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Christian Krohg, peintre du peuple du nord (2/9). La Norvège entre deux siècles

Hans Gude et Adolph Tidemand, Cortège nuptial sur le Hardangerfjord, 1848. Huile sur toile, 93,5 x 130,1 cm. Oslo, Nasjonalmuseet.

Hans Gude et Adolph Tidemand, Cortège nuptial sur le Hardangerfjord, 1848. Huile sur toile, 93,5 x 130,1 cm. Oslo, Nasjonalmuseet. © Nasjonalmuseet – B. Høstland

Pour la première fois en France, le peintre Christian Krohg (1852‑1925) a les honneurs d’une rétrospective, dernière étape du cycle norvégien du musée d’Orsay après Edvard Munch (2022) et Harriet Backer (2024). Quasi inconnu en France, Krohg est un personnage clef de la vie culturelle des années 1880-1890, figure éminente de la Bohème et critique impénitent d’une société oppressive et hypocrite. Ancrée dans un naturalisme inspiré de la lecture de Zola, nourrie par les recherches formelles de l’art moderne, sa peinture est tout entière tournée vers les hommes et les femmes de son temps : portraits, figures de marins embarqués, scènes urbaines ou domestiques reflètent une aptitude hors du commun à témoigner des vies humaines.

Souvent idéalisée, la Norvège représente, dans l’imaginaire collectif, cet État providence où les inégalités socio‑économiques et les disparités entre les genres seraient moins marquées qu’ailleurs. Pour comprendre l’œuvre de Christian Krohg, il est nécessaire de laisser de côté cette image d’Épinal. La Norvège qui a vu naître et mourir Krohg, qui a marqué son œuvre et fait maintes fois l’objet de ses critiques, était, au tournant du XXsiècle, bien différente de celle d’aujourd’hui.

Célébration du 17 mai, avenue Karl Johan à Kristiania, vers 1885. Oslo, Oslo Museum.

Célébration du 17 mai, avenue Karl Johan à Kristiania, vers 1885. Oslo, Oslo Museum. © Oslo Museum

Durant sa carrière, Krohg a beaucoup voyagé, notamment au Danemark, en Suède, en Allemagne, et il a également vécu, par intermittence, à Paris pendant une dizaine d’années (1881-1882 ; 1901-1909). Capitale de la modernité du long XIXe siècle, Paris représentait une étape incontournable dans le parcours de nombreux artistes scandinaves1, à tel point que le peintre norvégien Christian Skredsvig (1854-1924) disait n’avoir jamais rencontré autant de compatriotes que dans l’appartement de Jonas Lie (1833-1908)2, auteur norvégien qui habita Paris entre 1882 et 1906. La fréquentation par Krohg de ce cercle scandinave illustre bien les liens étroits que conservaient ces artistes expatriés avec leurs pays d’origine respectifs. Et bien que Krohg puisse être considéré, selon Tore Kirkholt, comme « le plus cosmopolite des artistes norvégiens3 », il n’en reste pas moins une figure incontournable de la vie artistique, culturelle et politique de la Norvège de l’entre-deux-siècles.

Une jeune nation norvégienne

Krohg est né en 1852 à Vestre Aker, devenu, depuis, un quartier d’Oslo. À cette époque la capitale se nomme encore Kristiania, et le royaume de Norvège est une jeune nation. À la suite des guerres napoléoniennes qui ont redessiné la carte des États européens au XIXe siècle, l’union qui liait la Norvège au Danemark depuis plus de quatre siècles (1397-1814) est dissoute en 1814. Le 17 mai, la Norvège peut finalement adopter sa propre constitution, toujours en vigueur et considérée comme « la plus vieille constitution écrite d’Europe4 ». Cependant, il n’est pas encore question d’indépendance : la Norvège est cédée à la Suède par le traité de Kiel (1814), en compensation de la perte de la Finlande. Malgré cette nouvelle union, le début du XIXe siècle amorce de profonds changements politiques ; la Norvège gagne en effet en autonomie politique, notamment pour gérer ses affaires intérieures, grâce au pouvoir conféré au Storting, le parlement norvégien.

