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David Hockney : l’enfant terrible de l’art enflamme la Fondation Louis Vuitton

David Hockney (né en 1937), 27th March 2020, No. 1. Peinture sur iPad imprimée sur papier, montée sur cinq panneaux en aluminium, 364,1 x 521,4 cm.

David Hockney (né en 1937), 27th March 2020, No. 1. Peinture sur iPad imprimée sur papier, montée sur cinq panneaux en aluminium, 364,1 x 521,4 cm. Photo service de presse. © David Hockney

25 ans ! Le facétieux Anglais à la carrière prolifique souffle les bougies du dernier quart de siècle à la Fondation Louis Vuitton. L’intégralité des espaces lui a été offerte pour magnifier son œuvre. Plus de 400 pièces, réalisées entre 1955 et 2025, provenant de son atelier, de sa fondation et de collections internationales institutionnelles ou privées offrent ainsi une magistrale plongée dans l’univers de l’artiste. 

Le printemps est la saison préférée de David Hockney. Cela tombe bien : quelques mois avant son anniversaire (il aura 88 ans le 9 juillet prochain) s’est ouverte une majestueuse exposition de son œuvre. L’artiste britannique croyait tenir avec la récente rétrospective de 2017 (Londres, Paris, New York) la dernière grande manifestation d’une carrière bien remplie, mais c’était sans compter la volonté de l’équipe de la Fondation Louis Vuitton de lui organiser un nouvel hommage à la hauteur de son talent. Si celui-ci se déploie dans les onze galeries du bâtiment – du jamais vu pour un artiste vivant –, il n’est pas pour autant une autre rétrospective. Celle du Centre Pompidou avait été un modèle du genre, pourquoi la refaire ? Non, Hockney, qui s’est beaucoup impliqué dans son élaboration, a voulu cette fois une exposition centrée sur les œuvres qu’il a réalisées depuis 2000, soit ces vingt-cinq dernières années (d’où le titre « David Hockney 25 »).

David Hockney (né en 1937), May Blossom on the Roman Road, 2009. Huile sur huit toiles, 182,9 x 487,7 cm.

David Hockney (né en 1937), May Blossom on the Roman Road, 2009. Huile sur huit toiles, 182,9 x 487,7 cm. Photo service de presse. © David Hockney. Photo Richard Schmidt

Les débuts de l’artiste

L’espace étant immense et le nombre d’œuvres réunies considérable – plus de 400 –, les périodes artistiques précédentes sont cependant presque toutes évoquées. C’est donc bien par les débuts du peintre que le parcours commence, avec notamment le portrait de son père, peint alors qu’il n’a que 18 ans et qui lui valut aussitôt l’estime de ses professeurs et de ses camarades à la Bradford School of Art. Consacrée aux années 1960, la première salle montre une sélection des toiles du jeune Hockney. Elles sont toutes superbes, à la fois originales dans leur langage plastique – on constate sa dette vis-à-vis de Jean Dubuffet, mais on pressent aussi tout ce qu’un Jean-Michel Basquiat lui devra (voir Adhesiveness, par exemple) – et très sûres, affichant sans complexe un homoérotisme (Two Men in a Shower) pourtant tabou dans la société britannique de l’époque, qui criminalise l’homosexualité jusqu’en 1967.

David Hockney (né en 1937), Portrait of my father, 1955. Huile sur toile, 50,8 x 40,6 cm.

David Hockney (né en 1937), Portrait of my father, 1955. Huile sur toile, 50,8 x 40,6 cm. Photo service de presse. © David Hockney. Photo The David Hockney Foundation / Richard Schmidt

La notoriété

Ayant eu la chance de grandir dans une famille aimante et ouverte, David Hockney ne s’est jamais soucié du regard des autres et a toujours vécu comme il l’entendait, avec une excentricité certaine. Néanmoins, frappé par la liberté de mœurs qu’il y découvre, il décide de s’installer en Californie en 1964. C’est durant ces années américaines qu’il accède à la notoriété, principalement grâce à deux ensembles : les Shower Paintings et les Pool Paintings. Les tableaux, réalisés à l’acrylique, sont à la fois des manifestes homosexuels et des hymnes au soleil et aux plaisirs de la côte ouest.

David Hockney (né en 1937),Christopher Isherwood and Don Bachardy, 1968. Acrylique sur toile, 212,1 x 303,5 cm. Collection particulière.

