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Dans la lumière de Vermeer au Rijksmuseum (2/4). S’immerger dans l’œuvre du peintre

Vue de Delft (détail), 1660-1661. Huile sur toile, 96,5 x 115,7 cm. La Haye, Mauritshuis.

Vue de Delft (détail), 1660-1661. Huile sur toile, 96,5 x 115,7 cm. La Haye, Mauritshuis. Photo service de presse. © Mauritshuis, The Hague

Vermeer est-il ce génie absolu de l’Âge d’or hollandais ou simplement un pair parmi ses pairs dont l’œuvre longtemps resté très énigmatique a entretenu la légende ? En consacrant au « Sphinx de Delft » une exposition rassemblant vingt-huit de ses tableaux, soit les trois quarts de son corpus connu, le Rijksmuseum entend réaffirmer la singularité de l’art du maître ; à l’appui des nombreuses recherches et découvertes scientifiques récentes qui lèvent peu à peu le voile sur les mystères de sa peinture, il confirme aussi l’attribution à l’artiste de certains tableaux contestés. Entretien avec Taco Dibbits, directeur général du Rijksmuseum, Gregor J.M. Weber, directeur du département des Beaux-Arts et des Arts décoratifs du Rijksmuseum, Pieter Roelofs, directeur de la section des Peintures et des Sculptures du Rijksmuseum.

Propos recueillis par Mathilde Dillmann

Comment s’organise le parcours de l’exposition ?

Gregor J.M. Weber : Le parcours se déploie selon onze grandes thématiques afin de permettre aux visiteurs de mieux cerner la vie et l’œuvre du peintre. Il s’ouvre sur les deux vues de Delft, montre ensuite les premières œuvres connues de Vermeer (des tableaux mythologiques et religieux qui témoignent de ses ambitions de peintre d’histoire au début de sa carrière), et se poursuit avec ses premières scènes d’intérieur comme La Liseuse. Il met ensuite en évidence des motifs récurrents dans l’œuvre de Vermeer : les instruments de musique, les lettres, les fenêtres, les miroirs, les bijoux en perles… et souligne l’importance des reflets et des jeux de regards. L’exposition propose également les grandes clés de lecture de ces tableaux, construits sur des valeurs religieuses et morales, et reposant sur un merveilleux équilibre entre le monde extérieur et le monde intérieur.

La Ruelle, 1658-1659. Huile sur toile, 54,3 x 44 cm. Amsterdam, Rijksmuseum.

La Ruelle, 1658-1659. Huile sur toile, 54,3 x 44 cm. Amsterdam, Rijksmuseum. Photo courtesy Rijksmuseum, Amsterdam

Comment la scénographie a-t-elle été pensée ?

Taco Dibbits : La scénographie de l’exposition a été conçue par Jean-Michel Wilmotte dont l’agence travaille depuis 2004 avec le Rijksmuseum. Il a en effet réalisé la scénographie pour la réouverture du musée en 2013. Pour l’exposition, la scénographie très épurée s’inspire des caractéristiques des œuvres de Vermeer et reprend par exemple le motif très fréquent des rideaux. Le choix du velours s’inspire également des tissus représentés dans ses tableaux. La gamme assombrie de couleurs, vert profond, aubergine, bleu… reprend les tonalités des œuvres tout en faisant ressortir l’extraordinaire luminosité des toiles.

« […] il remarqua pour la première fois des petits personnages en bleu, que le sable était rose, et enfin la précieuse matière du tout petit pan de mur jaune. » 

Marcel Proust, À la recherche du temps perdu à propos de la Vue de Delft

La Vue de Delft, « le plus beau tableau du monde »

La majorité des tableaux de Vermeer représentent des scènes d’intérieur. Il a toutefois peint au moins à trois reprises sa ville natale. Seules deux de ces œuvres sont conservées : La Ruelle et la Vue de Delft dans laquelle le rendu des effets atmosphériques montre tout le génie du maître. Les vues de villes réalisées avec une extrême précision étaient une des spécialités des peintres hollandais du XVIIe siècle. Delft est représentée depuis la rive sud, avec une grande exactitude. On reconnaît ses fortifications, les portes de Schiedam (au centre, surmontée d’un clocheton) et de Rotterdam (à droite, flanquée de deux tours), et à l’arrière-plan le clocher de la Nieuwe Kerk. L’aiguille de l’horloge de la porte de Schiedam indique sept heures du matin, ce qui correspond à l’orientation de la lumière du soleil qui éclaire la ville par la droite. Vermeer retranscrit l’atmosphère vibrante de lumière à l’instant fugace où le soleil commence à percer à travers les nuages. Le scintillement des rayons du soleil matinal sur la ville est rendu par des rehauts de petits points clairs et brillants. Cette toile fascina Marcel Proust qui la décrivit comme « le plus beau tableau du monde », avec son fameux « petit pan de mur jaune […] si bien peint, qu’il était, si on le regardait seul, comme une précieuse œuvre d’art chinoise ». Bergotte, l’écrivain mondain d’À la recherche du temps perdu, s’effondre devant ce tableau tout en comprenant enfin l’art qu’il n’a jamais réussi à atteindre : « il remarqua pour la première fois des petits personnages en bleu, que le sable était rose, et enfin la précieuse matière du tout petit pan de mur jaune ».​​​​​​