L’annonce de la dissolution de l’union avec la Suède par le Storting, le 7 juin 1905, est célébrée par les Norvégiens à Bergen. Cette dissolution sera reconnue par la Suède le 26 octobre. Bergen, Universitetsbiblioteket i Bergen.

L’annonce de la dissolution de l’union avec la Suède par le Storting, le 7 juin 1905, est célébrée par les Norvégiens à Bergen. Cette dissolution sera reconnue par la Suède le 26 octobre. Bergen, Universitetsbiblioteket i Bergen. © Universitetsbiblioteket i Bergen

Du romantisme national… 

La dissolution du royaume dano-norvégien et la création du royaume suédo-norvégien entraînent dans les trois pays scandinaves, sur le plan culturel, le développement progressif du mouvement appelé « romantisme national », qui atteint son apogée dans les années 1850. Les productions artistiques de cette période contribuent à construire les identités nationales. En Norvège, pour écrire des œuvres qui nourrissent le sentiment de fierté patriotique, Henrik Ibsen (1828-1906) et Bjørnstjerne Bjørnson (1832-1910) s’inspirent tout autant de contes et de ballades collectés par les folkloristes que de manuels d’histoire médiévale dans lesquels le Moyen Âge est décrit comme la dernière époque où le royaume norvégien était indépendant et puissant. Les peintres Adolph Tidemand (1814-1876) et Hans Gude (1825-1903) proposent des représentations idéalisées de la nature norvégienne, mais aussi du monde agricole et des paysans qui, préservés des influences étrangères, incarnent l’esprit national tel que l’époque le fantasme. 

Erik Werenskiold, Un enterrement paysan, 1883-1885. Huile sur toile, 102,5 x 150,5 cm. Oslo, Nasjonalmuseet.

Erik Werenskiold, Un enterrement paysan, 1883-1885. Huile sur toile, 102,5 x 150,5 cm. Oslo, Nasjonalmuseet. © Nasjonalmuseet – B. Høstland

… à la « percée moderne »

En 1871, l’historien de la littérature danois Georg Brandes (1842-1927) donne une conférence à l’université de Copenhague dans laquelle il critique avec virulence le romantisme national. S’il fustige ouvertement la situation danoise, les productions norvégiennes et suédoises sont implicitement visées. Polémiste intransigeant, il s’attaque à la « léthargie » de ses contemporains qui seraient en train d’accumuler quarante ans de retard sur le reste de l’Europe. La célébration des spécificités nationales satisfait l’ego des compatriotes, mais elle illustre surtout, pour Brandes, leur désintérêt inacceptable pour ce qui est créé hors de leurs frontières. S’il reconnaît que le romantisme national a su répondre à des enjeux importants à ses débuts, lorsqu’il s’agissait de poser les jalons des nouvelles nations scandinaves, il est devenu à ses yeux insignifiant à mesure que les artistes ont perdu tout contact avec la réalité. Il enjoint alors ces derniers à dénoncer les problèmes sociaux dont ils sont témoins parce que, selon lui, « la seule littérature vivante aujourd’hui est celle qui suscite le débat ». Le temps des rêves est révolu, il faut que la littérature – ainsi que les autres formes artistiques – se confronte à la réalité, aussi déplaisante soit-elle.

Harald Slott-Møller, Georg Brandes à la tribune de l’université de Copenhague, 1889. Huile sur toile, 92,1 x 81 cm. Detroit, Detroit Institute of Arts.

