Eugène Boudin : une collection particulière au musée Marmottan Monet

Eugène Boudin, La Plage de Deauville, 1893. Huile sur toile, 50,2 x 74 cm. Collection de Yann Guyonvarc’h. Photo service de presse. © Studio Christian Baraja SLB
En cette année de célébration des 150 ans de la première exposition impressionniste, le musée Marmottan Monet ne pouvait rester inactif. Il présente au public le travail d’Eugène Boudin (1824-1898). Celui-ci a joué un rôle fondamental dans la pratique de Claude Monet qui, selon ses propres mots, doit tout au peintre de seize ans son aîné.
L’exposition du musée Marmottan Monet repose sur un ensemble unique d’œuvres de Boudin réunies en moins de vingt ans par le collectionneur français Yann Guyonvarc’h, présentées en regard de la collection du musée et des prêts d’autres institutions. Ce dernier s’est en effet attaché à réunir des peintures et des études qui retracent l’intégralité de la carrière de l’artiste, formant ainsi un ensemble cohérent qui n’a d’équivalent dans aucun musée à ce jour.
Eugène Boudin, La Tour Malakoff et le rivage à Trouville, 1877. Huile sur toile, 32,4 x 57,5 cm. Collection de Yann Guyonvarc’h. Photo service de presse. © Studio Christian Baraja SLB
Les débuts du peintre
Né à Honfleur en pleine Restauration dans une famille modeste, Eugène Boudin est d’abord mousse sur le vapeur reliant Honfleur au Havre, puis commis pour des imprimeurs du Havre, où sa famille s’est installée en 1835, et enfin assistant dans une boutique de papetier-encadreur. Il n’embrasse une carrière artistique qu’en 1846, en faisant corriger son premier paysage par Jean-François Millet. Il suit les cours de l’école municipale de dessin avant de se voir octroyer une bourse d’étude pour prolonger son apprentissage à Paris. Bien que la trajectoire professionnelle de Boudin soit inattendue, la mer en demeure le dénominateur commun jusqu’à sa mort.
Eugène Boudin, Le Havre, l’avant-port, 1885. Huile sur toile, 41,5 x 55,5 cm. Collection de Yann Guyonvarc’h. Photo service de presse. © Studio Christian Baraja SLB
« Il s’est donné comme ambition de transcrire l’atmosphère du bord de mer et s’y est tenu en dépit des critiques et des difficultés. »
Laurent Manœuvre, commissaire de l’exposition
Une vision renouvelée de la nature
Fasciné par le temps très changeant de l’estuaire de la Seine, Boudin tente de fixer sur la toile les effets lumineux fugaces qu’il engendre, en conciliant deux influences majeures que sont la peinture néerlandaise du XVIIe siècle et l’école de Barbizon. L’artiste cherche à transcrire ce qu’il voit avec justesse et fidélité, au moyen d’une touche allusive tout à fait adaptée au rendu des effets atmosphériques, qui n’exclut pas pour autant la rigueur et l’équilibre dans l’élaboration de la composition. Il est l’un des premiers artistes français à poser son chevalet hors de l’atelier pour réaliser des esquisses, ce qui n’a alors rien d’une sinécure. Il lui faut transporter tout son attirail de peintre et braver tour à tour la pluie, le vent, le froid ou au contraire une chaleur écrasante. Bien qu’elles conservent une apparence spontanée, ces compositions préparatoires sont ensuite achevées en atelier. À l’époque de l’académisme et du romantisme, Boudin développe ainsi une nouvelle manière de transcrire le paysage maritime, loin de l’immuabilité du paysage classique baigné d’une lumière dorée ou des scènes de naufrage au milieu des éléments en furie chères au sublime.