Vue de Delft, 1660-1661. Huile sur toile, 96,5 x 115,7 cm. La Haye, Mauritshuis.

Vue de Delft, 1660-1661. Huile sur toile, 96,5 x 115,7 cm. La Haye, Mauritshuis. Photo service de presse. © Mauritshuis, The Hague

En lien avec l’exposition, le site internet du Rijksmuseum propose une véritable immersion dans l’œuvre de Vermeer.

Pieter Roelofs : Nous souhaitons que tous ceux qui aiment l’art de Vermeer dans le monde entier puissent contempler au mieux les œuvres et s’approcher au plus près de l’art du maître de Delft. C’est pourquoi nous proposons cette expérience numérique, librement disponible sur notre site internet. La très grande qualité des photos permet d’observer les tableaux jusque dans leurs moindres détails, de scruter jusqu’à la matérialité des pigments. Elle s’accompagne de commentaires sur la vie et l’art de Vermeer afin de mieux comprendre les œuvres, mais aussi leur contexte de création et la vie quotidienne au XVIIe siècle. 

Chronologie comparée

1632 Naissance à Delft de Vermeer, second fils de Reynier Jansz, tisserand en étoffes de soie et marchand d’art, et de Digna Baltens.

1641 La famille s’établit dans l’auberge Mechelen, située sur la place du marché de Delft. Vermeer commence vraisemblablement à étudier la géométrie et le dessin dans une petite école de la Voldersgracht.

1642 Rembrandt peint La Ronde de Nuit.

1646-1650 Des artistes renommés comme les peintres Paulus Potter et Carel Fabritius s’installent à Delft.

1652 Mort de Reynier Jansz, le père de Vermeer.

1653 Vermeer est admis au sein de la guilde de Saint-Luc et épouse Catharina Bolnes.

12 octobre 1654 L’explosion d’une poudrière cause de nombreuses victimes, dont le peintre Carel Fabritius. Elle ravage une grande partie de Delft et touche l’auberge Mechelen.

1655 Pieter de Hooch s’établit à Delft.

1658-1659 La Laitière.

1660-1661 Vue de Delft.

1662 Vermeer est élu à la tête de la guilde de Saint-Luc.

Vers 1665 La Jeune Fille à la perle.

1669 Mort de Rembrandt.

1670 À la mort de sa mère, Johannes Vermeer reprend la gestion de l’auberge Mechelen. Il est réélu à la tête de la guilde de Saint-Luc, et peint Le Géographe et La Lettre d’amour.

1672 L’invasion des Pays-Bas par les troupes de Louis XIV provoque une grave crise économique. Les difficultés financières de Vermeer empirent.

1675 Mort de Vermeer. Il est enterré le 16 décembre à l’Oude Kerk (« Vieille église »). Le peintre, ruiné et accablé de dettes, laisse sa femme et ses onze enfants dans une situation financière difficile.

« Vermeer », du 10 février au 4 juin 2023 au Rijksmuseum, Museumstraat 1, Amsterdam. Tél. 00 31 20 6747 000. www.rijksmuseum.nl
Catalogue, Gregor J.M. Weber, Pieter Roelofs (dir.), Rijksmuseum/Hannibal Books, 320 p., 35 €.
Gregor J.M. Weber, Johannes Vermeer. Faith, Light and Reflection, Rijksmuseum, 168 p., 25 €. Dossiers de l’Art n° 305, éditions Faton, 80 p., 11 €.

« La Delft de Vermeer », du 10 février au 4 juin 2023 au musée Prinsenhof, Sint Agathaplein 1, Delft. Tél. 00 31 15 260 23 58. www.prinsenhof-delft.nl
Catalogue, Waanders, 144 p., 29,95 €.​​​​​​

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Dans la lumière de Vermeer au Rijksmuseum

2/4. S’immerger dans l’œuvre du peintre