Harald Slott-Møller, Georg Brandes à la tribune de l’université de Copenhague, 1889. Huile sur toile, 92,1 x 81 cm. Detroit, Detroit Institute of Arts. Photo courtesy Detroit Institute of Arts

Révolution industrielle…

Dix ans plus tard, en 1883, Brandes a recours à l’expression « percée moderne » [det moderne gennembrud] pour parler des auteurs – au masculin – scandinaves qui ont répondu à son appel, minimisant ainsi l’engagement d’écrivaines telles qu’Amalie Skram (1846-1905) en Norvège, Victoria Benedictsson (1850-1888) en Suède ou encore Adda Ravnkilde (1862-1883) au Danemark. Aujourd’hui, la percée moderne désigne les œuvres réalistes et naturalistes créées dans les années 1870 et 1880 par des artistes scandinaves qui ont souvent connu une réception internationale. La révolution esthétique soutenue par Brandes s’inscrit plus largement dans un contexte marqué par les transformations qui viennent bouleverser le fonctionnement des sociétés scandinaves à la fin du XIXe siècle – c’est d’ailleurs aujourd’hui l’acception élargie de l’expression « percée moderne ». L’industrialisation, apparue plus tardivement qu’ailleurs en Europe, se développe intensivement en Norvège dès 1850, notamment dans les secteurs de la pêche, du textile et du papier. Les avancées technologiques comme le chemin de fer et les bateaux à vapeur participent à la modernisation du pays. Alexander Kielland (1849-1906) décrit justement dans Garman & Worse (1880) les résistances provoquées par le remplacement progressif du bateau à voile par le navire à vapeur.

Georg Achen, Les auteurs Erik et Amalie Skram à leur table de travail. Étude, vers 1890. Huile sur toile marouflée sur carton, 20 x 29 cm. Collection particulière.

Georg Achen, Les auteurs Erik et Amalie Skram à leur table de travail. Étude, vers 1890. Huile sur toile marouflée sur carton, 20 x 29 cm. Collection particulière. Photo courtesy Bruun Rasmussen Kunstauktioner

… révolution culturelle

Parallèlement à l’industrialisation, l’urbanisation intensive tente de répondre aux besoins d’une population grandissante. Lorsque Kristiania devient la capitale du royaume norvégien en 1814, 10 000 âmes y habitent ; elles sont sept fois plus nombreuses en 1870, pour atteindre 230 000 en 19005. Les difficultés socio-économiques rencontrées par une nouvelle classe urbaine et pauvre sont au cœur de nombreuses œuvres comme la tétralogie Hellmyrsfolket [Les Gens de Hellemyr] (1887-1890) d’Amalie Skram ou le tableau de Krohg La Lutte pour l’existence [Kampen for tilværelsen] (1889). Les ouvrages s’attachent également à révéler ce qu’il se passe à l’intérieur des maisons bourgeoises, au-delà des apparences convenues, à l’instar de Bjørnstjerne Bjørnson qui s’intéresse, dans En Fallit [La Faillite] (1875), aux conséquences engendrées par une banqueroute sur une famille respectable. Les valeurs traditionnelles et conservatrices sont remises en question ainsi que la place accordée à la religion dans ces sociétés en pleine mutation, notamment par Henrik Ibsen dans Les Piliers de la société [Samfundets Støtter] (1877). Mais c’est surtout pour Une maison de poupée [Et Dukkehjem] (1879) qu’Ibsen est internationalement connu, drame dans lequel Nora abandonne mari et enfants en claquant la porte. Cette pièce, comme le débat sur la moralité sexuelle, est représentative du processus d’émancipation féminine qui est à l’œuvre en cette fin de siècle. Lorsque Bjørnson fait jouer Le Gant [En Handske] (1883), il place la société face à ses contradictions sexistes. Pourquoi est-il largement toléré, voire encouragé, que les hommes aient des relations prémaritales et trompent leurs épouses alors que l’inverse semble inacceptable ? Les personnalités publiques norvégiennes échangent publiquement, avec virulence, leurs points de vue sur la question. Aux moralistes qui pensent, comme Bjørnson, que les hommes devraient rester chastes comme les femmes avant le mariage, s’opposent les partisans de l’amour libre, notamment la Bohème de Kristiania dont Christian Krohg est une figure de proue (voir l’encadré ci-dessous).

