Christian Krohg, peintre du peuple du nord (5/9). L’illustrateur
![Christian Krohg, Le chef Håkon fit débarquer tous les prêtres et les savants [Håkon jarl satte allede lærde menn opp på land] (détail), illustration pour La Saga d’Óláf Tryggvason [Olav Tryggvasons saga], dans Snorri Sturluson, Histoire des rois de Norvège [Kongesagaer], Kristiania, 1899, 1895-99. Plume et encre, gouache et crayon sur papier, 14,3 x 25,1 cm. Oslo, Nasjonalmuseet.](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2025/07/preview__christian-krohg-hakon-jarl-fait-debarquer-pretres-savants-saga-olaf-tryggvason-dessin-olso-nasjonalmuseet.jpg)
Christian Krohg, Le chef Håkon fit débarquer tous les prêtres et les savants [Håkon jarl satte allede lærde menn opp på land] (détail), illustration pour La Saga d’Óláf Tryggvason [Olav Tryggvasons saga], dans Snorri Sturluson, Histoire des rois de Norvège [Kongesagaer], Kristiania, 1899, 1895-99. Plume et encre, gouache et crayon sur papier, 14,3 x 25,1 cm. Oslo, Nasjonalmuseet. Photo Nasjonalmuseet – A. Hansteen
Parallèlement à ses autres activités, Christian Krohg a abordé le domaine de l’illustration, essentiellement pour accompagner la traduction d’une saga médiévale dédiée aux rois nordiques. Au côté d’autres artistes reconnus comme Erik Werenskiold, Gerhard Munthe, Eilif Peterssen et Halfdan Egedius, il a participé à une entreprise nationale visant à mettre en valeur un texte historiographique fondamental.
L’Histoire des rois de Norvège, traditionnellement attribuée au chef et poète islandais Snorri Sturluson et composée au XIIIe siècle, raconte la vie des fondateurs du royaume nordique depuis leurs origines mythiques en Asie jusqu’à l’époque presque contemporaine de l’auteur. Après sa publication en 1899, le livre est devenu un symbole national, car il paraissait témoigner du fait que la Norvège existait avant son intégration au Danemark au XIVe siècle, alors même qu’en cette fin de XIXe siècle le pays était encore politiquement uni à la Suède. Traduit par l’un des historiens les plus éminents de son temps, Gustav Storm, l’ouvrage faisait l’objet d’une double édition : une édition luxueuse pour les foyers bourgeois et une version plus modeste pour les classes moins favorisées1. Il devint très populaire : on comptait environ 100 000 exemplaires imprimés autour de 1900 – à une époque où la Norvège comptait environ 2,2 millions d’habitants. De multiples rééditions ont été publiées à ce jour, et les illustrations ont également été réutilisées dans de nombreux contextes.
Christian Krohg, illustration pour La Saga de saint Óláf [Olav den helliges saga] dans Snorri Sturluson, Histoire des rois de Norvège [Kongesagaer], Kristiania, 1899, 1895-99. Plume et encre, crayon sur papier, 15,5 x 18,2 cm. Oslo, Nasjonalmuseet. Photo Nasjonalmuseet – A. Hansteen
Un projet unique
Les illustrations jouaient un rôle de premier plan dans cette édition. En comparaison des peintures de Christian Krohg, les images qu’il a conçues pour ce texte peuvent surprendre. Krohg n’a guère été attiré par les sujets médiévaux en tant que peintre. Cependant, rapporté au contexte du regain d’intérêt pour les productions nationales, pour la nation norvégienne et les pays scandinaves plus largement, ce travail d’illustration est tout à fait cohérent. Par ailleurs, si sur le plan formel l’art de Krohg s’inscrit dans des recherches typiques de la modernité, il est résolument narratif et documentaire, ancré dans le temps et l’espace nationaux. Les portraits et scènes de genre de Skagen racontent la vie de gens simples, les scènes de la vie urbaine narrent les dures réalités de la société norvégienne : ces œuvres illustrent d’une certaine manière des récits quotidiens de la vie nationale – ce que confirment les tableaux rattachés au roman Albertine.