David Hockney (né en 1937),Christopher Isherwood and Don Bachardy, 1968. Acrylique sur toile, 212,1 x 303,5 cm. Collection particulière. Photo service de presse. © David Hockney. Photo Fabrice Gibert

A Bigger Splash

Emblématique de cet hédonisme, A Bigger Splash fit sensation lors de son exposition et reste sans doute encore à ce jour l’œuvre la plus célèbre de David Hockney. On aurait tort cependant d’en rester à cette seule lecture. Le peintre a de l’humour et de la culture, et il faut aussi voir dans la « plus grande éclaboussure », réalisée avec patience et longueur de temps, un pied de nez à l’esthétique des expressionnistes abstraits. De même, le cadre blanc qui borde la composition, et qu’il décline à plusieurs reprises dans cette série, est un clin d’œil aux photographies qu’il prend au même moment avec son Polaroid – une manière de souligner le caractère artificiel, fabriqué de l’œuvre.

David Hockney (né en 1937), A Bigger Splash, 1967. Acrylique sur toile, 242,5 x 243,9 x 3 cm.

David Hockney (né en 1937), A Bigger Splash, 1967. Acrylique sur toile, 242,5 x 243,9 x 3 cm. Photo service de presse. © David Hockney. Photo Tate, UK

Le peintre de la Californie

D’impressionnants paysages californiens des années 1990 sont accrochés en regard et révèlent combien Hockney est devenu un immense coloriste. Il n’hésite pas à faire crier les tons, comme dans Pacific Coast Highway and Santa Monica où le jaune citron, le mauve, le violet, l’orange et le vert acidulé proposent une harmonie totalement inédite, mais bien réelle. Les Américains, tous les Européens le savent, voient grand, très grand, et Hockney, qui emploie à plusieurs reprises le superlatif dans ses titres, réalise A Bigger Grand Canyon sur une surface composée de soixante toiles. Il use souvent de ce procédé, que l’on retrouve dans la salle suivante à une échelle encore plus monumentale, avec les cinquante toiles de Bigger Trees near Warter qui occupent tout un mur.

David Hockney (né en 1937), Bigger Trees near Warter ou Peinture sur le motif pour le nouvel âge post-photographique, 2007. Huile sur cinquante toiles, 457,2 x 1219,2 cm.

David Hockney (né en 1937), Bigger Trees near Warter ou Peinture sur le motif pour le nouvel âge post-photographique, 2007. Huile sur cinquante toiles, 457,2 x 1219,2 cm. Photo service de presse. © David Hockney. Photo Tate, UK / Prudence Cuming Associates

Cette peinture a été réalisée sur le motif en un temps record de six semaines, avant que le printemps ne vienne changer l’apparence des arbres. Car David Hockney, et le visiteur en prend conscience au fur et à mesure de sa déambulation, se révèle fasciné à partir du début des années 2000 par le passage des saisons et leurs variations.

Un hymne aux paysages

Après les cimaises rouges des deux premières salles, celles de la troisième, la plus vaste du parcours, sont d’un gris clair qui apaise aussitôt. Hockney se serait-il assagi, passé les 60 ans ? Que nenni, comme le prouve la toujours audacieuse palette des quinze toiles formant Winter Timber. Mais il sait aussi adopter des tons plus attendus pour un paysage, comme il sait revenir à des techniques plus traditionnelles. C’est ainsi en héritier de Turner et de Constable qu’il entreprend en 2004 une série de trente-six aquarelles représentant l’été dans la campagne du Yorkshire. Revenu en Angleterre à la mort de sa mère (tout en continuant à séjourner régulièrement en Californie), David Hockney trouve dans sa région natale, pourtant dénuée de pittoresque immédiat, le terrain idéal pour étudier le changement des saisons. Durant presque dix ans, il réalise ainsi en plein air plusieurs séries, dont deux sont ici présentées, tout en contraste : un ensemble de douze huiles sur toiles montrant les Wolds dans une symphonie de verts, de jaunes et de bleus, et vingt-cinq fusains dessinant en noir et blanc l’arrivée du printemps à partir de cinq points de vue différents.

David Hockney (né en 1937), Winter Timber, 2009. Huile sur quinze toiles, 274,3 x 609,6 cm.