Per Krohg, La Bohême de Kristiania [Kristiania‑bohemen], 1929. Ce tableau du fils de Christian Krohg réunit toutes les grandes figures intellectuelles de la Norvège de la seconde moitié du XIXᵉ siècle, parmi lesquelles Christian Krohg, Henrik Ibsen, Bjørnstjerne Bjørnson, Sigbjørn Obstfelder, Hans Jæger, Edvard Munch. Oslo, Grand Café.

Per Krohg, La Bohême de Kristiania [Kristiania‑bohemen], 1929. Ce tableau du fils de Christian Krohg réunit toutes les grandes figures intellectuelles de la Norvège de la seconde moitié du XIXᵉ siècle, parmi lesquelles Christian Krohg, Henrik Ibsen, Bjørnstjerne Bjørnson, Sigbjørn Obstfelder, Hans Jæger, Edvard Munch. Oslo, Grand Café. © O. Væring / Bridgeman Images © Adagp, Paris, 2025

La Bohème de Kristiania

Dans le débat sur la moralité sexuelle qui agite l’intelligentsia norvégienne des années 1880, la Bohème de Kristiania (aujourd’hui Olso) se fait particulièrement remarquer. Elle s’emploie avec force à dénoncer les carcans qui pèsent sur une société bourgeoise à laquelle elle appartient.

Une trentaine de jeunes artistes et intellectuels issus de familles aisées se retrouvent dans des cafés où ils partagent leur rejet radical des valeurs conservatrices de leur milieu au profit d’un style de vie alternatif. Le nom du groupe est inspiré du roman Fra Kristiania‑Bohême de Hans Jæger (1854‑1910), l’un des chefs de file de ce mouvement anarchiste. Publié en 1885, le livre décrit en détail les expériences sexuelles de deux hommes « bohèmes » à Kristiania. L’auteur y revendique avec un ton provocateur la libération sexuelle aussi bien pour les hommes que pour les femmes, et rejette l’institution du mariage ainsi que la monogamie pour célébrer l’amour libre. Jæger est condamné à deux mois de prison pour blasphème et atteinte à la pudeur et aux bonnes mœurs, tandis que le livre est banni dès sa sortie. Christian Krohg est l’autre figure importante du groupe. Il défend publiquement son ami et publie l’année suivante Albertine (1886), qui reflète les préoccupations de la Bohème de Kristiania. Il y dénonce les conditions de vie misérables des prostituées, humiliées par les règles qui encadrent leur activité alors même que celle‑ci est illégale. Krohg voit son roman interdit à son tour, et doit payer une amende. La liberté d’expression est donc loin d’être acquise et, pour diffuser leurs idées, Jæger et Krohg fondent le journal Impressionisten (1886 à 1890), dans lequel ils prônent la liberté individuelle et l’expérimentation artistique.

Sven Jorgensen, Hans Jæger, 1888. Huile sur toile, 21,8 x 27,1 cm. Oslo, Oslo Museum.

Sven Jorgensen, Hans Jæger, 1888. Huile sur toile, 21,8 x 27,1 cm. Oslo, Oslo Museum. © Oslo Museum – R. Aakvik

