Cimabue, aux origines de la peinture italienne (4/10). Le Crucifix d’Arezzo

Cenni di Pepo, dit Cimabue, Crucifix (détail), vers 1270. Tempera et or sur bois, 336 x 267 cm. Arezzo, église San Domenico. © Scala, Florence, dist. RMN / image Scala
D’une hauteur supérieure à trois mètres, l’impressionnant Crucifix de l’église San Domenico d’Arezzo, exécuté vers 1270, témoigne de l’importante commande passée par l’ordre dominicain à Cimabue au début de sa carrière.
Le peintre florentin choisit de représenter le Christ souffrant, le corps déhanché se détachant de la surface de la Croix décorée par un motif géométrique. Les dolents, la Vierge Marie et saint Jean, occupent les tableautins rectangulaires aux extrémités latérales des bras, tandis que Dieu bénissant et le titulus traditionnel couronnent le Crucifix.
Cenni di Pepo, dit Cimabue, Crucifix, Saint Jean (détail), vers 1270. Tempera et or sur bois, 336 x 267 cm. Arezzo, église San Domenico. © Scala, Florence, dist. RMN / image Scala
« Loin d’une figuration du Christ victorieux triomphant sur la mort, c’est la nature humaine de sa souffrance qui est ici mise en avant. »
Christus patiens
Tout en conservant un langage stylisé qui s’inscrit dans les conventions de la tradition byzantine, Cimabue anime la représentation du Christ en croix et intensifie l’expression de la douleur. Le Christ, au corps tordu et courbé, la tête inclinée et les yeux fermés, répond au modèle du Christus patiens. Loin d’une figuration du Christ victorieux triomphant sur la mort, c’est la nature humaine de sa souffrance qui est ici mise en avant. Cimabue a très probablement pu observer le Crucifix réalisé par Giunta Pisano pour l’église San Domenico de Bologne ou sa Croix dite de San Raniero, adoptant cette iconographie, et dont il reprend aussi le détail remarquable du sang qui s’écoule en volutes des plaies. Comme Giunta, il apporte un soin nouveau à la représentation de l’anatomie, construite selon des linéaments géométriques, tout en accentuant le contraste entre la taille étroite et la cage thoracique gonflée du dernier soupir. À l’effort du corps s’associe la souffrance de l’esprit, concentrée dans la coupe longue des yeux et dans les ombres des arcades sourcilières. Ce pathos confère à l’œuvre une profonde dimension spirituelle, qui convenait aux exigences des ordres mendiants commanditaires. Intégré dans la petite et sobre architecture de San Domenico, le Crucifix monumental était bien visible, surélevé face aux fidèles. Il accompagnait leur méditation sur la souffrance du Christ et contribuait à susciter leur compassion et leur foi. Ainsi, les fidèles pouvaient partager la douleur ressentie par la Vierge et saint Jean, dont les gestes et les expressions manifestent l’intensité de leur chagrin rempli d’humanité.
Cenni di Pepo, dit Cimabue, Crucifix, vers 1270. Tempera et or sur bois, 336 x 267 cm. Arezzo, église San Domenico. © Scala, Florence, dist. RMN / image Scala
Vers un âge nouveau
À la fin des années 1260, Cimabue fait déjà preuve d’une excellente maîtrise dans l’art de la peinture, qui lui vaut cette prestigieuse commande pour l’église dominicaine d’Arezzo. Restauré au début des années 2000, le Crucifix frappe par une exécution raffinée et précieuse, comme l’atteste l’emploi de la chrysographie. Par l’insertion d’or dans les drapés du périzonium du Christ, des vêtements des dolents et du Dieu bénissant, Cimabue confère à l’œuvre une somptuosité remarquable, tout en soulignant la plasticité des formes et des volumes. Enfin, la pointe du périzonium, qui déborde sur le cadre à gauche, et le détail du sang rebondissant sur la bordure de la Croix apparaissent comme le symptôme d’une nouvelle sensibilité à la figuration de l’espace. Deux décennies plus tard, ces recherches aboutiront au saisissant Crucifix réalisé par Giotto pour Santa Maria Novella à Florence.
« Revoir Cimabue. Aux origines de la peinture italienne », du 22 janvier au 12 mai 2025 au musée du Louvre, aile Denon, 1er étage, 75001 Paris. Tél. 01 40 20 53 17. www.louvre.fr
Catalogue sous la direction de T. Bohl, coéd. musée du Louvre éditions / Silvana Editoriale, 256 p., 170 ill., 42 €
Sommaire
Cimabue, aux origines de la peinture italienne
4/10. Le Crucifix d’Arezzo
9/10. De Cimabue à Giotto : un héritage florentin (à venir)
10/10. Amours et désamours : l’artiste et la France (à venir)