David Hockney (né en 1937), Winter Timber, 2009. Huile sur quinze toiles, 274,3 x 609,6 cm. Photo service de presse. © David Hockney. Photo Jonathan Wilkinson LYC Collection

Un maître de la peinture sur iPad

En bon Anglais, Hockney a eu, à l’occasion d’une visite de la Tapisserie de Bayeux en octobre 2018, un coup de cœur pour la Normandie. Ayant acquis une maison dans le Pays d’Auge, il y a vécu le confinement durant la pandémie et quelques printemps supplémentaires. Les quatre hectares de son jardin suffisaient alors amplement à son bonheur, d’autant qu’il était passé maître dans la peinture sur iPad. C’est ainsi que l’on découvre au deuxième niveau l’intégralité de sa série 220 for 2020, soit 220 peintures, films stills et animations qui montrent la nature dans tous ses états, au fil des jours et des changements climatiques. Avantage de la technique numérique et en partie virtuelle, Hockney a lui-même pu jouer sur les formats des œuvres (réduits ou monumentaux) en fonction des volumes de la Fondation Louis Vuitton et de l’équilibre général qu’il voulait donner ici à son ensemble. Certaines sont sur écran, d’autres ont été imprimées en douze couleurs puis montées sur aluminium et encadrées.

Vu de la galerie 5 de l'exposition où est exposée la série 220 for 2020.

Vu de la galerie 5 de l'exposition où est exposée la série 220 for 2020. Photo service de presse. © David Hockney. Photo Fondation Louis Vuitton

« Hockney, dans ces années-là, use d’une technique froide, sans matière, presque aseptisée »​​​

Un grand portraitiste

Mais si le paysage est en majesté dans l’exposition, le portrait n’est pas oublié, loin de là, et c’est heureux, tant David Hockney est un remarquable portraitiste. Il l’avait montré très tôt, dès la fin des années 1960 avec Christopher Isherwood and Don Bachardy, visible au début du parcours. Ce double portrait, un genre dont il se fait rapidement une spécialité, sera suivi par plusieurs autres, tel celui, mémorable, de sa grande amie Celia Birtwell au moment de son mariage avec Ossie Clark (Mr and Mrs Clark and Percy). Avatars contemporains de la conversation piece, ces grands tableaux mettent moins en scène l’union que la difficulté à communiquer, de l’aveu même de leur auteur qui déclarera que « très souvent, au moment où [il finit] de les peindre, [il] découvre que ce couple n’existe pas, que ces gens ne sont pas vraiment ensemble ». Faut-il voir la même distance dans son Portrait of an Artist, qui montre son amant d’alors, Peter Schlesinger, regarder en surplomb un homme nager dans la piscine ? Le détachement est en tout cas plastique. Hockney, dans ces années-là, use d’une technique froide, sans matière, presque aseptisée – c’est frappant dans la géométrisation des jets d’eau d’A Lawn Being Sprinkled ou des coussins de Some Neat Cushions.

David Hockney (né en 1937), Portrait of an Artist (Pool with two figures), 1972. Acrylique sur toile, 213,36 x 304,8 cm.

David Hockney (né en 1937), Portrait of an Artist (Pool with two figures), 1972. Acrylique sur toile, 213,36 x 304,8 cm. Photo service de presse. © David Hockney. Photo Yageo Foundation Collection, Taiwan / Art Gallery of New South Wales / Jenni Carter

Mais un artiste n’a pas qu’un style, comme l’a prouvé le versatile Picasso, et à la fin de l’année 1999, inspiré par Ingres, modèle qu’il partage avec l’Espagnol, Hockney réalise d’un crayon virtuose une série de portraits des gardiens de la National Gallery de Londres. Les grands formats au fusain (Erica Bolton, John Richardson), exécutés presque vingt ans plus tard, sont tout aussi admirables. En vis-à-vis, dans la même salle du rez-de-chaussée, sont réunis de nombreux portraits peints, dont toute une série de petits formats (2013-2025) qui constellent un mur entier – tous des amis ou des proches du peintre, qui refuse les commandes (la reine Elizabeth II l’avait d’ailleurs appris à ses dépens). Tantôt sur un fond bleu et vert, tantôt sur un fond blanc avec liseré doré, ces œuvres au trait quelque peu tremblé s’avèrent plus chaleureuses et incarnées. Les quinze autoportraits de 2012, cadrés sur le visage qui « dit tout », laissent quant à eux bien voir la bonhomie et l’autodérision de l’artiste. Il ne faut pas manquer non plus, à l’extérieur de la salle, les quelques écrans qui montrent le fascinant work in progress d’un portrait réalisé avec l’iPad.

Vue de la galerie 4 l’exposition, salle « Portraits et fleurs (2000-2025) ».