Énigme de l’individu, mystères de la nature

Si la littérature et la peinture des années 1870 et 1880 reflètent l’engagement d’artistes qui exposent sans détour les problématiques sociales de leur temps avec l’espoir de changer les choses, les œuvres de la fin du siècle basculent « de la sphère sociale vers la sphère intime6 ». En effet, l’intérêt pour les mécanismes complexes de la psychologie humaine nourrit de nouvelles réflexions. Dans l’article « De la vie inconsciente de l’âme » [« Fra det ubevisste sjeleliv »] (1890), Knut Hamsun (1859-1952) appelle ses contemporains à cesser de décrire superficiellement le quotidien au profit de l’exploration des états imprévisibles de l’esprit. L’influence de l’art décadent et de l’avant-garde européenne se fait sentir dans l’émergence de nouveaux courants artistiques. Le Canard sauvage [Vildanden] (1884) d’Ibsen s’inscrit dans une veine symboliste, tandis qu’Edvard Munch (1863-1944), proche de Krohg, incarne le développement de l’expressionnisme. Avec le néoromantisme, les tentatives visant à saisir les forces qui dépassent l’être humain se multiplient, ce qui va de pair avec une fascination pour les mystères de la nature, comme en témoignent les écrits de Jonas Lie. Son recueil Troll [Trold] (1891-1892) ou encore le poème épique Haugtussa (1895) d’Arne Garborg (1851-1924) illustrent également le regain d’intérêt pour les croyances populaires et les légendes. Sigbjørn Obstfelder (1866-1900) et Hans Kinck (1865-1926) font revivre les ballades, et la représentation par Krohg du viking Leif Eriksson reflète une certaine appétence pour les sujets médiévaux, comme à l’époque du romantisme national. Erik Werenskiold (1855-1938) et Theodor Kittelsen (1857-1914) illustrent quant à eux les contes norvégiens collectés au début du siècle par Peter Christen Asbjørnsen (1812-1885) et Jørgen Moe (1813-1882) et fixeront pour longtemps la représentation des créatures mythiques scandinaves telles que les trolls.

Edvard Munch, Soirée sur l’avenue Karl Johan, 1892. Huile sur toile non apprêtée, 84,5 x 121 cm. Bergen, Kode Bergen Art Museum.

Edvard Munch, Soirée sur l’avenue Karl Johan, 1892. Huile sur toile non apprêtée, 84,5 x 121 cm. Bergen, Kode Bergen Art Museum. © Kode – D. Fosse

Naturalisme : un signe des temps

La publication d’Albertine (1886) consacre Krohg, peintre reconnu, comme figure d’un naturalisme littéraire qui s’est répandu en Norvège dans les années 1880, après son développement initial dix ans plus tôt en France. Les Gens de Hellemyr (1887-1890) d’Amalie Skram en est l’une des œuvres emblématiques. Dans cette tétralogie qui suit les trajectoires de quatre générations d’une même famille, aucun personnage ne parvient ni à échapper aux tares de ses ancêtres ni à s’extraire de la pauvreté de son milieu. Plus que la laideur du monde, c’est celle des êtres humains que décrivent, avec une distance quasi scientifique, les textes naturalistes. Sous l’influence de Darwin – connu grâce aux traductions du Danois Jens Peter Jacobsen –, seul le protagoniste le plus fort survit ; le déterminisme empêche tout espoir d’évolution sociale, et les addictions, à l’alcool notamment, sont les seules échappatoires. L’idéalisation de la vie paysanne qui caractérisait la littérature norvégienne de la première moitié du XIXe siècle a cédé la place à la description crue des malheurs du monde agricole comme l’illustre Paix [Fred] (1892) d’Arne Garborg, tandis que son roman Hommes [Mannfolk] (1886) témoigne de l’intérêt des naturalistes pour le quotidien difficile des classes populaires urbaines. Le théâtre norvégien explore lui aussi la veine naturaliste. Henrik Ibsen choque en abordant sur scène l’inceste, la syphilis ou encore l’euthanasie dans Les Revenants [Gengangere] (1881). Lorsque la pièce est jouée, le dramaturge est représenté tenant une boîte portant le titre de l’œuvre, de laquelle jaillit un monstre, sous les regards horrifiés du public. Comme le montre cette caricature, les naturalistes ont l’ambition de lever les tabous de la société norvégienne au risque d’être censurés.

