Paul-de-Vence, Barbara Hepworth est vraiment en son jardin.
Née en 1903 à Wakefield – où se trouve depuis 2011 un musée qui lui est dédié –, Jocelyn Barbara Hepworth se forme à l’École des beaux-arts de Leeds puis au Royal College of Art de Londres, avant d’entreprendre un voyage décisif en Italie en 1925-1926. C’est là en effet qu’elle apprend, auprès d’un marbrier de Carrare, la taille directe qui va bouleverser sa pratique – de la période précédente, le bronze réaliste de Mrs A. R. T. Richards (1924-1925) est ici l’unique témoignage. Désormais, il ne s’agit plus de dominer la matière, mais « de la comprendre, presque de la persuader ». Dans cette nouvelle conscience réside la principale leçon de l’artiste, à savoir que le matériau appelle la technique et que la forme détermine le sujet. Tailler le marbre ou tailler le bois ne sont pas des actes équivalents : chaque pierre, chaque essence d’arbre a son esprit, son caractère ; matière et idée ne font qu’un.

Barbara Hepworth (1903-1975), Figure (Noix), 1964. Bronze, 184 x 76,5 x 62,5 cm. Collection de la Fondation Maeght.

Barbara Hepworth (1903-1975), Figure (Noix), 1964. Bronze, 184 x 76,5 x 62,5 cm. Collection de la Fondation Maeght. Photo service de presse. © Photo Nicolas Vella © Courtesy Fondation Maeght © Bowness

Vers l’abstraction

Les œuvres réalisées à son retour à Londres l’attestent rapidement. Désormais mariée au sculpteur John Skeaping et bientôt mère d’un petit Paul, Hepworth s’oriente vers un art de plus en plus abstrait au début des années 1930. Mais si « [s]on orientation va vers la généralisation », elle ne renonce pas pour autant à la représentation. On le voit avec la primitive Figure agenouillée (1932) en bois de rose ou l’émouvant Mère et fils (1934) en pierre d’Ancaster rose. C’est à ce moment qu’elle rencontre, par le biais du peintre Ben Nicholson, qui deviendra son second compagnon et le père de ses triplés, l’avant-garde parisienne : Picasso, Arp et surtout Brancusi, qui lui fait très forte impression. La Forme simple (1937) en bois de gaïac est ainsi un écho évident au travail du Roumain.
Hepworth intègre alors plusieurs groupes, tant en France (Abstraction-Création) qu’en Angleterre (Seven and Five Society, Unit One), et n’hésite pas à exposer ses convictions dans leurs revues, comme lorsqu’elle déclare qu’« il n’est de réalité que dans les idées », une réflexion qu’Eleanor Clayton rapproche de son engagement croissant dans la Christian Science. Son art évolue, passant du biomorphisme à des arrangements de formes plus géométriques posées sur des socles. Le marbre blanc devient son matériau de prédilection, même si elle continue d’explorer le bois, comme avec Disques échelonnés (1935), acquis par le MoMA et reproduit en bronze poli afin d’en conserver le souvenir.

Vue de l’exposition, avec Hémisphère percé I, 1937. Marbre de Seravezza, 35 x 38 x 38 cm. Wakefield Council Permanent Art Collection (The Hepworth Wakefield).

Vue de l’exposition, avec Hémisphère percé I, 1937. Marbre de Seravezza, 35 x 38 x 38 cm. Wakefield Council Permanent Art Collection (The Hepworth Wakefield). Photo service de presse. Photo Thérèse Verrat et Vincent Toussaint © Bowness

Ouvertures, couleurs et cordes : la sculpture paysage

Les formes ajourées qui ont fait la réputation de Barbara Hepworth apparaissent ensuite. On en a un avant-goût avec l’Hémisphère percé I (1937), en marbre de Seravezza. Percer est un geste fondateur, qui permet pour la première fois à l’artiste d’introduire la profondeur mais aussi la transparence dans sa sculpture. La tension entre intérieur et extérieur, entre le vide et le plein, deviendra l’une des constantes de son art. En face, de l’autre côté de la baie vitrée – et ce n’est pas un détail, tant la scénographie est optimale –, le bassin en mosaïque de Braque, la brique jaune et les murs blancs du bâtiment de Josep Lluís Sert, les pins et le ciel bleu…

« Percer est un geste fondateur, qui permet pour la première fois à l’artiste d’introduire la profondeur mais aussi la transparence dans sa sculpture. »

Peut-on dire que la troisième salle est la plus belle du parcours ? Non, car toutes sont extraordinaires, mais c’est là, assurément, que l’une des œuvres les plus magistrales se trouve : Corinthos (1954-1955), que Hepworth tailla dans un monumental tronc de Guarea offert par son amie Margaret Gardiner, à la suite d’un voyage en Grèce que celle-ci lui avait organisée à l’été 1954 pour atténuer sa douleur d’avoir perdu son fils aîné dans un accident d’avion. Outre la beauté sidérante du bois lui-même que Hepworth a su magnifier, le génie de la sculpture réside dans son dessin, sa forme, bien sûr, mais aussi dans l’usage très personnel de la peinture (l’intérieur est peint en blanc et la matière ligneuse forme comme un réseau de fines craquelures). Mais les autres pièces ne sont pas à négliger, également superbes. Marées II (1946), aussi définitif, apparemment, que le Yin et le Yang, doit être appréhendé de tous les côtés – là encore, quel plaisir que de pouvoir circuler librement tout autour des œuvres ! –, car l’arrière en donne une image très dissemblable, au point qu’on peine à faire correspondre les deux vues. Les ouvertures, les couleurs, le jeu des lumières nous jettent dans un état qui n’a pas de résolution, laissant l’émerveillement intact.

