Eugène Boudin, précurseur de l’impressionnisme (3/12). Dialogue avec Corot

Jean-Baptiste Camille Corot, Dieppe, le bout de la jetée et la mer (Marine), 1822. Huile sur papier marouflé sur toile, 23,5 x 31 cm. Bruxelles, musées royaux des Beaux-Arts de Belgique. Photo d’art Speltdoorn & Fils
L’admiration nourrie par Boudin à l’endroit de Camille Corot ne se démentira jamais. Corot constituait tout à la fois un exemple par son travail « sur le motif », au plus près de la lumière naturelle, et une mise en garde tant le succès lui tourna longtemps le dos, en dépit d’un talent immense et d’un tempérament de peintre-poète unique.
Né à Paris à la fin du XVIIIe siècle, « le vieux père Corot » (1796‑1875) s’impose, en dépit de l’écart d’âge, comme l’artiste de référence pour la nouvelle génération de paysagistes dont fait partie Boudin. Ce dernier possédera de bonne heure (1852) une œuvre de celui dont il admire tout à la fois la science (susceptible d’être acquise) et le considérable talent (ce qui l’est moins). On suppose que le fait de devoir se défaire de son Corot deux ans plus tard, pressé par le mauvais état de ses finances, dut être une expérience amère. Jusque vers 1860, Boudin étudie avec une particulière intensité l’art de son devancier avant de se tourner résolument vers les sujets maritimes et les scènes de plage, que Corot, peintre « terrien » des sous-bois et des prés (ou des sites italiens et suisses), ne traita que de manière marginale, malgré des réalisations de haut vol participant d’un genre cultivé tôt sur les côtes normandes (on en trouvera ici reproduites deux, séparées par pas moins d’un demi-siècle).
Jean-Baptiste Camille Corot, La Plage, Étretat, 1872. Huile sur toile, 35,6 x 56,4 cm. Saint Louis, Saint Louis Art Museum. © Saint Louis Art Museum / Bridgeman Images
Une voie à suivre
Chez ce pionnier de l’école de Barbizon, mouvement au cœur du processus de rénovation du paysage dans l’art français (Corot arpente le site dès les années 1820), Boudin apprécie l’art fluide de la composition horizontale et surtout la probité d’un rapport pictural à la nature appréhendée, en plein air, dans des conditions lumineuses et atmosphériques authentiques. Corot, qui ne fréquenta pas l’École des beaux-arts (particularité notable), fut, en effet, encouragé à pratiquer le « pleinairisme » dès sa formation parisienne auprès d’Achille Etna Michallon et de Jean-Victor Bertin, deux élèves de Pierre-Henri de Valenciennes. Il continue résolument dans cette voie à partir de son premier voyage italien (1825-1828), réservant le travail en atelier à la froidure hivernale et à la préparation des œuvres pour le Salon. La palette de Corot, économe, juste, refusant les effets outrés et tendant vers une tonalité « grise » (qui ne compte longtemps guère de défenseurs ni sur le marché ni dans la critique), la subtilité de son travail sur les valeurs enfin demeureront des modèles constants pour Boudin. Corot gratifiera, en échange, cet émule sincère d’un compliment qui n’est pas mince : « roi des ciels », élogieux qualificatif qui sera repris par Monet pour désigner son ancien inspirateur. La haute estime pour Corot qui réunit, au sein de la génération suivante, un Renoir et un Monet dessine une fraternité esthétique et des affinités électives qui lient tous ces artistes en une suite cohérente, presque logique.
« Eugène Boudin, le père de l’impressionnisme : une collection particulière », du 9 avril au 31 août 2025 au musée Marmottan Monet, 2 rue Louis Boilly, 75016 Paris. Tél. 01 44 96 50 33. www.marmottan.fr
Catalogue sous la direction de Laurent Manœuvre, coédition musée Marmottan Monet / éditions In fine, 280 p., 35 €.
À lire également : Eugène Boudin, Suivre les nuages le pinceau à la main (Correspondances 1861-1898), édition établie et présentée par Laurent Manœuvre, L’Atelier contemporain, 752 p., 30 €.
Sommaire
Eugène Boudin, précurseur de l’impressionnisme
3/12. Dialogue avec Corot
4/12. Dialogue avec Jongkind (à venir)
5/12. Dialogue avec Isabey (à venir)
6/12. Le défi de la marine (à venir)
7/12. La figure et l’horizon : les plages (à venir)
8/12. L’eau et le ciel en terres du Nord (à venir)
9/12. Un passage par la nature morte (à venir)
10/12. Nager en plein ciel (à venir)
11/12. Le « père » de l’impressionnisme ? (à venir)
12/12. Dialogue avec Monet (à venir)