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Eugène Boudin, précurseur de l’impressionnisme (2/12). Le peintre raconté par lui-même

Henri Michel-Lévy, Eugène Boudin peignant des animaux dans la prairie de Deauville, 1880. Huile sur toile, 22 x 27 cm. Honfleur, musée Eugène-Boudin.

Henri Michel-Lévy, Eugène Boudin peignant des animaux dans la prairie de Deauville, 1880. Huile sur toile, 22 x 27 cm. Honfleur, musée Eugène-Boudin. © Illustria / musée Eugène-Boudin

Prosateur simple, mais non dénué de charme, Boudin a abondamment documenté sa propre existence. Épistolier, auteur de « carnets », diariste, il a laissé, en outre, une autobiographie sommaire livrant le récit, fragmenté, d’une vie d’artiste talentueux et opiniâtre.

Eugène Louis Boudin naît à Honfleur sur la côte normande, dont il deviendra un inlassable paysagiste, le 12 juillet 1824. Son père navigue sur les bateaux assurant la liaison Le Havre-Hambourg, sa mère est femme de chambre à bord de ces navires. À 10 ans, il travaille comme mousse sur le vapeur reliant Le Havre et Honfleur avant que son père ne lui trouve un emploi de commis chez un imprimeur. Il devient ensuite assistant dans une boutique de papetier-encadreur, profession qui le met au contact d’artistes dont Jean-François Millet qui, trentenaire alors, vivait chichement au Havre : « Ce fut vers 1846 que Millet, qui venait d’étudier à Paris sous Delaroche, cherchait “du travail” selon son expression, et vint faire au Havre une série de portraits, depuis trente francs, à l’huile et au pastel. Le futur auteur de l’Angélus n’était guère cossu alors […] Ce fut l’auteur de tant de beaux dessins qui me corrigea mon premier essai, un paysage dans la manière de Troyon, dont j’avais eu tant de fois l’occasion d’encadrer et de vendre les pastels1. » Millet a beau mettre en garde le jeune homme contre la précarité qui l’attend : « À dater de ce moment, c’en fut fait du papetier-encadreur […] je quittai un métier solide pour prendre le pinceau. »

Pierre Petit, Eugène Boudin, 1898.  Paris, Archives Larousse.

Pierre Petit, Eugène Boudin, 1898. Paris, Archives Larousse. © Bridgeman Images

« Au fond, je ne suis pas gai. C’est peut-être à cause de cela que je sens si bien. »

Eugène Boudin, Carnets

Du Havre à Paris : « les plus précieuses années »

Le soutien d’artistes établis et d’un homme de lettres, Alphonse Karr, fréquentant tous assidument le littoral normand, lui vaut de bénéficier d’une aide publique : « […] C’est la ville du Havre où j’ai été élevé qui m’a encouragé et pensionné pendant trois années. J’ajouterai même que ce fut pour moi et sur les instances d’Alphonse Karr, que Troyon, Isabey et Couture, sollicitèrent, appuyés par Couveley, alors conservateur du musée, une pension annuelle qui me permit enfin d’aller à Paris […] ». Nous sommes en 1851. Boudin est passé à la postérité comme paysagiste, mais ses scènes du quotidien, son art animalier (surtout des vaches… évidemment), ses figures spirituelles et pleines de vivacité démontrent qu’il aurait pu exceller dans maints genres : « Le portrait était alors en vogue ; ce fut dans ce genre que je débutai. J’y aurais fait quelques progrès sans doute, mais outre que ma manière ne plaisait guère aux bourgeois, le daguerréotype venait d’être inventé et le portrait peint subit un temps d’arrêt : on y renonça tout à fait. Il fallut chercher à gagner sa vie en faisant tout ce qui concernait son état ; je fis ce que je pus […]. »

Eugène Boudin, Bretonne tenant une jatte dans un intérieur. Aquarelle et mine graphite, 20,5 x 26,3 cm. Paris, musée d’Orsay, conservé au musée du Louvre.