Barbara Hepworth (1903-1975), Maquette pour Figure ailée, 1957. Laiton, Isopon et fils métalliques sur base en béton, 55,9 x 24 x 27 cm. Wakefield Council Permanent Art Collection (The Hepworth Wakefield).

Barbara Hepworth (1903-1975), Maquette pour Figure ailée, 1957. Laiton, Isopon et fils métalliques sur base en béton, 55,9 x 24 x 27 cm. Wakefield Council Permanent Art Collection (The Hepworth Wakefield). Photo service de presse. © © Photo Jerry Hardman-Jones © Bowness

De la taille directe au moulage en bronze

À côté, réalisé en 1940, peu après son installation à St Ives, en Cornouailles, le plâtre Sculpture avec couleur (bleu foncé et rouge) ouvre une voie que Barbara Hepworth explorera régulièrement : « La couleur dans les concavités m’a plongée dans la profondeur de l’eau, des cavernes ou des ombres […]. Les cordes étaient la tension que je ressentais entre moi et la mer, le vent ou les collines », dira celle qui, lorsqu’elle sculptait, considérait qu’elle était le paysage. On en retrouve plusieurs exemples dans les salles suivantes, telles Forme incurvée (Vague II) (1959) ou Maquette pour Figure ailée (1957), qui témoignent par ailleurs de son retour au bronze au milieu des années 1950. La fonte permet en effet à Hepworth, toujours plus connue et appréciée internationalement, de réaliser des multiples, mais aussi d’élargir son expression sculpturale, car les propriétés plastiques du métal confèrent une dynamique, une fluidité et une élasticité nouvelles, bien illustrées par Forme marine (Porthmeor) (1958). Le matériau lui donne aussi l’occasion de travailler les finitions de surface : Involuté (1956), Torse (Ulysse) (1958), Quatre Carrés (Quatre Cercles) (1966) ou encore Ovale avec deux formes (1972) offrent ainsi quatre états du bronze très différents.

Vue de l’exposition, avec Quatre Carrés (Quatre Cercles), 1966. Bronze, H. 60 cm. Wakefield Council Permanent Art Collection (The Hepworth Wakefield).

Vue de l’exposition, avec Quatre Carrés (Quatre Cercles), 1966. Bronze, H. 60 cm. Wakefield Council Permanent Art Collection (The Hepworth Wakefield). Photo service de presse. © Photo Thérèse Verrat et Vincent Toussaint © Bowness

Une passion pour les progrès technologiques de son époque

Si aucune des sculptures monumentales de Hepworth n’est naturellement visible, une petite salle consacrée aux commandes publiques les évoque, en particulier la Forme unique (1961), aussi connue sous le nom de Chûn Quoit en référence à une tombe néolithique en Cornouailles, qu’elle créa pour le siège des Nations Unies à New York, à l’invitation du secrétaire général Dag Hammarskjöld qui était devenu son ami. Engagée dans la vie de la cité (elle milite pour le désarmement nucléaire), l’artiste est également passionnée par les progrès technologiques de son époque, en particulier le développement de l’aviation et la conquête spatiale : « La découverte du vol a radicalement modifié la forme de notre sculpture, tout comme elle a modifié notre manière de penser ». Aussitôt après la première mission Apollo de 1969, la lune devient un élément récurrent dans son œuvre, tant sculpté que graphique, comme dans le tableau Genesis III (1966).

Vue de l’exposition, avec Enfant et mère, 1972. Marbre, 90 x 46 x 79 cm. Wakefield Council Permanent Art Collection (The Hepworth Wakefield).

Vue de l’exposition, avec Enfant et mère, 1972. Marbre, 90 x 46 x 79 cm. Wakefield Council Permanent Art Collection (The Hepworth Wakefield). Photo service de presse. © Photo Thérèse Verrat et Vincent Toussaint © Bowness

Un acte de louange

Car Hepworth a toujours dessiné et peint en parallèle – portraits au fusain dans les années 1920, huiles dans les années 1950-1960, lithographies abstraites dans les années 1970 –, et une large place leur est faite tout au long du parcours, notamment dans la dernière salle qui termine l’exposition en apothéose. On y retrouve, en sculpture, ses principales formes : la « forme debout », celle de l’humain dans le paysage – l’admirable Figure (Noix) (1964), justement offerte aux époux Maeght après la découverte enthousiasmée de leur Fondation –, la « forme fermée » – Totem (1961-1962) –, et les « deux formes » – Enfant et mère (1972) ; mais aussi d’autres pièces plus géométriques et tout aussi fascinantes. Jusqu’à la fin, et malgré sa maladie, Barbara Hepworth continue de travailler avec la même énergie et la même foi. Et si elle meurt dans l’incendie accidentel de son atelier de St Ives en 1975, son credo, formulé dix ans plus tôt, vibre aujourd’hui plus que jamais : « Une sculpture devrait être un acte de louange, une expression durable de l’esprit divin ».

Barbara Hepworth (1903-1975), Trois Formes, 1969. Lithographie originale sur papier, 55 x 70 cm. Wakefield Council Permanent Art Collection (The Hepworth Wakefield).

Barbara Hepworth (1903-1975), Trois Formes, 1969. Lithographie originale sur papier, 55 x 70 cm. Wakefield Council Permanent Art Collection (The Hepworth Wakefield). Photo service de presse. © Photo Thérèse Verrat et Vincent Toussaint © Bowness

« Barbara Hepworth : Art & Life », jusqu’au 2 novembre 2025 à la Fondation Maeght, 623 chemin des Gardettes, 06570 Saint-Paul-de-Vence. Tél. 04 93 32 81 63. www.fondation-maeght.com

Catalogue, éditions Fondation Maeght, 192 p., 35 €.