Eugène Boudin, précurseur de l’impressionnisme (5/12). Dialogue avec Isabey

Artiste romantique des tempêtes, des naufrages, mais aussi, dans une veine plus retenue, des gens de mer et de la vie maritime, Isabey avait, en particulier, « compagnonné » avec le jeune peintre prodige anglais Richard Parkes Bonington (prématurément disparu en 1828), le poète Charles Nodier et le baron Taylor, promoteur de la série monumentale des « Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France », ce qui l’avait conduit à découvrir – artistiquement parlant – les sites maritimes normands, bretons, etc. Isabey passe notamment pour avoir été « l’inventeur » d’Étretat et de Honfleur (merveilleux Bateaux échoués, Honfleur à marée basse, 1827, collection particulière), localités littéralement pittoresques qui allaient attirer magnétiquement les artistes à sa suite.

Eugène Isabey, Le Grand-Bé à Saint-Malo, 1850-64. Crayon noir, aquarelle et gouache, 15,3 x 34,7 cm. Paris, musée du Louvre. © RMN (musée du Louvre) – J.-G. Berizzi

Isabey compta parmi les littérateurs et les peintres qui intervinrent généreusement auprès des autorités municipales du Havre afin d’obtenir pour l’artiste débutant qu’était Boudin une pension qui lui permit d’aller étudier à Paris (1851). Ce dernier eut, néanmoins, des mots un peu sévères pour un peintre des marines dont il pouvait sans doute envier à la fois la facilité et le succès dans la capitale, mais qu’il estimait forcé dans son coloris, en somme factice (« Isabey renchérissait sur la couleur naturelle »), l’associant à ceux – Gudin, Le Poittevin et d’autres – qui « faisaient fureur en peignant de chic » (compte-rendu du Salon de 1887 publié dans L’Art). Le rejet d’un romantisme corrupteur de l’authenticité explique ces propos tardifs, peu amènes, mais qui n’enlèvent rien à l’estime portée à « cet excellent Isabey ». Ayant inspiré à la fois Boudin et Jongkind dont il fut le mentor, Isabey, qui est aussi un admirable dessinateur, plus spontané et moins « calculateur » dans ses effets, mérite une place d’initiateur dans l’histoire du paysage français du XIX^e siècle. Il devance son cadet honfleurais dans les scènes de plage qu’il travestit en scène historique – on ne se refait pas – dans « Seigneurs sur la plage de Schéveningue (sic), au XVIII^e siècle » (1860, Louvre), autant qu’il le précède de la manière la plus immédiate dans une approche franche à la fois fluide et sensible des cieux changeants et des lignes de côtes de la Manche, de l’Atlantique ou du Midi.