Eugène Boudin, Bretonne tenant une jatte dans un intérieur. Aquarelle et mine graphite, 20,5 x 26,3 cm. Paris, musée d’Orsay, conservé au musée du Louvre. © RMN (musée d’Orsay) – M. Bellot

Le désarroi du jeune artiste, désormais livré à lui-même, et plus perplexe que jamais, est grand. Pourtant l’exemple des fondateurs de l’école de Barbizon (Théodore Rousseau et surtout Corot) semble montrer la voie : « C’est ainsi que s’écoulent les plus précieuses années de ceux qui, comme moi et tant d’autres, tâtent le terrain et s’essaient durant des années à chercher ce qui peut plaire au public, souverain dispensateur de la renommée. On cherche sa voie et l’on ne parvient, en faisant les plus grands efforts, qu’à gâter ce que l’on avait en soi d’original. Si Corot, avec un immense talent, avait toutes les peines du monde à se faire un nom, que n’avions-nous pas à souffrir, nous autres écoliers ! […] Il fallut se retirer dans sa province en attendant des temps meilleurs, et c’est ainsi que je suis resté près de quinze années sans revenir à Paris. » Boudin exagère. Il s’installe en fait à Paris dès 1861. En 1863, il participe d’ailleurs au fameux Salon des refusés qui prend acte du divorce entre l’académisme du Salon et les représentants de la modernité en peinture. Il inaugure bientôt un mode de vie qu’il conservera désormais : l’hiver se déroule à Paris puis, dès les beaux jours, le peintre se rend sur le littoral – normand surtout, pas seulement – pour travailler « sur le motif ».

Eugène Boudin, Le Marché à Trouville – « La halle aux poissons », 1876. Huile sur bois, 33 x 41 cm. Collection particulière.

Eugène Boudin, Le Marché à Trouville – « La halle aux poissons », 1876. Huile sur bois, 33 x 41 cm. Collection particulière. Photo courtesy Ferri

Apprendre par la copie

Eugène Boudin n’appartient pas, pas encore, à une génération d’artistes projetant de « renverser la table ». Humble, authentiquement modeste (chose encore plus rare), ayant progressivement défini où il voulait aller, il interroge, sans relâche, des prédécesseurs susceptibles de lui ouvrir la voie. Bénéficiaire d’une bourse accordée par la ville du Havre au début des années 1850, afin de lui permettre, notamment, d’étudier à Paris, Boudin se tourne vers ce répertoire universel de l’art qu’est le Louvre. On retrouve bientôt le nom de cet autodidacte sur le registre des élèves copistes du musée. Ce sont alors les maîtres flamands et surtout hollandais du XVIIe siècle, réputés scrutateurs attentifs de la nature, qui requièrent d’abord son attention. Certains maîtres (van Ruisdael, Paulus Potter ou encore Jan van Goyen) contribueront, avec leurs cieux immenses, à aiguiser son sens du paysage, d’autres développeront ses aptitudes dans l’art subtil de la nature morte.

Des sources éclectiques

L’école française des XVIIe et XVIIIe siècles lui offre une main non moins secourable à travers les œuvres des paysagistes classicisants (le Lorrain), ceux des Lumières (Joseph Vernet), mais aussi Antoine Watteau dont il copie joliment le Pèlerinage à l’île de Cythère. Ajoutons le nom d’un maître influent, peu égalable dans la représentation des « choses coites », Jean Siméon Chardin. L’éclectisme des sources de Boudin mérite d’être souligné. Il est inattendu que ses scènes de la vie sociale et mondaine sur la plage, produites à partir des années 1860, s’inspirent « avec un accent plus nature » – tout est dans le « plus nature » – des séduisantes vedute vénitiennes du XVIIIe siècle des frères Guardi. Activité cruciale, substantielle dans les diverses acceptions du mot, la copie est aussi, pour Boudin, une manière de s’assurer quelques revenus. Dégagé de cette servitude, il n’en continuera pas moins, jusqu’à la fin de sa vie, d’aller copier au Louvre.

Eugène Boudin, d’après Jacob van Ruisdael, La Tempête, 1853-54. Huile sur toile, 110,5 x 156 cm. Le Havre, musée d’Art moderne André Malraux – MuMa.

Eugène Boudin, d’après Jacob van Ruisdael, La Tempête, 1853-54. Huile sur toile, 110,5 x 156 cm. Le Havre, musée d’Art moderne André Malraux – MuMa. © MuMa Le Havre – C. Maslard

