Eugène Boudin, précurseur de l’impressionnisme (12/12). Dialogue avec Monet

Eugène Boudin, Soleil couchant, vers 1860. Pastel sur papier beige, 21,5 x 28,7 cm. Paris, musée d’Orsay, conservé au musée du Louvre. © RMN (musée d’Orsay) – H. Lewandowski
Monet a reconnu, notamment après le décès de Boudin, sa dette envers celui qui emmena ce jeune talent prometteur travailler avec lui sur le motif, créant ainsi les conditions d’une « révélation ».
C’est à l’extrême fin des années 1850, lorsque s’achevait sa formation secondaire au lycée du Havre, que sa vocation de peintre et de paysagiste s’est révélée à Monet : moins au lycée lui-même, où il a bénéficié des leçons probablement extrêmement traditionnelles d’un obscur élève de David, Jacques François Orchard, que par ses études dessinées, dans le cadre traditionnel lui aussi, mais plus ouvert, de la pratique artistique habituelle dans les milieux cultivés de son temps, et surtout par la rencontre, en 1858, de Boudin. « Si je suis devenu peintre, c’est à Eugène Boudin que je le dois » confiera-t-il plus tard au biographe de Boudin, Jean-Aubry. Celui-ci était un ancien associé de l’encadreur qui exposait alors les caricatures exécutées par Monet, lesquelles lui avaient assuré une petite célébrité au Havre au-delà des murs du lycée. Cet encadreur aurait mis Boudin et Monet en relation.
La rencontre
On ne dispose, à ce sujet, que des souvenirs, lointainement rapportés bien après les événements, et probablement un peu arrangés, de Monet. Selon l’un de ces souvenirs, les deux hommes partent un jour travailler en plein air, Boudin installe son chevalet et là, dit Monet, « je le regarde plus attentivement, et puis, ce fut tout à coup comme un voile qui se déchire : j’avais compris, j’avais saisi ce que pouvait être la peinture » (Jean-Aubry). Il est plus probable que Monet s’imprégna de la leçon de Boudin pendant tout cet été de 1858 si l’on en croit son premier biographe, Thiébault-Sisson : « Boudin avec une inépuisable bonté entreprit mon éducation. Mes yeux, à la longue, s’ouvrirent, et je compris la nature ; j’appris en même temps à l’aimer. » Ce qui est certain, c’est qu’après ces premiers contacts, Monet travaille avec Boudin en plein air, et de là sort son premier paysage peint connu, Vue de Rouelles (La Lézarde), tableau très probablement exécuté avec l’aide de Boudin au début de leur travail en commun, selon l’artiste lui-même. Rouelles était un village des environs du Havre, aujourd’hui intégré à la ville même, mais alors en pleine campagne, dans un environnement tout normand de prairies et de haies, que Monet a parfaitement rendu ; Boudin a peint ce dernier au même moment dans un Paysage normand, tableau naturellement très proche de celui de Monet et qui a certainement servi à ce dernier de point d’appui, sinon directement de modèle.
Claude Monet, Vue de Rouelles(La Lézarde), 1858. Tableau exécuté avec l’aide de Boudin au début de leur travail en commun, aux dires de Monet. Huile sur toile, 46 x 65 cm. Collection particulière, en dépôt au Museum of Modern Art de Saitama. © Bridgeman Images
« Ce que pouvait être la peinture »
Ainsi Boudin est le premier vrai maître de Monet, celui qui l’a en quelque sorte révélé à lui-même, quelles que soient les circonstances exactes de leur rencontre. Monet reste proche de son aîné durant toutes les années 1860, et si par la suite, notamment après 1870, le rapport d’influence s’inverse, Boudin devenant davantage « impressionniste » du fait même de Monet, avant 1870, la manière de travailler de Boudin et la façon dont il considère la peinture de paysage marquent profondément son cadet. Boudin est un artiste un peu en marge au moment où Monet le rencontre. Paysagiste, c’est un mariniste reconnu pour ses effets naturalistes. Il pratique néanmoins la peinture davantage en atelier qu’en plein air, réservant à celui-ci des études dessinées, par exemple pour les ciels, usant en particulier de l’aquarelle et du pastel, techniques que l’on retrouve chez Monet au même moment1. Lors de l’exposition récente du musée d’Orsay consacrée aux 150 ans de l’impressionnisme avaient ainsi été significativement rassemblées autour d’Impression. Soleil levant des études de ciel dessinées par les deux artistes.

Claude Monet, Crépuscule, vers 1865-1870. Pastel sur papier gris, 18,9 x 31,1 cm. Nantes, Musée d’arts. © Musée d’arts de Nantes – A. Guillard
Vers l’atelier du plein air
Si l’aptitude de Boudin à faire vivre l’atmosphère de plein air va assurer sa réputation, le travail en extérieur reste pour lui un travail d’études, à l’huile, à l’aquarelle ou simplement dessinées, précédant l’exécution en atelier. De ce point de vue, Boudin s’inscrit, pour l’exécution proprement dite, dans la tradition classique de la peinture de paysage française depuis le XVIIIe siècle, celle de Pierre-Henri de Valenciennes puis de Corot. Toutefois, en s’appuyant sur son travail sur le motif pour tenter de retrouver le sentiment du plein air dans une démarche réaliste, il se montre novateur, dans la lignée cette fois des romantiques anglais et notamment de Constable, ou encore bien entendu des peintres de l’école de Barbizon. C’est en cela qu’il a pu marquer le jeune Monet. Sa méthode de travail, qui privilégie l’étude sur le motif au printemps et à l’été, en Bretagne puis en Normandie, suivie par l’exécution de tableaux en atelier pendant l’hiver, correspond en effet assez bien à celle suivie par Monet durant les années 1860. Mais à partir des années 1870, ce dernier va privilégier le travail en plein air sur la toile « définitive », reprise ensuite en atelier, ce qui n’est pas ou plus tout à fait la même chose. Les sujets choisis par Monet eux-mêmes, notamment lors de la période d’Argenteuil qui correspond à l’apogée de l’impressionnisme, privilégiant davantage la vie moderne et urbaine, le séparent de Boudin, resté beaucoup plus traditionnel de ce point de vue. Cette différence était d’ailleurs peut-être en germe dès ces années 1858-1859 où ils étaient si proches. Monet peignit alors une petite esquisse très originale (collection particulière), à laquelle on aurait de la peine, avec ses cheminées d’usine et son chemin de fer, à trouver un équivalent chez Boudin. Dans cette perspective, la Vue de Rouelles et le Paysage normand restent l’exception et non la règle.

Eugène Boudin, Paysage normand, vers 1854-1858. Huile sur bois, 34 x 57,5 cm. Asaka, Marunuma ArtPark, en dépôt au Museum of Modern Art de Saitama. © Alamy / Hemis – R. Halour
1 Rappelons cependant que le dessin, même s’il a toujours été pratiqué par Monet, est resté chez lui assez secondaire.
« Eugène Boudin, le père de l’impressionnisme : une collection particulière », du 9 avril au 31 août 2025 au musée Marmottan Monet, 2 rue Louis Boilly, 75016 Paris. Tél. 01 44 96 50 33. www.marmottan.fr
Catalogue sous la direction de Laurent Manœuvre, coédition musée Marmottan Monet / éditions In fine, 280 p., 35 €.
À lire également : Eugène Boudin, Suivre les nuages le pinceau à la main (Correspondances 1861-1898), édition établie et présentée par Laurent Manœuvre, L’Atelier contemporain, 752 p., 30 €.
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12/12. Dialogue avec Monet





