Le média en ligne des Éditions Faton

Christian Krohg, peintre du peuple du nord (8/9). Albertine dans la salle d’attente du médecin de la police

Christian Krohg, Albertine dans la salle d’attente du médecin de la police [Albertine i politilegensventeværelse], 1885-1887. Huile sur toile, 210 x 325,4 cm. Oslo, Nasjonalmuseet.

Christian Krohg, Albertine dans la salle d’attente du médecin de la police [Albertine i politilegensventeværelse], 1885-1887. Huile sur toile, 210 x 325,4 cm. Oslo, Nasjonalmuseet. Photo service de presse. Photo Nasjonalmuseet – B. Høstland

Cette ambitieuse toile, qui a défrayé la chronique, est la plus célèbre que Christian Krohg ait jamais peinte.

Traduit de l’anglais par Armelle Fayol

Pour la société bourgeoise, la prostitution constitue un sujet sensible parce qu’elle mêle le sexe et l’argent. En donner une représentation fidèle et éloquente est un défi stimulant pour les peintres et les écrivains de la fin du XIXe siècle. Le 11 mars 1887, Albertine dans la salle d’attente du médecin de la police est présenté au public à Kristiania. Il s’agit de l’œuvre la plus monumentale et la plus ambitieuse du peintre. On y voit une pièce remplie de prostituées attendant de subir l’examen de dépistage des maladies vénériennes. Albertine est cette femme pauvrement vêtue que le policier conduit vers la porte.

Succès et polémiques

Exposé dans un quartier populaire jusqu’au 3 avril suivant, le tableau devient du même coup, sans conteste, le plus célèbre des années 1880 en Norvège, si ce n’est dans toute la Scandinavie. La foule se presse pour le voir, à tel point que l’exposition est prolongée d’une semaine. Les classes laborieuses se déplacent en nombre, voyant en Krohg un héros. L’œuvre bénéficie même d’un éclairage pour que ceux qui travaillent tard puissent venir la voir le soir. Jusqu’à 1 500 visiteurs se pressent ainsi chaque jour. S’ensuit une tournée d’été au cours de laquelle le tableau voyage en Suède, montré tour à tour à Stockholm, Malmö et Gothenburg. À son retour en Norvège pour les derniers mois de l’année, il est exposé à Kristiansand, Bergen puis Trondheim. On peut le voir à Copenhague l’été suivant. Partout où il passe, les journaux se font l’écho des débats à son sujet.

Christian Krohg, Albertine dans la salle d’attente du médecin de la police [Albertine i politilegensventeværelse] (détail), 1885-1887. Huile sur toile, 210 x 325,4 cm. Oslo, Nasjonalmuseet.

Christian Krohg, Albertine dans la salle d’attente du médecin de la police [Albertine i politilegensventeværelse] (détail), 1885-1887. Huile sur toile, 210 x 325,4 cm. Oslo, Nasjonalmuseet. Photo service de presse. Photo Nasjonalmuseet – B. Høstland

Un manifeste naturaliste

L’un des aspects les plus frappants du tableau tient à la représentation des regards et des coups d’œil échangés entre les protagonistes et à la façon dont ils prennent à partie le spectateur. La figure frontale du premier plan fait face à l’observateur avec son regard franc et son allure soignée pleine d’assurance. À la différence des hommes, les femmes de l’époque ne sont pas autorisées à lancer ce genre de regard, et c’est justement pourquoi celle-ci, depuis sa position centrale, nous adresse cet air provocant, qui fait écho au personnage d’Olympia de Manet (1863). Au sujet des deux femmes du premier plan, le critique Andreas Aubert évoquera une « féminité bestiale des plus répugnantes » ; selon lui, leur attitude constitue un véritable outrage pour le public. Krohg a mêlé ici des codes vestimentaires distincts, faisant de son tableau une sorte de scène où évoluent différentes catégories de prostituées, des jeunes ouvrières aux femmes mûres et expérimentées étalant leurs « costumes » d’élégantes bourgeoises. Il a su saisir la dimension carnavalesque de la prostitution et la hiérarchie qui règne au sein de ce prolétariat.

Christian Krohg, Albertine dans la salle d’attente du médecin de la police [Albertine i politilegensventeværelse] (détail), 1885-1887. Huile sur toile, 210 x 325,4 cm. Oslo, Nasjonalmuseet.

Christian Krohg, Albertine dans la salle d’attente du médecin de la police [Albertine i politilegensventeværelse] (détail), 1885-1887. Huile sur toile, 210 x 325,4 cm. Oslo, Nasjonalmuseet. Photo service de presse. Photo Nasjonalmuseet – B. Høstland

« Christian Krohg (1852-1925). Le peuple du nord » du 25 mars au 27 juillet 2025 au musée d’Orsay, Esplanade Valéry Giscard d’Estaing, 75007 Paris. Tél. 01 40 49 48 14. www.musee-orsay.fr

Catalogue de l’exposition, coédition Musée d’Orsay / Hazan, 192 p., 39 €.