Un credo : le pleinairisme

« Ce fut encore une fois cet excellent Isabey qui m’engagea à essayer de faire prendre mes marines à Paris ». L’exemple d’un « élève » d’Isabey, Jongkind l’inspire surtout : « J’en profitai pour entrer aussi par la porte qu’il avait forcée et je commençai, quoique timidement encore, à offrir mes marines ». L’un des traits saillants de Boudin réside dans son obstination à vouloir peindre, ou du moins esquisser, ses peintures en plein air, modus operandi dont il affirme la supériorité absolue sur l’œuvre peinte en atelier : « Trois coups de pinceau d’après nature valent mieux que deux jours de travail au chevalet » (Journal). Lesté d’un lourd bagage – toiles non montées, eau, crayons, protections corporelles contre le froid et l’indispensable parasol qui protège de l’insolation –, il bataille « sur le motif » jusqu’à l’épuisement de ce qu’il appelle « ses munitions », de sa propre personne souvent. Sur les sites de Normandie, de Bretagne et de la mer du Nord, il travaille « avec une sorte de rage qui nous fait quelquefois oublier nos maux & nos douleurs » (lettre à son ami Ferdinand Martin, Camaret, 20 octobre 1872).

Eugène Boudin, La Princesse Pauline Metternich sur la plage, vers 1865-67. Huile sur carton transposé sur bois, 29,5 x 23,5 cm. New York, The Metropolitan Museum of Art.

Eugène Boudin, La Princesse Pauline Metternich sur la plage, vers 1865-67. Huile sur carton transposé sur bois, 29,5 x 23,5 cm. New York, The Metropolitan Museum of Art. Photo courtesy the Metropolitan Museum of Art, New York

Le silence de l’atelier

Car la nature mène la vie dure au paysagiste. La chaleur, le froid, l’intensité lumineuse qui aveugle conspirent contre lui, le vent aussi « qui siffle et qui vous bouleverse le pauvre peintre et son attirail ! » (25 mai 1886). Pour ces raisons, d’autres encore, et parce que la finalisation dans son modeste atelier (qui est pour lui une sorte de prison) assure le recul nécessaire, il n’achève habituellement pas ses tableaux, du moins les plus grands, là où il les a commencés : « Il n’y a qu’à Paris, dans le silence de l’atelier, qu’on se juge bien » (lettre à son disciple Braquaval, 30 octobre 1894). L’enjeu est alors de ne pas sacrifier la spontanéité, le brio, le « nerveux » de l’esquisse au fini, au convenu. À Ferdinand Martin, il écrit (11 septembre 1888) : « C’est que toi & bien des amateurs de province vous vous habituez à croire que le travail excessif fait la bonne peinture. Je voudrais bien t’ôter cette idée, si je ne puis l’ôter aux autres… Loin d’y apporter une perfection quelconque le travail, le vidoursage2 comme on dit dans les ateliers pour indiquer la peinture peinée ne fait que la rendre insipide […]. » Or la manière rapide, allusive, « dissolvante » de Boudin ne plaît guère. Novatrices, ses séduisantes scènes de plage reflétant les nouveaux usages des élites du Second Empire en villégiature à Trouville ou à Deauville peinent à convaincre dans les années 1860.

Eugène Boudin, Plage à Trouville, 1865. Huile sur toile, 38 x 62,8 cm  Princeton, Princeton University Art Museum.

Eugène Boudin, Plage à Trouville, 1865. Huile sur toile, 38 x 62,8 cm Princeton, Princeton University Art Museum. Photo courtesy of the Princeton University Art Museum

Les éloges de Baudelaire

Le poète et critique rencontre Boudin à Honfleur dès 1858 ou 1859 (à l’instigation de Courbet ?), alors que l’écrivain réside chez sa mère, Mme Aupick. Il a le privilège de voir ses croquis et ses études, qu’il évoque dans un passage, fameux, de sa relation du Salon de 1859 (où le peintre n’expose qu’un tableau, Le Pardon de Sainte-Anne-la-Palud) : « Plus tard, sans aucun doute, il nous étalera, dans des peintures achevées, les prodigieuses magies de l’air et de l’eau. Ces études, si rapidement et si fidèlement croquées d’après ce qu’il y a de plus inconstant, de plus insaisissable dans sa forme et dans sa couleur, d’après des vagues et des nuages, portent toujours, écrits en marge, la date, l’heure et le vent, ainsi, par exemple : 8 octobre, midi, vent de nord-ouest. Si vous avez eu quelquefois le loisir de faire connaissance avec ces beautés météorologiques, vous pouvez vérifier par mémoire l’exactitude des observations de M. Boudin. La légende cachée avec la main, vous devineriez la saison, l’heure et le vent. Je n’exagère rien. J’ai vu. À la fin tous ces nuages aux formes fantastiques et lumineuses, ces ténèbres chaotiques, ces immensités vertes et roses, suspendues et ajoutées les unes aux autres, ces fournaises béantes, ces firmaments de satin noir ou violet, fripé, roulé ou déchiré, ces horizons en deuil ou ruisselants de métal fondu, toutes ces profondeurs, toutes ces splendeurs, me montèrent au cerveau comme une boisson capiteuse ou comme l’éloquence de l’opium. Chose assez curieuse, il ne m’arrivera pas une seule fois, devant ces magies liquides ou aériennes, de me plaindre de l’absence de l’homme » (« Lettre à M. le Directeur de La Revue française sur le Salon de 1859 », texte repris dans Curiosités esthétiques, 1868).