Christian Krohg, Albertine dans la salle d’attente du médecin de la police [Albertine i politilegensventeværelse], 1885-1887. Oslo, Nasjonalmuseet.

Christian Krohg, Albertine dans la salle d’attente du médecin de la police [Albertine i politilegensventeværelse], 1885-1887. Oslo, Nasjonalmuseet. Photo service de presse. © Nasjonalmuseet – B. Høstland

La Norvège sur la scène internationale

Cette résurgence des sujets qui avaient marqué la quête identitaire du début du XIXe siècle accompagne certainement l’envie grandissante des Norvégiens de sortir de l’union avec la Suède, qui ne les laisse pas défendre leurs intérêts propres sur la scène internationale. C’est finalement en 1905 que le royaume norvégien acquiert son indépendance, aidé peut-être en cela par l’adoption du parlementarisme en 1884, qui a renforcé le pouvoir du Storting et réduit l’autorité du roi. Les femmes acquièrent de plus en plus de droits et, en 1913, la Norvège devient l’un des premiers pays à leur accorder le droit de vote. Pendant la Première Guerre mondiale, l’« allié neutre » joue un rôle clef sur le plan maritime, et des milliers de bateaux norvégiens sont utilisés pour transporter des biens vers la Grande-Bretagne. Nombreux sont les navires marchands qui sont attaqués par des sous-marins allemands, impliquant de lourdes pertes humaines et matérielles, tandis que l’inflation et les pénuries affectent l’économie du pays. En 1920, la Norvège obtient finalement une place sur la scène internationale en rejoignant la Société des nations et choisit pour la représenter l’explorateur Fridtjof Nansen (1861-1930). Le nom de ce dernier restera associé aux « passeports Nansen » qui permettront, notamment, aux réfugiés apatrides de voyager jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Per Krohg, La Norvège : le pays idéal où passer les vacances,  Kristiania Lith. Aktiebolag, 1913. Lithographie sur papier, 98,3 x 65,3 cm. Oslo, Nasjonalmuseet.

Per Krohg, La Norvège : le pays idéal où passer les vacances, Kristiania Lith. Aktiebolag, 1913. Lithographie sur papier, 98,3 x 65,3 cm. Oslo, Nasjonalmuseet. © Nasjonalmuseet – B. Høstland © Adagp, Paris, 2025

1 Briens S., Paris : laboratoire de la littérature scandinave 1880-1905, Paris, L’Harmattan, 2010.

2 Skredvsig C., « Fra Avenue de la Grande Armée n° 7 », Samtiden : tidsskrift for politikk, litteratur og samfunnsspørsmål, vol. 4, 1893, pp. 425-428.

3 Kirkholt T., « Krohg, Werenskiold og naturalismens politiske kraft », Kunst og Kultur, vol. 96, n° 3, pp. 24-37.

4 Numéro spécial de la revue Nordiques, 2016 : Norvège : regards sur la plus vieille constitution d’Europe.

5 Oslo utviklings – og kompetanseetaten, Statistisk Årbok for Oslo, Oslo, 1926, p. 11.

6 Segrestin M., « Le néoromantisme dans les pays scandinaves », Romantisme, vol. 132, n°2, p. 39.

« Christian Krohg (1852-1925). Le peuple du nord » du 25 mars au 27 juillet 2025 au musée d’Orsay, Esplanade Valéry Giscard d’Estaing, 75007 Paris. Tél. 01 40 49 48 14. www.musee-orsay.fr

Catalogue de l’exposition, coédition Musée d’Orsay / Hazan, 192 p., 39 €.

Sommaire

Christian Krohg, peintre du peuple du nord

2/9. La Norvège entre deux siècles

6/9. Les hommes et la mer (à venir)

7/9. De la condition humaine, le naturalisme de Krohg (à venir)

8/9. Albertine dans la salle d’attente du médecin de la police (à venir)

9/9. Un tempérament de portraitiste (à venir)