Eugène Boudin, Petite métairie aux environs de Honfleur, 1856-60. Huile sur panneau, 29,5 x 40 cm. Collection de Yann Guyonvarc’h. Photo service de presse. © Studio Christian Baraja SLB
Les scènes de plage, un échec commercial à la postérité florissante
Aux marines traditionnelles, Boudin préfère les scènes de plage, une nouveauté qui fait écho à la naissance des stations balnéaires dans les années 1860. En effet, le développement des bains de mer, d’abord dans un but médical et hygiénique, conduit les élites du Second Empire à fréquenter plus assidûment les plages normandes. Boudin multiplie ainsi les vues des plages de Trouville et Deauville, tant dans de petits tableaux pour les particuliers que dans des grands formats destinés au Salon. Ses compositions reçoivent un accueil très réservé car le sujet est considéré comme inconvenant et la technique trop allusive. Pourtant, ce ne sont pas tant les toilettes colorées des élégantes du temps qui intéressent l’artiste que l’atmosphère embuée du bord de mer. En témoignent les proportions mêmes de ses œuvres, où le ciel aux nuages sans cesse changeants occupe les deux tiers de la toile, et son journal, dans lequel il parle de « nager en plein ciel ». Face au manque d’intérêt du public, Boudin finit par délaisser ce sujet, à l’exception de quelques « instantanés » qu’il offre à ses amis lorsqu’ils lui rendent visite. Désavoués par ses contemporains, ces témoignages des premiers bains de mer remporteront davantage de succès au XXe siècle (Jeanne Lanvin en possédait cinq) et sont aujourd’hui reconnus comme une des plus belles expressions de l’habileté du peintre.
Eugène Boudin, Réunion sur la plage, 1865. Huile sur toile, 73,5 x 104 cm. Collection de Yann Guyonvarc’h. Photo service de presse. © Studio Christian Baraja SLB
D’un ciel à l’autre
Si son talent de coloriste pousse Boudin à transcrire d’abord l’atmosphère normande, il pose également son chevalet dans d’autres contrées au fil de sa vie. Il se rend ainsi à plusieurs reprises en Bretagne à partir de 1857 et peint des paysages aux tonalités grises et bleues. En 1870, il part pour la Belgique, donnant naissance à des toiles appréciées des collectionneurs, qui l’encouragent à voyager pour peindre d’autres ciels. Il se rend ainsi à Bordeaux (où le port, trop agité, lui déplaît), dans le Pas-de-Calais et dans la Somme, aux Pays-Bas, mais toujours sa passion pour la Normandie demeure. Dans les années 1890, il découvre le Midi de la France, où il est confronté à un climat très différent de ce qu’il connaît. Dérouté par cette lumière aveuglante et ce ciel sans nuage, il les retranscrit au moyen d’une palette plus chatoyante mais toujours subtile. Il voyage également à Venise, où il est frappé par l’atmosphère douce et brumeuse très éloignée de la vision brûlante qu’en propose Félix Ziem, alors considéré comme « le » peintre de la Sérénissime.
Eugène Boudin, Juan-les-Pins, la promenade et la baie, 1893. Huile sur toile, 50 x 73 cm. Collection de Yann Guyonvarc’h. Photo service de presse. © Studio Christian Baraja SLB
Boudin, père de l’impressionnisme ?
Si Boudin joue un rôle capital dans les débuts de Claude Monet, qu’il côtoie en Normandie dans les années 1850, peut-on pour autant le qualifier de père de l’impressionnisme ? Comme les impressionnistes, l’artiste est novateur dans le choix de ses sujets (en représentant les premières stations balnéaires, thème qui sera d’ailleurs repris par Monet, il embrasse pleinement la modernité) et dans sa manière de peindre, spontanée et allusive. Soutenu par Paul Durand-Ruel, connu pour être le marchand des impressionnistes, Boudin participe à la première exposition du groupe en 1874, mais ne renouvelle pas l’expérience et préfère ensuite exposer au Salon. Il reproche en effet au groupe « d’avoir permis le développement d’une peinture négligente ». Ainsi, si l’on ne peut nier les liens qui existent entre Boudin et l’impressionnisme, on ne peut pas non plus forcer la filiation avec le « roi des ciels ».
Eugène Boudin, Saint-Valéry-sur-Somme, effet de lune sur le canal, 1891. Huile sur toile, 40,5 x 55,8 cm. Collection de Yann Guyonvarc’h. Photo service de presse. © Studio Christian Baraja SLB
« Eugène Boudin, le père de l’impressionnisme : une collection particulière », jusqu’au 31 août 2025 au musée Marmottan Monet, 2 rue Louis Boilly, 75016 Paris. Tél. 01 44 96 50 33. www.marmottan.fr
À lire : catalogue, coédition musée Marmottan Monet / In Fine éditions d’art, 280 p., 35 €.
Dossiers de l’Art n° 327, éditions Faton, 80 p., 11 €. À commander sur www.faton.fr