Félix Tournachon, dit Nadar, Charles Baudelaire, 1854-67  Photographie d’après négatif sur plaque de verre, 15,8 x 12,5 cm. Paris, Bibliothèque nationale de France.

Félix Tournachon, dit Nadar, Charles Baudelaire, 1854-67 Photographie d’après négatif sur plaque de verre, 15,8 x 12,5 cm. Paris, Bibliothèque nationale de France. Photo BnF

Boudin en plein lumière

La défaite de la France contre la Prusse, la grave crise traversée par le marché de l’art au cours des années 1870 freineront la reconnaissance, déjà amorcée depuis la « défection » de Jongkind, de celui qui est alors devenu, malgré lui, l’un des plus importants peintres français de marines du temps. L’implication du « marchand des impressionnistes », Paul Durand-Ruel, au début des années 1880, correspond à une significative embellie. En 1883, les critiques favorables à l’avant-garde (rappelons qu’en 1874 Boudin avait présenté une série d’œuvres chez le photographe Nadar lors de l’exposition couramment désignée comme celle « des impressionnistes ») se montrent élogieux dans leurs nombreux articles commentant l’exposition monographique parisienne consacrée au maître par Durand-Ruel, « notre accapareur » comme l’appelle le peintre. C’est la consécration. Boudin paraît quant à lui garder la tête froide : « Voici le pauvre mariniste posé, et on lui donne du maître dans nombre d’articles, le déclarant une personnalité de notre époque, un amoureux de la mer et mille choses qui me donneraient de la vanité si j’étais capable d’avoir ce travers. Ce qu’il y a de surprenant, c’est que j’ai fait l’effet d’une révélation. Je nageais dans les brumes, me voilà sorti et en pleine lumière. J’en suis à mon quarante-huitième article. Il y a même une caricature. C’est une vieille qui regarde au sortir de l’église : “Exposition Eugène Boudin”. Légende : “Une exposition de Boudin en plein Carême, les v’là bien les mœurs de la République !” » (lettre du 7 février 1883).

Eugène Boudin, Deauville, la dune, 1892. Huile sur toile, 49,7 x 72,7 cm. Collection particulière.

Eugène Boudin, Deauville, la dune, 1892. Huile sur toile, 49,7 x 72,7 cm. Collection particulière. Photo courtesy of Sotheby’s

Une reconnaissance tardive

Enfin médaillé au Salon (1881, 1883), le peintre bénéficie désormais assez régulièrement d’achats de l’État à partir de 1884. Hommage du vice à la vertu, des imitations frauduleuses de ses peintures ont commencé à circuler dès le début de la décennie. Cruellement endeuillé par la mort de sa femme, Marie-Anne, en 1889, il reçoit, la même année, une médaille d’or à l’Exposition universelle. Fin 1892, son collègue Pierre Puvis de Chavannes, représentant majeur du symbolisme en Europe, lui remet la croix de la Légion d’honneur. En 1895, il entreprend, avec sa nouvelle compagne, Juliette Cabaud, un voyage, longtemps rêvé, en Italie et en Suisse. Contrairement à la Toscane, Venise lui inspire nombre de peintures et de dessins ; Boudin, qui se montre très sensible au climat de gaîté et de fête qui en émane, parlera, très justement, d’un site offrant une « inoubliable volupté de l’œil ».

Eugène Boudin, Venise, le soir. Le quai des Esclavons et la Salute, 1895. Huile sur toile, 46 x 65 cm. Québec, musée national des BeauxArts du Québec.