Vue de la galerie 4 l’exposition, salle « Portraits et fleurs (2000-2025) ». Photo service de presse. © David Hockney

« Même si l’on peut préférer la texture et la chaleur de la matière picturale, il est indéniable que la technique numérique dans ses mains n’est pas un gadget, mais augmente, étend véritablement son expérience artistique. »​​​​

Art et technique

La technique est en effet centrale dans la démarche de David Hockney. Après avoir utilisé le Polaroid, l’imprimante offset et le photocopieur couleur, il se met à travailler avec la tablette d’Apple dès sa commercialisation en 2010. Peu à peu, grâce au développement d’une application personnalisée particulièrement sophistiquée, il en fait un outil essentiel dans son approche du paysage. Même si l’on peut préférer la texture et la chaleur de la matière picturale, il est indéniable que la technique numérique dans ses mains n’est pas un gadget, mais augmente, étend véritablement son expérience artistique. Les infimes et éphémères variations lumineuses, la pluie, les gouttes qui tombent dans une mare sont rendues d’une façon nouvelle – qui l’inspire d’ailleurs pour ses acryliques, Hockney n’ayant jamais abandonné le médium (Books and Rain). L’écran rétroéclairé de l’iPad, qui lui permet de travailler la nuit, donne également naissance aux œuvres saisissantes de la Moon Room, plongée dans l’obscurité.

Les « dessins photographiques » (Pictures at an Exhibition, Pictured Gathering with Mirror) constituent une autre série « aidée » par la technologie. Initiées en 2015 avec le logiciel Photoshop, ces images produisent, grâce à l’utilisation conjointe de différentes perspectives, un effet « 3D sans lunettes ». Différentes d’une photographie traditionnelle, elles sont aussi plus longues à « lire », impliquant une véritable temporalité dans leur déchiffrement.

David Hockney (né en 1937), « After Munch : Less is Known than People Think », 2023. Acrylique sur toile, 121,9 x 182,9 cm.

David Hockney (né en 1937), « After Munch : Less is Known than People Think », 2023. Acrylique sur toile, 121,9 x 182,9 cm. Photo service de presse. © David Hockney. Photo Jonathan Wilkinson

Un maître parmi les maîtres

Depuis près d’un demi-siècle, David Hockney se révèle obsédé par la manière dont la technique influence la fabrication des images. Contestant la pertinence de la perspective monofocale mise en place par les artistes de la Renaissance italienne et reprise par la vision monoculaire de l’appareil photographique, il a déployé plusieurs systèmes de vision concurrents – tels le photomontage « cubiste » avec points de vue multiples (Pearblossom Hwy) ou la perspective inversée. On en voit plusieurs exemples : de la toile Garrowby Hill, dont les angles inférieurs ont été coupés afin de donner l’impression que le tableau va en s’élargissant, à sa reprise de l’Annonciation de Fra Angelico, qui situe le point focal à la place du spectateur, en passant par la composition complexe de Tall Dutch Trees After Hobbema, qui nous met non plus devant, mais directement sur l’allée de Middelharnis. Jusqu’à aujourd’hui avec William Blake, David Hockney n’aura en effet eu de cesse de dialoguer avec les grands maîtres du passé.

David Hockney (né en 1937), After Blake : Less is known that people think, 2024. Acrylique sur toile, 182,9 x 121,9 cm.

David Hockney (né en 1937), After Blake : Less is known that people think, 2024. Acrylique sur toile, 182,9 x 121,9 cm. Photo service de presse. © David Hockney. Photo Jonathan Wilkinson

C’est ce même dialogue qui se donne à entendre dans l’ultime salle spécialement conçue par le peintre, où le visiteur plonge dans les ivresses sonores des opéras de Wagner, Strauss ou Puccini qu’il a mis en scène.

Vue de la galerie 10 de l'exposition, la plus monumentale, où sont mis en lumière et mouvement les créations de David Hockney pour l'Opéra.

Vue de la galerie 10 de l'exposition, la plus monumentale, où sont mis en lumière et mouvement les créations de David Hockney pour l'Opéra. Photo service de presse. © David Hockney. Photo Fondation Louis Vuitton

« David Hockney 25 », jusqu’au 31 août 2025 à la Fondation Louis Vuitton, 8 avenue du Mahatma Gandhi, 75116 Paris. Tél. 01 40 69 96 00. www.fondationlouisvuitton.fr

Catalogue, coédition Thames & Hudson / Fondation Louis Vuitton, versions française et anglaise, 324 p., 49,90 €.