Cimabue, aux origines de la peinture italienne (6/10). Les mosaïques du baptistère de Florence

Cenni di Pepo, dit Cimabue, La Naissance de saint Jean-Baptiste et l’Imposition du nom, milieu des années 1280. Mosaïque. Florence, baptistère San Giovanni. Photo courtesy Panini / Opera di Santa Maria del Fiore
Face à la cathédrale, le baptistère San Giovanni de Florence abrite, tel un précieux écrin, les tesselles d’une mosaïque exceptionnelle couvrant plus de mille mètres carrés. Aux XIIIe et XIVe siècles, plusieurs générations de maîtres et d’artisans se sont succédé pour réaliser cette œuvre monumentale, parmi lesquels figurait Cimabue.
L’architecture romane du baptistère, consacré en 1059 par le pape Nicolas II, adopte un plan octogonal complété par une abside sur le côté ouest. Le décor médiéval en mosaïque orne les murs de l’abside, l’intérieur de la coupole et les tribunes, créant un contraste saisissant avec la sobre élégance des géométries de marbre blanc et vert qui habillent les parois. Majestueuse, la mosaïque de la coupole se développe sur huit sections et déploie un riche programme iconographique. Les trois quartiers du côté ouest sont dominés par le Christ juge, entouré des apôtres et des anges introduits par la Vierge et saint Jean. Le Christ monumental sépare le Paradis des élus des Enfers des damnés, illustrant le thème du jugement et du salut de l’âme. Dans les cinq autres quartiers, plusieurs registres se succèdent dans un ensemble narratif vaste et organisé : un décor ornemental encercle la lanterne, sous lequel se déploie le registre figurant le Créateur accompagné des hiérarchies d’anges, suivi par les histoires de la Genèse, celles de Joseph, du Christ et enfin de saint Jean-Baptiste.
« [L]e programme décoratif avait été défini dans son ensemble dès le Duecento, et l’intervention des maîtres Coppo di Marcovaldo, Meliore di Jacopo et Cimabue laisse aujourd’hui peu de doutes. »
Un chantier au long cours
Le chantier du décor du dôme s’est étendu sur plusieurs décennies, mais peu de témoignages documentaires subsistent à son sujet. Une inscription dans l’abside mentionne la date de 1225, probablement en référence au début des travaux dans la coupole. Ceux-ci ont duré jusqu’au siècle suivant, le dernier financement des mosaïques étant attesté en 1325. Cette vaste entreprise requit la collaboration de nombreux artistes : l’attribution des scènes a nourri les débats parmi les historiens de l’art, un exercice rendu d’autant plus complexe par les réfections postérieures et les restaurations des mosaïques. Or, le programme décoratif avait été défini dans son ensemble dès le Duecento, et l’intervention des maîtres Coppo di Marcovaldo, Meliore di Jacopo et Cimabue laisse aujourd’hui peu de doutes. Leur œuvre témoigne des progrès dans la maîtrise de l’art de la mosaïque, peu répandu à cette époque à Florence. Si des échanges avec des artistes étrangers, de tradition byzantine ou vénitienne, sont à prendre en considération, le chantier du baptistère fut un véritable banc d’essai technique pour les peintres locaux. C’est ainsi qu’en 1302 Cimabue fut appelé à Pise pour poursuivre la mosaïque de l’abside de la cathédrale.
Le dôme décoré de mosaïques du baptistère San Giovanni à Florence. Photo courtesy Opera di Santa Maria del Fiore – F. Muzzi
Des scènes au style « cimabuesque »
Quant à la participation de Cimabue au décor du baptistère florentin, aucune preuve documentaire n’atteste son intervention, mais une empreinte de son style se révèle dans les sections nord-est et nord de la coupole. Certains épisodes de la vie de saint Joseph, comme celui où Joseph est vendu par ses frères à une caravane de marchands, suggèrent que Cimabue avait probablement conçu les cartons de quelques scènes ; les artistes chargés de les exécuter avaient pu s’imprégner de l’œuvre du peintre et de ses solutions stylistiques. De même, les histoires de saint Jean-Baptiste, datées aux alentours de 1280-1285, trahissent une forte proximité avec l’art de Cimabue. Dans La Naissance de saint Jean-Baptiste et l’Imposition du nom, Zacharie, assis et écrivant le nom du nouveau-né, se trouve opposé à un groupe de personnages parmi lesquels se détache un jeune homme en haut à droite. Préservé des restaurations postérieures, le visage juvénile a conservé toute sa vigueur. Un dessin raffiné traduit la mélancolie du regard et anime les boucles des cheveux, tandis que la tête, légèrement inclinée, est modelée par un emploi habile du clair-obscur délimitant une ombre sous le menton. La qualité de ce détail a été attribuée à la main de Cimabue : la même subtilité se retrouve dans les visages qui peuplent la Maestà du Louvre.
Cenni di Pepo, dit Cimabue, Saint Joseph vendu par ses frères, milieu des années 1280. Mosaïque. Florence, baptistère San Giovanni. Photo courtesy Panini / Opera di Santa Maria del Fiore
Un monument civique et religieux
Le baptistère de Florence était dédié à saint Jean-Baptiste, le précurseur du Christ, qui annonça sa venue et qui le reconnut comme le Messie lors de son baptême. À l’instar de ce saint qui incarne le passage du péché à la grâce, ceux qui recevaient le sacrement du baptême aspiraient à la purification et au salut. Le programme iconographique était ainsi axé sur ces thèmes, tout en illustrant les épisodes principaux de la vie de saint Jean-Baptiste. Au-delà de sa fonction religieuse, le baptistère avait aussi une vocation civique, saint Jean-Baptiste étant également le protecteur de la ville de Florence. Les frontières entre le rôle religieux et la dimension publique de l’édifice étaient alors particulièrement ténues. À partir de 1216, la gestion et l’entretien artistique du baptistère furent confiés à l’influente guilde des marchands florentins, l’Arte di Calimala. Celle-ci, disposant de ressources considérables, assura le financement de cette entreprise décorative au fort caractère spirituel et identitaire.
« Revoir Cimabue. Aux origines de la peinture italienne », du 22 janvier au 12 mai 2025 au musée du Louvre, aile Denon, 1er étage, 75001 Paris. Tél. 01 40 20 53 17. www.louvre.fr
Catalogue sous la direction de T. Bohl, coéd. musée du Louvre éditions / Silvana Editoriale, 256 p., 170 ill., 42 €
Sommaire
Cimabue, aux origines de la peinture italienne
6/10. Les mosaïques du baptistère de Florence
9/10. De Cimabue à Giotto : un héritage florentin (à venir)
10/10. Amours et désamours : l’artiste et la France (à venir)