Eugène Boudin, Venise, le soir. Le quai des Esclavons et la Salute, 1895. Huile sur toile, 46 x 65 cm. Québec, musée national des BeauxArts du Québec. Photo collection MBAQ

À la fin de son « autobiographie » publiée dans L’Art, le peintre déclarera, désabusé et peu optimiste sur la postérité de son œuvre : « L’avenir fera de moi ce qu’il fait de nous tous. J’ai bien peur que ce soit de l’oubli. » Outre qu’il se trompa, il est permis d’y voir une posture qui masque un tempérament anxieux, exigeant et donc continuellement insatisfait et l’inquiétude d’un autodidacte « illégitime », sujet à de fréquents accès de découragement. À l’artiste sociable et débonnaire évoqué par la presse, ses premiers biographes et ses (nombreux) visiteurs, répond un Eugène Boudin secret, réservé, qui attendit longtemps la reconnaissance, en proie au doute, et redouta d’être oublié au fond de sa province. Les témoignages abondent en ce sens. En 1887, le peintre écrit ainsi dans son Journal alors qu’il a passé le cap d’une précarité et d’un anonymat aussi débilitants que démoralisants : « Subi un énervement incroyable par suite de découragement qui vous vient. On ne sait plus si l’on est encore capable de quoi que ce soit. »

Le soutien de Durand-Ruel

Défenseur de l’école de Barbizon, marchand d’art parisien « libéral » ayant exercé un rôle décisif dans l’essor de l’impressionnisme à partir des années 1870, Paul Durand‑Ruel s’intéresse vivement à l’art de Boudin. En 1881, il acquiert une partie substantielle du stock du peintre honfleurais, échouant, semble-t-il, à obtenir l’exclusivité de sa production. Deux ans plus tard, c’est avec une importante exposition (150 tableaux et une série d’études) consacrée à Boudin que Durand-Ruel inaugure ses nouveaux locaux, boulevard de la Madeleine. Tout à coup, c’est le succès, au grand étonnement de l’intéressé. Au cours de la décennie suivante, le marchand s’emploie, sans s’ingérer dans son travail, à délivrer des préoccupations matérielles un artiste qui a surtout vécu dans la gêne. Boudin, de son côté, ne se laissera pas pour autant inféoder, soucieux de conserver son indépendance. Ses dernières dispositions (juin 1898) désigneront Détrimont, Allard et Bonjean – et non Durand-Ruel – pour veiller sur ses œuvres et en faire un choix dans la perspective d’une vente post mortem. Avant et après la mort de Boudin, le marchand continuera à acquérir un nombre très important d’œuvres – plus de 700 entre 1891 et 1922… – d’un artiste dans lequel il croit fortement ainsi qu’il le fera pour bien d’autres peintres éminents, mais controversés (dont Delacroix à partir de la fin des années 1860). Le soutien – intéressé – de Durand-Ruel pour Boudin mérite d’être versé à son crédit ainsi que son rôle dans l’établissement de la notoriété posthume de l’artiste tant outre-Manche qu’outre‑Atlantique.

Marcellin Desboutin, Paul Durand-Ruel, 1882. Détail. Estampe. Paris, Bibliothèque nationale de France.

Marcellin Desboutin, Paul Durand-Ruel, 1882. Détail. Estampe. Paris, Bibliothèque nationale de France. Photo BnF

1 Sauf mention contraire, nous utilisons ici « l’autobiographie » publiée dans la revue L’Art en 1887.

2 Terme argotique de métier désignant la pratique consistant à produire une peinture léchée, trop finie, au détriment de toute autre considération (coloris, perspective, justesse).

« Eugène Boudin, le père de l’impressionnisme : une collection particulière », du 9 avril au 31 août 2025 au musée Marmottan Monet, 2 rue Louis Boilly, 75016 Paris. Tél. 01 44 96 50 33. www.marmottan.fr

Catalogue sous la direction de Laurent Manœuvre, coédition musée Marmottan Monet / éditions In fine, 280 p., 35 €.
À lire également : Eugène Boudin, Suivre les nuages le pinceau à la main (Correspondances 1861-1898), édition établie et présentée par Laurent Manœuvre, L’Atelier contemporain, 752 p., 30 €.

Sommaire

Eugène Boudin, précurseur de l’impressionnisme

2/12. Eugène Boudin raconté par lui-même

4/12. Dialogue avec Jongkind (à venir)

5/12. Dialogue avec Isabey (à venir)

6/12. Le défi de la marine (à venir)

7/12. La figure et l’horizon : les plages (à venir)

8/12. L’eau et le ciel en terres du Nord (à venir)

9/12. Un passage par la nature morte (à venir)

10/12. Nager en plein ciel (à venir)

11/12. Le « père » de l’impressionnisme ? (à venir)

12/12. Dialogue avec Monet (à venir)