Christian Krohg, Håkon Jarl fit débarquer tous les prêtres et les savants [Håkon jarl satte allede lærde menn opp på land], illustration pour La Saga d’Óláf Tryggvason [Olav Tryggvasons saga], dans Snorri Sturluson, Histoire des rois de Norvège[Kongesagaer], Kristiania, 1899, 1895-99. Plume et encre, gouache et crayon sur papier, 14,3 x 25,1 cm. Oslo, Nasjonalmuseet. Photo Nasjonalmuseet – A. Hansteen
Krohg face à un monument national
En feuilletant le livre, on remarque l’harmonie qui unit entre elles les illustrations des différents artistes. Même si le style de chacun est reconnaissable, elles forment un tout. Cela s’explique certainement par le recours aux mêmes modèles, à savoir les illustrations gravées sur bois des ouvrages des XVIe et XVIIe siècles. Celles du livre s’ancrent toutefois aussi dans leur époque : le style en est à la fois moderne et historiciste, se référant non seulement à la gravure sur bois du début de l’époque moderne, mais aussi à l’héritage du romantisme et à l’Art nouveau, qui s’épanouissait alors dans l’illustration des revues, avec ses formes géométriques simples et répétitives. Emblématique de ces sources mêlées, le portrait de Snorri Sturluson, l’auteur supposé du récit, dépeint le poète comme une voix de la nation en plaçant à l’arrière-plan les boucliers vikings. Cependant, le regard tourné vers l’intérieur fait référence aux représentations romantiques et contemporaines d’Homère et d’Ossian, incarnations légendaires de l’aveugle voyant.
Christian Krohg, Snorri Sturluson, 1899. Plume et encre, crayon sur papier, 22,8 x 16,6 cm. Oslo, Nasjonalmuseet. Photo Nasjonalmuseet – A. Hansteen
Håkon Jarl, le dernier grand chef païen de la Norvège, apparaît quant à lui comme un personnage mélancolique, assis dans une pose évoquant la figure de la Melancholia d’Albrecht Dürer. On peut être frappé par l’absence d’héroïsme des illustrations. En dépit du style historiciste, Krohg semble poser un regard très humain sur les personnages de l’histoire ; on pourrait même parler d’une vision naturaliste. Dans la scène où Håkon Jarl chasse les moines et les érudits, ni lui ni eux ne sont dépeints comme des héros, mais comme des personnages individualisés et humains. Sur une autre image, de la même façon, on voit Óláf le saint assis sur son lit, pieds nus, sous l’apparence d’un vieil homme ordinaire. Même dans ce texte fondateur de la culture nationale, Krohg se montre sensible aux détails de la vie, à l’histoire humanisée.
Christian Krohg, Le chef Håkon [Håkon Jarl], 1895‑99. Plume et encre, gouache sur papier, 15,3 x 14,2 cm. Oslo, Nasjonalmuseet. Photo Nasjonalmuseet – A. Hansteen
1 L’importance accordée aux illustrations peut d’ailleurs laisser penser qu’il s’agissait d’une édition spéciale destinée à être feuilletée et montrée aux invités plutôt que lue avec attention.
« Christian Krohg (1852-1925). Le peuple du nord » du 25 mars au 27 juillet 2025 au musée d’Orsay, Esplanade Valéry Giscard d’Estaing, 75007 Paris. Tél. 01 40 49 48 14. www.musee-orsay.fr
Catalogue de l’exposition, coédition Musée d’Orsay / Hazan, 192 p., 39 €.
Sommaire
Christian Krohg, peintre du peuple du nord
5/9. Krohg illustrateur
9/9. Un tempérament de portraitiste (à venir)